POINT DE VUE

Fin de la pandémie de COVID-19 : la boucle est-elle bouclée ?

Véronique Duqueroy

Auteurs et déclarations

16 mai 2023

Le 6 mai dernier, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) annonçait la « fin du COVID-19 en tant qu'urgence de santé publique de portée internationale ». L’achèvement d’une pandémie qui aura duré plus de 3 ans et entrainé la mort de près de 7 millions de personnes. Si le directeur général de l’OMS a bien rappelé que le virus « tue toujours, continue de changer et que le risque que de nouveaux variants […] demeure », il en ressort également que de « nombreuses erreurs ont été commises, notamment un manque de coordination, d'équité et de solidarité. » Où en est-on aujourd’hui ? La page peut-elle vraiment être tournée ? Le point avec Benjamin Davido (infectiologue, hôpital Raymond-Poincaré, Garches).

Medscape : Comment interprétez-vous cette nouvelle déclaration de l’OMS ?

Benjamin Davido

Dr Benjamin Davido : L’OMS est parfois maladroite dans sa façon de communiquer. Ses indicateurs de risque peuvent être difficiles à décrypter. On se rappelle que début 2020, l’OMS avait annoncé un risque de pandémie mondiale, puis avait abaissé ce risque à zéro… pour déclarer ensuite qu’il y avait un risque élevé… on n’y comprenait plus rien. Aujourd’hui, la situation s’est certainement améliorée, mais on ne devrait pas partir de ce constat et se convaincre qu'il suffit d'avoir une pensée magique pour que les choses restent comme elles sont. C'est ce qui m'inquiète actuellement, car encore une fois, le virus est bien là pour rester, et il va falloir mettre en place de vraies stratégies de santé publique au niveau mondial.

Medscape : Quel aurait dû être, selon vous, le message de l’OMS?  

Dr Davido : L’OMS estime que, compte tenu d'une immunité acquise dans la plupart des pays, on peut se permettre de descendre d'un niveau l’état d'alerte qui était maximal. Lorsqu'on parle de cette immunité au sein de la population, on sous-entend qu'elle a été acquise principalement par la maladie et qu’elle est durable, sauf qu’en réalité cette immunité n’est pas uniquement collective ou vaccinale, elle est hybride (issue de la maladie et du vaccin). Elle nécessite donc de faire reposer la protection sur une vaccination adaptée, si on veut éviter à nouveau de se retrouver dans une situation délicate.

Face au Covid-19, la situation est sous contrôle dès lors qu'on poursuit les mesures de protection, avec en premier lieu des campagnes de vaccination ciblées. Or la vaccination n’a actuellement pas bonne presse, notamment depuis l’abrogation de l’obligation vaccinale des soignants en début d’année 2023. Il aurait été certainement plus judicieux de dire que les rappels n’étaient plus obligatoires mais restaient largement recommandés, ce qui est un message tout autrement différent. On se souvient du nombre de décès dus au Covid-19 [7 millions], mais il faut aussi se rappeler du nombre de morts épargnés grâce à la vaccination.

Très tôt, on a vu une « cassure » dans les courbes de décès grâce à la vaccination, notamment chez les soignants qui, en première ligne, ont été vaccinés en premier (CPLF2023), avec une absence de décès liés au Covid chez les soignants depuis l’avènement de la vaccination. Si on ne se souvient pas de ce fait, on ne peut pas convaincre du besoin des rappels vaccinaux.

Il faut se rappeler du nombre de morts épargnées grâce à la vaccination, sinon, on ne peut pas convaincre du besoin des rappels vaccinaux.

 

C'est donc une bonne nouvelle que la situation se soit améliorée, mais nous sommes toujours dans la course, un peu comme dans un relais 4 X 100 mètres, et il va falloir passer le flambeau aux vaccins. Aujourd'hui, le paradoxe est qu’alors que les choses vont mieux, le Covid nécessiterait 2 campagnes de vaccination annuelles si l’on veut garder notre avance sur le virus, alors que, pour la grippe – à laquelle on compare souvent le Covid –, une vaccination annuelle suffit depuis la seconde guerre mondiale !

