Femmes médecins à l'hôpital : des violences sexistes très présentes et trop minimisées

Marine Cygler

Auteurs et déclarations

19 mai 2023

France – Pour la quatrième année consécutive, l'association Donner des Elles à la santé  publie un état des lieux sur les inégalités femmes-hommes médecins à l'hôpital. « Cette année encore le constat est sans appel : les discriminations et violences sexistes et sexuelles restent fortement ancrées à l'hôpital, même si on entrevoit une baisse de certains comportements et une volonté de s'engager » a indiqué Etienne Mercier, de l'institut de sondage Ipsos qui a interrogé par Internet un échantillon représentatif de 521 médecins hospitaliers, femmes et hommes, entre le 10 février 2023 et le 13 mars 2023 pour réaliser ce baromètre [1].

« L'hôpital est un mauvais élève de la parité : les femmes, qui représentent la moitié du corps hospitalier, sont moins de 20 % du corps hospitalo-universitaire » a rappelé Brigitte Grésy, ancienne présidente du Haut Conseil à l'Egalité entre les femmes et les hommes. Invitée à commenter les résultats du baromètre à l'occasion d'un point presse, elle a aussi pointé l'hôpital comme un très mauvais élève en matière de lutte contre le sexisme. Et la spécialiste de définir le sexisme en tant qu' « idéologie reposant sur la conviction qu'il existe un sexe supérieur à l'autre et donc une différence de légitimité entre les sexes ».

Des discriminations professionnelles durant toute la carrière

Le premier résultat important de l'étude Ipsos est que 82 % des femmes interrogées se sont senties discriminées du fait de leur sexe au cours de leur parcours professionnel. « Cela concerne donc la quasi-totalité des femmes médecins à l'hôpital et cela commence dès les premières années d'étude » a commenté Etienne Mercier. Plus précisément, elles sont 60 % à considérer que les hommes sont davantage sollicités dans les activités de représentation (conférences, réunions institutionnelles…), 62 % à constater qu’à travail égal les hommes sont plus valorisés ou encore 34% à déclarer qu’il est dit aux femmes médecins qu’elles ont moins de capacités que les hommes (résistance physique, abnégation, rigueur, habileté...).

L'argument le plus utilisé pour justifier des discriminations sur l'accès à des postes de responsabilité est la maternité. Ainsi 55% des répondantes déclarent qu’il est dit aux femmes médecins que la maternité et la vie de famille les empêcheront de postuler des postes à responsabilités. De fait, quand un poste à responsabilité est refusé à une femme, les raisons invoquées sont entre autres le fait d’avoir des contraintes familiales et des enfants à charge (36%) ou le risque de tomber enceinte et d’être moins disponible pour le poste (32%).

Pour autant, les répondants, femmes comme hommes, s'accordent sur le fait que donner davantage de responsabilités aux femmes contribuerait à améliorer l'hôpital. Ils considèrent que cela permettrait d'amorcer une discussion sur les conditions de travail (74%), de recréer un climat de confiance (66%), d'améliorer le climat de travail (63%), d'améliorer la prise en charge des patients (57%) ou encore d'augmenter la productivité des équipes (52%).

L'argument le plus utilisé pour justifier des discriminations sur l'accès à des postes de responsabilité est la maternité.

Propos sexistes et violences sexuelles, une réalité à l'hôpital

La deuxième partie du baromètre s'est intéressée à l'exposition aux propos ou gestes inappropriés, voire aux agressions sexuelles, qui reste à un niveau élevé puisque 78% des femmes médecins interrogées déclarent avoir été victimes de comportements sexistes.

De quoi parle-t-on ?

- 64% des femmes médecins ont subi des propos, commentaires ou blagues sexistes concernant leur apparence, leur tenue vestimentaire ou leurs compétences professionnelles ;       

- 50% ont subi des questions intrusives et répétées sur sa vie sexuelle et privée ; 

- 37% d’entre elles ont subi des comportements intrusifs pour obtenir leur numéro de téléphone ou un rendez-vous avec elles ; 

- 30% d’entre elles déclarent avoir subi des gestes inappropriés à connotation sexuelle ou des attouchements sans leur consentement ; 

- 20% d’entre elles ont subi des pressions répétées pour obtenir des faveurs sexuelles ;

- 17% d’entre elles ont même subi des situations d’agressions sexuelles.

« Un des grands enseignements de cette enquête, c'est qu'elles ne parlent pas : elles sont 36 % à n'avoir rien dit à personne, ni à l'hôpital ni en dehors. Il y a celles qui n'ont pas compris que c'était grave (32%), celles qui craignent les représailles (19%) ou celles qui considèrent que l'agresseur est intouchable (30%) » a analysé Adeline Merceron de l'Ipsos.

Lucides, les hommes constatent, et souvent déplorent, ces comportements, chantages et pressions sexuelles auxquels sont soumises leurs collègues de l'autre sexe mais ont du mal à parler et ne font pas remonter l'information. « Il faut faire de la pédagogie à destination des médecins pour leur expliquer ce qu'est une agression et à partir de quand il faut témoigner et remonter l'information » estime Adeline Merceron.

Un des grands enseignements de cette enquête, c'est qu'elles ne parlent pas : elles sont 36 % n'avoir rien dit à personne, ni à l'hôpital ni en dehors Adeline Merceron de l'Ipsos.

 

Banalisation et minimisation des actes et des gestes liées à la culture carabine

Comment expliquer ces actes qui restent fréquents, tus et impunis ? Comment expliquer qu'un médecin qui assiste à des violences sexistes et sexuelles se taise à l'hôpital alors que comme citoyen, en dehors de l'hôpital, il ne se tairait pas ? Le milieu hospitalier reste encore très marqué par les stéréotypes et le patriarcat.

Ceci se traduit par une banalisation des faits, que beaucoup ont encore tendance à minimiser, y compris les femmes. Cette année, les enquêteurs d'Ipsos ont décidé de recueillir pour la première fois des verbatims et ont été étonnés par la minimisation de la gravité des comportements. Par exemple, plusieurs verbatims mentionnent des « blagues ».

Cela dit, quand les femmes font la démarche de témoigner, il ne se passe pas grand-chose. Dans seulement 22% des cas des mesures ont été prises contre la personne et dans 12 % des cas la hiérarchie a décidé de mettre en place des mesures pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles.

« Il faut absolument que les directeurs d'hôpitaux et les présidents de CME disent stop au sexisme dans l'organisation de leur établissement » encourage Brigitte Grésy. « Et il faut qu'il y ait sanction, du blâme jusqu'au licenciement, car sans sanction, il ne se passera rien ».

Sans sanction, il ne se passera rien Brigitte Grésy.

 

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