Paris, France – Biothérapies et asthme sévère… Avec l’arrivée attendue en 2023 du tezepelumab, 17 ans après l’omalizumab, cela portera à 5 le nombre d’anticorps monoclonaux à disposition du clinicien. Comment choisir parmi une telle offre d’une apparente complexité ? Éléments de réponse avec le Dr Clairelyne Dupin (service de pneumologie, Hôpital Bichat, Paris) au 18e congrès francophone d’allergologie (25-28/04 2023, Paris) [1].
S’assurer de la sévérité de l’asthme
Le Dr Clairelyne Dupin pose d’emblée une condition : « avant de parler de biothérapies, il faut déjà s’assurer que le patient souffre effectivement d’un asthme sévère, degré de sévérité de la pathologie où les biothérapies sont indiquées. En effet, selon une publication portant sur des centres de référence, 5,7 % à 13 % des patients adressés pour asthme sévère n’avaient en réalité pas d’asthme [2]. Confirmer le diagnostic d’asthme est parfois compliqué.
Différencier un asthme difficile et un asthme sévère l’est toujours. Cela requiert une démarche rigoureuse de plusieurs mois. De plus, il n’est pas concevable d’instaurer une biothérapie sans traitement inhalé. Or, dans une étude, 35 % des patients adressés à un centre expert en asthme sévère avaient une observance inférieure à 50 % [3]. Evaluer l’observance réelle et la technique de prise des traitements inhalés est l’affaire de tous les acteurs de soin, à chaque étape du parcours du patient asthmatique.
Enfin, les enjeux dans l’asthme sévère sont de réduire les exacerbations et le recours aux corticostéroïdes oraux, d’améliorer – ou de préserver – la fonction pulmonaire, les symptômes ainsi que la qualité de vie. Il s’agit de passer un « contrat » avec le malade, afin de se focaliser sur ses problématiques propres, lesquelles pourront différer de celles d’un autre malade dont le phénotype d’asthme sévère sera pourtant identique. »
Asthme allergique, un peu de physiopathologie
Les avancées dans la connaissance de la physiopathologie de l’asthme et l’identification de plusieurs cibles moléculaires ont abouti au développement des anticorps monoclonaux dans l’asthme sévère. Dans l’asthme allergique, l’inflammation est de type T2 : les lymphocytes CD4 naïfs se différencient en lymphocytes Th2 qui sécrètent ainsi plusieurs cytokines dont l’IL-4, 5 et 13. Mais ces lymphocytes Th2 ne sont pas les seuls à produire ces interleukines. Des cellules lymphoïdes innées de type 2 (ILC2), cellules apparentées, contribuent elle-aussi à l’inflammation de type 2 et constituent en réalité la première ligne de défense de l’immunité dans l’asthme.
Un autre phénomène est la sécrétion d’alarmines par l’épithélium bronchique agressé par les pneumallergènes : IL-25 ; IL-33 ; TLSP pour lymphopoïetine thymique stromale ; ces dernières activent les lymphocytes Th2 et les ILC, responsables à leur tour de la déferlante d’interleukines 4,5 et 13. Les IL-4 activent les lymphocytes B à l’origine de la sécrétion des immunoglobuline E (IgE). Présentes en temps normal à de faibles concentrations sanguines, les IgE jouent alors un rôle clé dans l’asthme allergique. L’IL-5 est pour sa part responsable de la prolifération de polynucléaires éosinophiles et l’IL-13 provoque entre autres une contraction des cellules musculaires lisses et la synthèse de mucus.
Omalizumab, mepolizumab, benralizumab, dupilumab et tezepelumab
- En 2006, l’omalizumab fut la première biothérapie disponible dans l’asthme sévère allergique (en injection toutes les 2 ou 4 semaines selon le taux d’IgE et le poids du patient, >6 ans). Cet anticorps monoclonal est dirigé contre la portion C3 des IgE. Dans l’étude INNOVATE (patients allergiques asthmatiques sévères avec prick-tests et/ou IgE spécifiques positifs pour des allergène perannuels), le taux d’exacerbation est réduit de 26 % et celui d’exacerbations sévères annuelles de 50 % (p=0,02 contre placebo) [4].