Medscape : Justement, comment les stratégies vaccinales contre le Covid-19 peuvent-elles se comparer, et éventuellement s’imbriquer, à celles de la grippe?

Dr Davido : Cette année, on a observé un effet collatéral « positif » du Covid, celui d’avoir amorti la mortalité de la grippe saisonnière. Alors que l’épidémie était particulièrement virulente avec deux vagues de grippes A et B, on a déploré environ de 1500 morts en France ― en comparaison, il y a eu 3700 décès à l’hôpital dus à Omicron rien que depuis le début d’année 2023 (données SPF). On voit donc que cet écart nécessite d'avoir des organismes de surveillance et des stratégies barrières, dont des campagnes de vaccination face aux agents infectieux respiratoires en général.

La grippe ne dure que quelques mois sur le calendrier (saison automne-hiver), ce qui n’est pas le cas du Covid-19. On voit des patients Covid toute l'année, y compris aux beaux jours. Il faut donc une gestion pérenne face à cette maladie qui dure toute l'année. Or deux campagnes de vaccination par an, y compris chez les plus de 80 ans, ce n’est pas facile à mettre en œuvre. On ne l'a jamais fait, c’est inédit. 

Certes l’OMS se doit d’avoir un message universel qui s'adresse aux pays riches comme aux pays les plus pauvres, mais la réalité est qu’on va vers une santé publique à 2 vitesses où certains pays souhaiteront une vaccination « globale » face aux agents infectieux respiratoires pour les personnes fragiles, avec des vaccins qui pourraient être doublement (grippe-covid), voire triplement combinés (grippe-covid-VRS) et pourront la financer. Tout ceci nécessite une certaine pédagogie. Pourquoi? Parce que nous sommes dans une période d'euphorie post-Covid qui nous déconditionne fatalement face à la gestion de la suite de cette pandémie.

Medscape : Vous insistez sur le fardeau des maladies respiratoires en générale et de leur létalité. Dans quelle mesure?

Dr Davido : Oui, nous avions déjà alerté sur la létalité de ces triples épidémies d’infections respiratoires. À chaque fois, on a découpé le gâteau en plusieurs parts : un morceau qui était celui de la grippe, un autre du Covid, un du VRS, et d’autres maladies etc. Alors que la vraie question est : quels seront, demain, les outils que nous aurons à notre disposition grâce à l'expertise et l'expérience acquises, notamment des vaccins à ARN ? On a compris que la santé publique pouvait être fragilisée par l'arrivée d'un nouvel agent infectieux. En décidant de tourner cette page du Covid de façon radicale, on se met le doigt dans l'œil si l’on considère que les autres maladies « d’antan » n'ont pas leur mot à dire. Et on a d’ailleurs eu un excellent exemple grandeur nature avec le VRS et la grippe cette saison, qui jusqu’alors étaient artificiellement contenues par les gestes barrières et notamment le port du masque.

En tournant la page du Covid de façon radicale, on se trompe en pensant que les autres maladies « d’antan » n'ont pas leur mot à dire.

 

Il est aussi intéressant d’analyser le retour d’autres maladies, comme la variole du singe (Mpox). Cela a nécessité la mise en place d'une campagne de vaccination inédite, et là aussi, récemment, l’OMS a déclaré que l’urgence Mpox était terminée. Cela a été un exploit de gestion face à une épidémie, calqué en partie sur la réponse au Covid, c'est-à-dire : découverte de l'agent, séquençage, vaccination des populations ciblées. On voit également la résurgence des infections à streptocoques, de surcroît dans un contexte mondial soumis à une tension sur les antibiotiques et notamment les dérivés de la pénicilline. Tous ces éléments montrent qu'on a encore beaucoup de choses à anticiper si l’on veut mettre en action tout ce qu'on a appris de cette « crise Covid. »

Medscape : Plus localement, quel message souhaiteriez-vous faire passer à vos confrères non-infectiologues, au moment où l’on semble tourner la page du Covid?

