Lutte contre l’obésité : « nous demandons avant tout l'augmentation du nombre d'internes »

Jacques Cofard

Auteurs et déclarations

17 mai 2023

Martine Laville

France—Le 27 avril dernier, François Braun, ministre de la Santé, et Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités ont reçu le rapport de Martine Laville, professeure de nutrition à l’Université Claude Bernard de Lyon, sur la prévention et la prise en charge de l’obésité.

L'obésité concerne actuellement 17% des Français, et depuis 1997, l’obésité chez les 18-24 ans a été multipliée par plus de quatre, et par près de trois chez les 25-34 ans.

Le ministère de la santé a annoncé qu'il allait tenter de juguler cette épidémie en travaillant sur 4 axes : « Mieux prévenir, pour diminuer l’incidence de l’obésité en agissant prioritairement sur les plus défavorisés. Mieux soigner, en permettant à un nombre croissant de personnes en surpoids ou en situation d’obésité d’accéder à des soins adaptés à leur situation. Investir dans la recherche et l’innovation, pour parfaire notre connaissance des déterminants de cette maladie complexe et ainsi mettre au point les traitements les plus adaptés. Investir prioritairement les outremers. »

Le point de vue de Martine Laville sur cette lutte contre l'un des maux du siècle.

Medscape édition française : Comment expliquer cette explosion de l'obésité depuis 1997 ?

Martine Laville : L'obésité est une maladie complexe, résultante de susceptibilités individuelles, qui peuvent être génétiques, psychologiques, sociales ou psychologiques... Qui plus est nos modes de vie ont beaucoup évolué ces dernières années, avec une augmentation de la sédentarité, et une modification des rythmes de vie, de la qualité de la nourriture, mais aussi une diminution du temps de sommeil... Nous avons beaucoup moins d'activités physiques, et notre alimentation est un peu plus grasse qu'antérieurement.

Nous avons beaucoup moins d'activités physiques, et notre alimentation est un peu plus grasse qu'antérieurement.

Y aurait-il des catégories socioprofessionnelles ou des territoires pour lesquelles le taux d'obésité aurait diminué ?

Martine Laville : Il n'y a pas vraiment d'endroit où cela diminue, il y a des endroits où c'est moins important qu'ailleurs comme dans le sud, mais cela progresse partout. Il y a une stagnation concernant l'obésité de l'enfant mais lorsque l'on regarde dans le détail, cette stagnation est due à une diminution de l'obésité pour les catégories socio-professionnelles favorisées, alors qu'elle augmente pour les catégories défavorisées, soit 1% d'obésité pour les enfants de cadres et 6% pour les enfants d'ouvriers.

L'Outre-mer est-il plus touché du seul fait de la plus grande précarité dans ses territoires ?

Martine Laville : Il y a d'autres facteurs. Il y a plus de familles monoparentales que dans la métropole, il faut aussi compter sur les particularités de l'alimentation Outre-mer, plus chère, exportée, plus sucrée. Les modes de vie sont aussi plus favorables à la sédentarité.

Peut-on parler d'échec dans la lutte contre l'obésité ?

Martine Laville : Non on ne peut pas parler d'échec car nous ne sommes pas non plus les pires au monde dans ce domaine. Qui plus est, nous observons depuis plusieurs années une stagnation des personnes en surpoids. On a l'impression que les messages de promotion de la santé ont été entendus par certaines catégories socio-professionnelles. Il faut maintenant se concentrer sur les catégories défavorisées. Le PNNS (programme national nutrition santé) est une chose importante, mais éduquer ne suffit pas, il faut avoir des actions importantes sur le changement d'environnement. C'est plus compliqué mais c'est cela qui va faire changer les choses. Aussi, la précarité fait le lit de l'obésité et nous observons actuellement une progression de la pauvreté.

La précarité fait le lit de l'obésité et nous observons actuellement une progression de la pauvreté.

Tous les efforts du ministère de la Santé pour juguler l'obésité peuvent donc être annihilés par l'augmentation de la précarité ?

Martine Laville : C'est ça. C'est pour cela que nous avons un ministère qui s'occupe à la fois de la santé et de la prévention, découplée avec un ministère qui se charge de la solidarité et du handicap. Je pense qu'il y a actuellement une prise de conscience de ce phénomène de la précarité et de ses conséquences sanitaires. Il y a urgence à agir.

Quelle est la position de la France en Europe sur le taux d'obésité ? La France est-elle à l'avant-garde ou à l'arrière-garde pour ce qui concerne les politiques de lutte contre l'obésité ?

Martine Laville : En chiffres, on est plutôt bien, mais les prévisions de l'OMS faites avant le covid et la guerre en Ukraine prédisait un passage à un taux d'obésité adulte à 25, voire 30% à l'horizon 2030, contre 17% actuellement. Nous sommes en dessous de l'Angleterre, de l'Espagne et au même niveau que l'Italie. Il faut donc continuer à agir, nous avons une prise de conscience qui est bonne, mais qui doit être poursuivie. Il faut continuer à faire de la prévention primaire, mais si on veut vraiment agir, il faut cibler. Mes préconisations ciblent les jeunes parents, les enfants, et les personnes précarisées.

Quid des professionnels de santé ?

Martine Laville : Il faut aussi cibler les médecins de premier recours, et les former au dépistage de l'obésité chez les enfants. Et puis, lorsque le médecin détecte un cas d'obésité il faut qu'il y ait des mécanismes qui vont l'aider. En soins primaires il existe des mécanismes, des aides avec des infirmières azalées qui sont des infirmières de santé publique qui peuvent prodiguer de l'ETP (éducation thérapeutique du patient). Il y a aussi 10 programmes expérimentés, qui devrait être généralisés. Ce sont des forfaits de prise en charge globale du patient. Certains sont dédiés à l'obésité de l'enfant, d'autres à l'obésité de l'adulte en soins primaires, etc. Le médecin généraliste dépistant de l'obésité chez un de ses patients va pouvoir l'incorporer dans une prise en charge multidisciplinaire.