Une méta-analyse a confirmé son efficacité globale, avec une réduction du recours à la corticothérapie orale chez 41 % des patients et de 85 % des hospitalisations après un an de traitement [5]. L’amélioration des symptômes (-0,80 sur l’ACQ-5) et de la qualité de vie (+ 0,45 contre placebo sur l’AQLQ) est démontrée. En cas de comorbidités allergiques, l’omalizumab peut être intéressant. En effet, un effet bénéfique a été retrouvé chez 82,2 % et 67,3 % des patients dans la rhinite allergique et l’allergie alimentaire, respectivement [6].
- Le mepolizumab (disponible depuis 2018), avec le reslizumab et le benralizumab (disponible depuis 2019), fait partie des anticorps monoclonaux qui ciblent la voie de l’IL-5 (les deux premiers ciblant l’IL-5 soluble, le dernier le récepteur à l’IL-5). Tous trois ont fait état d’une réduction des exacerbations sévères annuelles (-48 % contre placebo pour le mepolizumab ; -36 % contre placebo pour le benralizumab [7] et/ou le recours à une corticothérapie orale au long cours chez des patients dont le taux d’éosinophiles > 0,3 g/L pour le mepolizumab (- 50 % contre placebo) et le benralizumab (> 0,4 g/L pour le reslizumab) [8 9]. Ceci est accompagné d’une amélioration des symptômes de l’asthme et de la qualité de vie. Le benralizumab a en outre permis un gain de VEMS de +159 mL. Le mepolizumab et le benralizumab viennent d’être indiqués en cas d’éosinophilie sanguine > 0,15 g/I. Le reslizumab n’est pas remboursé en France.
- Le dupilumab (disponible depuis 2020) est un anticorps monoclonal dirigé contre le récepteur alpha de l’IL-4 et cible les voies de l’IL-4 et 13. Dans l’étude QUEST, dans l’asthme sévère à éosinophiles, il a permis la réduction de 36,9 à 45,5 % des exacerbations sévères annuelles, avec une amélioration du contrôle de l’asthme et du VEMS (+ 240 mL) [10,11]. L’amélioration sur les symptômes et la qualité de vie sont également marqués pour cette biothérapie. L’efficacité était d’autant plus importante que les biomarqueurs de l’inflammation T2 (FeNO - fraction expirée du monoxyde d’azote et éosinophilie sanguine) étaient élevés. Le dupilumab est indiqué chez les asthmatiques allergiques sévères de plus de 6 ans, avec une éosinophilie sanguine > 0,15 g/L et/ou FeNO > 20 ppb (parts per billion). L’hyperéosinophilie est fréquente sous dupilumab, de 13,6 % dans les essais de phase III à 25 % en vraie vie, le plus souvent transitoire et asymptomatique mais justifie d’un monitorage rapproché les 6 premiers mois. Des cas de vascularite sous dupilumab ont été décrits [12].
- Le tezepelumab est la seule biothérapie dirigée contre la TSLP (Thymic stromal lymphopoietin). Il devrait bientôt être commercialisé dans l’asthme sévère allergique (AMM le 19/09/22). L’étude NAVIGATOR [13]a permis d’objectiver une efficacité de 56 % des exacerbations d’asthme (- 54,1 % sur la réduction de la dose des corticoïdes oraux ; + 130 mL de VEMS). Cette efficacité est retrouvée quel que soit le niveau des biomarqueurs, mais s’avère supérieure en cas de phénotype T2 (éosinophilie sanguine > 300 g/L).
Enfin, le pipeline contient d’autres biothérapies à l’essai, comme l’itepekimab, dirigé contre l’alarmine IL-33 libérée à l’instar de la TSLP par les cellules de l’épithélium pulmonaire agressé.
Biothérapies, proposition d’arbre décisionnel
L’omalizumab est la thérapie de choix dans l’asthme sévère allergique, d’autant qu’il contrôle également les comorbidités comme la rhinite et l’allergie alimentaire. Cependant, le dupilumab, le mepolizumab ou le benralizumab ciblant les interleukines en jeu dans l’asthme T2 sont aussi efficaces sur la réduction des exacerbations dans l’asthme sévère à éosinophiles, et ceci quel que soit le statut allergique. « Pour choisir entre les différentes biothérapies, la méthode de l’entonnoir est une solution, propose Clairelyne Dupin, et voici quelques questions pratiques pour y parvenir. »
- La 1ère question est : « Quels sont les biomarqueurs de mon patient » ?
