POINT DE VUE

Les pédiatres européens alertent, une nouvelle fois, sur la pénurie de médicaments

Marine Cygler

Auteurs et déclarations

12 mai 2023

Dr Andreas Werner

France – Dans une lettre ouverte commune publiée le 3 mai,  des pédiatres de sociétés de pédiatrie de différents pays européens * interpellent les Ministres de la Santé de leur pays au sujet de la pénurie de médicaments pédiatriques, laquelle « menace la santé des enfants et des adolescents ».

Pour eux, « une telle pénurie de médicaments n’aurait pas été imaginable, il y a quelques années encore, dans nos pays, pourtant tous engagés en faveur du respect des droits de l'enfant ». Ils demandent une réponse politique forte à ce problème qui s'aggrave de semaine en semaine alors qu'on espérait que la fin des épidémies hivernales améliorerait la situation.

Medscape édition française fait le point avec le Dr Andreas Werner (pédiatre, Villeneuve-lès-Avignon), Président de l'Association Française de Pédiatrie Ambulatoire (AFPA).

Medscape édition française : Pourquoi avoir rédigé une lettre commune ? La situation est-elle similaire dans différents pays européens ?

Dr Andreas Werner : A l'occasion d'une rencontre de pédiatres germanophones de différents pays européens – Allemagne, Autriche, Suisse, France, Hongrie et Italie – qui s'est tenue fin avril à Bolzano (Italie), nous avons échangé sur les pénuries de médicaments. Nos situations sont en effet similaires et nous avons décidé de profiter de l'occasion pour rédiger cette lettre ouverte commune car il est tant que ce problème urgent des pénuries soit pris en considération par nos supérieurs. Si le ministre de la santé allemand a déjà réagi, notre appel est resté lettre morte en France. Il faut comprendre que les pédiatres sont dans une situation telle qu'ils ne peuvent plus suivre les recommandations internationales pour soigner les enfants, faute de médicaments disponibles.

Il faut comprendre que les pédiatres sont dans une situation telle qu'ils ne peuvent plus suivre les recommandations internationales pour soigner les enfants.

Quels sont précisément les médicaments pédiatriques pour lesquels il y a une pénurie ?

Dr Andreas Werner : Il y a toujours le paracétamol qui connaît des fluctuations dans l'approvisionnement, les corticoïdes inhalés pour l'asthme ou encore certains corticoïdes oraux. Ce qui nous inquiète le plus, c'est la pénurie d'amoxicilline qui est l'antibiotique le plus important en pédiatrie puisqu'il représente les trois quarts des prescriptions d'antibiotiques.

Fin 2022, on nous disait que la pénurie, débutée en novembre, ne durerait que quelques semaines. Mais cinq mois après, les stocks continuent de diminuer.

Alors on bricole : on utilise des médicaments pour adulte et on demande aux parents de couper et broyer les comprimés ou on raccourcit la durée des traitements. Quand on a recours aux formulations pour adulte, il y a un risque de surdosage et en plus les enfants ne veulent pas les prendre car le goût, amer, leur déplaît. Et quand on raccourcit la durée de traitement faute d'avoir suffisamment de médicaments pédiatriques à disposition, on prend le risque que l'enfant rechute.

A quoi est due cette pénurie ? Etait-elle évitable ?

Dr Andreas Werner : Il y a plusieurs raisons qui ont rendu la situation certes inévitable mais prévisible. Rien n’a été fait pour amortir ses effets attendus. Les raisons ? On constate une recrudescence des pathologies infectieuses, lesquelles avaient drastiquement chuté avec les mesures de distanciation mises en place au début de la pandémie de Covid-19. Avec le port du masque et les confinements, les taux moyens d'anticorps ont diminué. Aussi le retour à une vie normale, tout à fait souhaitable à bien des égards, est aussi synonyme de retour des maladies infectieuses. S'ajoute à cela un mécanisme de dette immunitaire : avant 2020, on dénombrait environ 700 000 cas de varicelle chaque année en France, contre près de deux fois moins pendant la pandémie. Résultat : la prochaine épidémie de varicelle touchera beaucoup plus d'enfants que d'habitude, c'est-à-dire que ceux qui auraient dû l'attraper les deux dernières années l'auront tous ensemble. En outre, il y a eu aussi une diminution de la production d'antibiotiques liées aux politiques de confinements locaux stricts de la Chine, où l'on a délocalisé notre production de médicaments, et à une moindre demande.

Qu'attendez-vous aujourd'hui du ministère de la Santé ?

Dr Andreas Werner : Il faut arrêter de vouloir payer les médicaments le moins cher possible. Cette façon d'envisager l'achat de médicaments n'est pas concevable pour des médicaments rares. On pourrait par exemple organiser des achats groupés en Europe : au lieu d'être concurrents pour obtenir des produits, on négocierait ensemble de gros volumes à un même prix.

A plus long terme, il nous semble indispensable de réfléchir à une relocalisation européenne de la production. Enfin, côté français, il faut encore aider les médecins à diminuer leur prescription d'antibiotique qui est beaucoup trop élevée. Dans un contexte de pénurie, on ne peut pas prescrire des antibiotiques si on n'est pas absolument sûr qu'il s'agit du traitement adéquat. Nous n'avons pas le luxe de gaspiller des antibiotiques [ndlr : au-delà des problèmes d'antibiorésistance engendrés par une surconsommation d'antibiotiques].

On pourrait par exemple organiser des achats groupés en Europe : au lieu d'être concurrents pour obtenir des produits, on négocierait ensemble de gros volumes à un même prix.

 

* les signataires sont : le Dr Andreas Werner (Président de l'Association Française de Pédiatrie Ambulatoire), la Dr Laura Reali (Présidente de l'European Confederation of Primary Care Paediatricians), la Dr Christine Magendie (Vice-présidente de l'European Confederation of Primary Care Paediatricians), le Dr Thomas Fischbach (BVKJ), la Dr Astrid Yvonne Leitner (Association professionnelle des pédiatres du Tyrol du Sud), la Dr Daniela Karall ( Présidente de ÖGKJ) le Dr Marc Sidler (Président de Kinderärzte Schweiz).

 

Suivez Medscape en français sur Twitter.

Suivez theheart.org | Medscape Cardiologie sur Twitter.

Inscrivez-vous aux newsletters de Medscape : sélectionnez vos choix

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....