Dr Davido : Chez la plupart de nos confrères, quelle que soit leur spécialité, le message sur la grippe est extrêmement bien rôdé. En revanche, celui concernant le Covid en 2023 est bien plus confus. Or, le premier rempart contre les maladies infectieuses, ce sont les généralistes, les médecins référents (y compris hospitaliers), et si l’on veut préserver cet état de statu quo et de contrôle de la pandémie, il leur faudra impérativement tenir un calendrier vaccinal ― comme on tient un calendrier pour la grippe et autres rappels. C'est quelque chose qu'on a beaucoup de mal à faire rentrer dans les mœurs, et je m’en aperçois au quotidien chez les patients hospitalisés. La phase hospitalière de la gestion du Covid est derrière nous, même si l’on voit toujours des patients en hospitalisation, d’où l’importance de ne pas baisser la garde.

Au début de la pandémie en 2020, les médecins généralistes, et tous les acteurs de santé au sens large, ont su prêter main forte aux infectiologues, ils n’ont pas compté leurs heures pour venir aider à la vaccination, et je crois qu'on peut tous les remercier. Aujourd'hui, ils ont un nouveau rôle, celui de médecin « conseil » en santé publique, au sens de la prévention qui est le meilleur rempart face à la maladie. Comme dit l’adage, « mieux vaut prévenir que guérir ».

Si l’on veut préserver le statu quo, il faudra impérativement tenir un calendrier vaccinal.

Medscape : Combien de patients atteints de Covid voyez-vous actuellement dans votre service?

Dr Davido : Il y a une recrudescence depuis un mois, alors qu’on n’en voyait plus du tout jusqu'à début avril. Globalement, sur les 10 lits de l'Unité « maladies respiratoires », on a quasi continuellement 2 patients Covid avec une forme grave liée à Omicron (100% des séquençages). On n’est plus du tout dans la situation de la tension hospitalière que l’on a connue auparavant, mais on reçoit régulièrement des malades, le plus souvent comorbides ou âgés de > 50 ans. Et ces patients ont tous un point commun : ils n'ont pas eu de rappel vaccinal – le plus souvent depuis 1 an ― ils n'étaient bien souvent pas au courant qu’ils pouvaient bénéficier d’un rappel avec un nouveau vaccin BA.5. Et c'est là qu'on voit qu'il y a un problème de communication. On prend le risque, si l’on n’est pas vacciné régulièrement, de nécessiter plusieurs jours d'hospitalisation, de soins avec de l'oxygène... Alors oui, on est dans une situation où cela va mieux, où l’on jouit d'une immunité hybride, mais à partir du moment où il n’y a plus de masques, de gestes de barrières, de tests ou de suivis, la seule béquille est celle de la vaccination. Sinon, on risque de laisser circuler le virus et ses nouveaux variants...

Les patients COVID hospitalisés actuellement ont tous un point commun : ils n'ont pas eu de rappel vaccinal.

Medscape : Devrait-on craindre l’arrivée de nouveaux variants à court terme?

Dr Davido : Il est toujours possible de voir émerger des variants, en particulier des recombinants voire mêmes des « super variants ». On a aujourd'hui l'exemple de l’Inde, pays le plus peuplé de la planète, où est apparu ce sous-variant d’omicron appelé Arcturus (XBB.1.16). Il est aujourd’hui le 2e variant le plus fréquemment retrouvé aux États-Unis. Il entraîne des conjonctivites avec des symptômes particulièrement gênants et contagieux chez les enfants. C'est évidemment une source de contamination non négligeable. On voit bien que le virus est toujours présent et que la meilleure façon de vivre avec est de nous en protéger.

Medscape : L’OMS a reconnu que des erreurs ont été commises lors de ces 3 dernières années, notamment sur la gestion des mesures de protection contre le SARS-CoV-2. Quelles ont été, selon vous, les occasions manquées?