Il faut aussi cibler les médecins de premier recours, et les former au dépistage de l'obésité chez les enfants.

Quid des traitements médicamenteux contre l'obésité ?

Martine Laville : Nous allons avoir de l'offre avec un médicament qui est un agoniste du GLP1, le sémaglutide. Ce médicament a passé toutes les étapes nécessaires pour bénéficier de l'autorisation de mise sur le marché au niveau européen. C'est le Wegovy® de chez Novo Nordisk. En France, pour l'instant ce médicament est uniquement disponible en accès précoce, via une initiation hospitalière. La commission de transparence a statué en décembre sur ce médicament pour une prescription initiée par des spécialistes et pour des patients dont l'indice de masse corporelle serait supérieur à 35, ce qui est plus restrictif que l'AMM européenne.

Actuellement, il doit y avoir des négociations entre l'assurance maladie et le laboratoire pour déboucher sur un remboursement. La HAS a par ailleurs publié des recommandations sur ce médicament en indiquant que ce n'est pas un remède miracle, mais qu'il présente un intérêt dans la progression des soins. C'est un médicament tout à fait intéressant que l'on appelle de nos vœux, mais avec toutes les précautions nécessaires, compte tenu du mésusage par le passé de médicaments contre l'obésité.

C'est un médicament tout à fait intéressant que l'on appelle de nos vœux, mais avec toutes les précautions nécessaires.

Vous évoquez aussi les bons résultats de la chirurgie bariatrique...

Martine Laville : Actuellement dans le système de soins, la chirurgie bariatrique est le traitement le plus accessible. Nous ne souffrons pas actuellement d'un manque de chirurgiens, et lorsqu'un patient veut se faire opérer, qui rentre dans les indications, il n'y a pas de grandes difficultés. La difficulté se concentre sur la préparation, le suivi à vie en aval ainsi que la bonne indication. Parmi les expérimentations actuellement menées, il y en trois qui concernent la chirurgie bariatrique pour accompagner la préparation, les bonnes indications, pour qu'il y ait un suivi instauré. Par ailleurs, pour beaucoup de ses patients, il faut une vitaminothérapie, qui n'est pas actuellement remboursée, on l'expérimente actuellement.

Parmi les expérimentations menées, il y en trois qui concernent la chirurgie bariatrique pour accompagner la préparation, les bonnes indications, pour qu'il y ait un suivi instauré.

Vous évoquez aussi le manque de professionnels de santé, en particulier le manque de médecins. Faut-il demander une prise en charge de l'obésité par des infirmiers en pratique avancée ?

Martine Laville : Nous demandons avant tout l'augmentation du nombre d'internes dans le DES, formés d'ici quatre ans. Avant la réforme des DES de 2017, les médecins étaient formés via un DES en endocrinologie, mais il existait aussi un DESC, qui pouvait être fait après un DES de médecine générale par exemple. Or avec cette réforme, ce DESC a disparu et nous avons donc 30 médecins en moins formés aux problématiques de l'obésité.

Nous avons sensibilisé les pouvoirs publics à ce problème, j'ai revu à ce sujet le Pr Touzet qui s'occupe de l'ONDPS (office nationale de la démographie des professionnels de santé) et je pense que nous avons été entendus.

Nous demandons avant tout l'augmentation du nombre d'internes dans le DES, formés d'ici quatre ans.

 

Concernant les IPA, ce pourrait être une solution pour le suivi des patients opérés en chirurgie bariatrique et pour d'autres suivis, mais l'obésité n'étant pas encore considérée comme une maladie chronique, les IPA en maladie chronique ne peuvent donc pas prendre en charge l'obésité. Dans les recommandations que je formule, je souhaite que l'obésité soit considérée comme une maladie chronique, ce qui ouvrirait la voie à une prise en charge des patients obèses par les IPA.

Les infirmières azalées sont reconnues par les médecins généralistes et par la sécurité sociale, il est bon qu'elles aient une formation complémentaire notamment sur les territoires dotés de REPOP (réseaux de prise en charge de l'obésité pédiatrique).

Je souhaite que l'obésité soit considérée comme une maladie chronique, ce qui ouvrirait la voie à une prise en charge des patients obèses par les IPA.

Quel serait le message à délivrer aux médecins généralistes pour la prise en charge de l'obésité de l'adulte et de l'enfant ?

Martine Laville : J'ai préconisé un certain nombre de choses pour les soins primaires. Les médecins ont accès à une consultation spécialisée pour l'obésité de l'enfant, mais pas pour l'obésité de l'adulte. J'ai demandé à ce que cette consultation soit étendue à l'adulte. Les maisons de santé pluridisciplinaire peuvent être affublées de labels, j'ai demandé à ce que ces labels soient étendues à l'obésité de l'adulte. Mais je souhaite aussi que dans chaque CPTS, il y ait un médecin qui ait un intérêt pour la prise en charge de l'obésité, formé via un diplôme universitaire (DU). Il pourrait être le lien avec les PMI ou la médecine scolaire pour orienter les enfants vers une prise en charge, et pourrait aussi orienter les patients dans tous les nouveaux dispositifs issus des expérimentations actuellement testées.

Les médecins ont accès à une consultation spécialisée pour l'obésité de l'enfant, mais pas pour l'obésité de l'adulte. J'ai demandé à ce que cette consultation soit étendue à l'adulte.

 

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