Les 3 biomarqueurs à rechercher dans l’asthme sévère sont la présence d’une allergie à un allergène perannuel (sensibilisation prouvée par prick-tests ou dosage d’IgE spécifiques), une éosinophilie sanguine > 150/mm3 (à défaut une éosinophilie bronchique > 2%) et une FeNO > 20 ppb.
En présence d’une allergie perannuelle, un taux d’éosinophiles > 150/mm3 laisse le choix parmi les 5 biothérapies. En cas d’antécédent d’hyperéosinophilie > 1500/mm3 l’omalizumab, le mepolizumab, le benralizumab et le tezepelumab seront préférés au dupilumab. L’hyperéosinophilie n’est cependant pas une contre-indication formelle à cette dernière biothérapie, mais fera proposer un monitorage rapproché du dosage sanguin d’éosinophiles.
En cas de taux d’éosinophiles < 150/mm3, la mesure de la FeNO permet de scinder le groupe en deux. En cas de mesure > à 20 ppb on pourra choisir parmi omalizumab, dupilumab et tezepelumab). Si la mesure est < 20 ppb les options thérapeutiques sont restreintes à l’omalizumab et au tezepelumab.
En l’absence d’allergie perannuelle, la mesure du nombre d’éosinophiles permet de guider le choix thérapeutique : dupilumab, tezepelumab, mepolizumab, benralizumab pour les patients avec plus de 150 éosinophiles/mm3 (précautions identiques au cas précédent en cas d’antécédent d’hyperéosinophilie > 1500/mm3).
Si l’éosinophilie est < 150/mm3, on mesurera la FeNO et on choisira le tezepelumab si la valeur est inférieure à 20 ppb et le dupilumab ou le tezepelumab si la FeNO dépasse 20 ppb.

Avec l’accord du Dr C Dupin C (CFA 2023)
- La seconde question est : « Quelles sont les comorbidités de mon patient ? »
Cette question afin de privilégier des molécules qui présentent un bénéfice vis-à-vis de ces comorbidités (dermatite atopique, etc.). Par exemple, la présence d’une polypose nasosinusienne fera préférer le dupilumab et le mepolizumab en cas de choix multiples possibles. La présence d’une dermatite atopique fera préférer le dupilumab.
- La 3e question est : « Quelles sont les problématiques de mon patient ? » (corticodépendant, exacerbateur fréquent, qualité de vie très détériorée, etc.).
Ainsi, chez un patient corticodépendant, le choix se portera plus volontiers vers le benralizumab, le mepolizumab ou le dupilumab que vers l’omalizumab (niveau de preuve moindre) ou le tezepelumab (étude négative).
- La 4ème question est : « Ma patiente est-elle enceinte ou a-t-elle un désir de grossesse ? »
Une réponse affirmative oriente vers l’omalizumab au vu des données très robustes issues de registres. D’après le registre EXPECT et la cohorte ajustée QECC, il n’y a pas d’excès de risque chez les femmes enceintes traitées par omalizumab (en terme notamment de petit poids de naissance, de prématurité, de thrombocytopénie néonatale ou de malformation congénitale) [14].
- La 5e question est : « Quelle est la fréquence des injections des molécules éligibles ? » afin de considérer la contrainte la plus faible pour mon patient.

Avec l’accord du Dr C. Dupin (CFA 2023)
Le Dr Dupin déclare les liens d’intérêt suivants :
Participation à des boards : AstraZeneca, Chiesi, GSK, Novartis, Sanofi
Oratrice : AstraZeneca, Chiesi, GSK, Novartis, Sanofi
Invitations à des congrès médicaux : Boehringer, AstraZeneca, Chiesi, GSK, Novartis, Sanofi, Roche
Activité de conseil : Boehringer, AstraZeneca, Sanofi, Roche
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Citer cet article: Asthme sévère : quelle biothérapie choisir ? - Medscape - 29 mai 2023.
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