Dr Davido : Nous aurions dû mieux anticiper le pouvoir mutagène de ce virus et l'émergence des variants. C'est quelque chose que nous n’avons pas vu venir, tout au moins pas aussi rapidement.

Aussi, certains ont été un peu naïfs de croire qu’on n’aurait jamais de rebonds épidémiques, ni besoin de vaccination populationnelle, et surtout qu’il ne faudrait qu’une seule dose. On l'a entendu de façon très ferme lorsque le vaccin est arrivé : des gens disaient que l’épidémie s’arrêterait en avril 2021… Il y avait une grande volonté d'y croire, mais c’était utopique.

Également, on a eu du mal à voir l'intérêt de gérer cette crise de façon globale, internationale. Par définition, une pandémie concerne le monde entier. Or, on l'a souvent considérée comme une épidémie, chaque pays prenant des mesures de son côté ou attendant de voir quelles décisions seraient prises par les autres pays pour emboîter le pas. Dans certains endroits, les masques étaient obligatoires, d’autres pas. Certains ont imposé un confinement de la population, d’autres non… Il y a une vraie marge de progression à faire sur le fait qu’une pandémie nécessite que les mesures soient les mêmes dans l'ensemble des pays. L'OMS a eu beaucoup de mal à orchestrer ce genre de messages, encore une fois probablement en raison des disparités de moyens financiers entre les pays. Mais elle aurait peut-être dû prendre en compte que l'on adhère généralement mieux à une mesure lorsqu’elle est universelle, plutôt que complexe et disparate.

Medscape : Confinement, pass sanitaire… étaient-ce des erreurs?

Dr Davido : Je ne crois pas que le confinement ait été une erreur. Il a été, un peu comme dans un film hollywoodien, un choix extrême pour sauver des vies humaines, parce qu'on ne savait pas quoi faire d’autre. Et il a effectivement permis d’éviter des morts, il y a des études qui le montrent. En France, le confinement n’a duré que deux mois, sur une pandémie d’environ trois ans. S’il n’a pas permis de la stopper, il a indéniablement permis de la ralentir, lorsque la pression sur l’hôpital était trop forte… et il nous a permis de gagner du temps jusqu’à l’arrivée d’un vaccin.

Je ne crois pas que le confinement ait été une erreur...  il nous a permis de gagner du temps jusqu’à l’arrivée d’un vaccin.

 

Quant au pass sanitaire, on peut le qualifier de bonne ou de mauvaise décision, mais il est un exemple de mesure qui a fait l’objet de beaucoup d’hésitations. C'est quelque chose sur lequel personne n’arrivait à se mettre d'accord, même si l’OMS l’avait validé. Un des premiers pays à le mettre en place a été Malte, puis paradoxalement la Suède, et d’autres ont suivi. Il y avait ceux qui y croyaient et d’autres qui n’y croyaient pas. J’ai le souvenir d’une consœur me disant « cela n'arrivera jamais, c'est de la science-fiction ». Mais quoi qu’on dise, c’est une mesure qui a été bien accueillie, car concrètement elle a permis la fin du couvre-feu et des mesures de restrictions dans des conditions encore une fois inédites.

A contrario, la décision de vaccination mondiale a mieux fonctionné, avec pour exemple la création des eurobonds ; et des commandes de vaccins qui ont fait l’unanimité. On a vacciné aussi vite en Europe qu'aux Etats-Unis. Il n’y a eu aucune discussion sur le fait qu'il fallait que tout le monde puisse être sur un même pied d'égalité face à une maladie d’une telle ampleur. Et, encore une fois, qu'est ce qui a permis de ralentir et stopper la pandémie durablement en 2023? Le temps et les vaccins... Gageons désormais que le temps ne jouera pas contre nous, et espérons que l’on saura faire bon usage de ce précieux qu’est la vaccination, que l’on doit à Edward Jenner depuis maintenant plus de 2 siècles.

Inscrivez-vous aux newsletters de Medscape : sélectionnez vos choix

Suivez Medscape en français sur Twitter, Facebook et Linkedin.

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....