Pourquoi faut-il s’intéresser à la lipoprotéine (a) ?

Nathalie Raffier

Auteurs et déclarations

15 mai 2023

Pr Vincent Durlach

Montpellier, France – Pourquoi la lipoprotéine (a) est-elle un paramètre qui compte, notamment en diabétologie ? Au congrès de la Société francophone du diabète (SFD 2023) [1], le Pr Vincent Durlach, diabétologue (pôle thoracique et cardiovasculaire, CHU de Reims) est revenu sur cette lipoprotéine athéro-thrombogène, facteur de risque CV négligé mais qui revient sur le devant de la scène [2]. Des thérapeutiques prometteuses sont à l’étude et la Nouvelle Société Francophone d’Athérosclérose plaide pour un dosage unique chez tout individu à risque.

La Lp(a), facteur de risque reconnu de maladie cardiovasculaire

La lipoprotéine (a), ou Lp(a), en réalité une variété de LDL cholestérol, constitue un facteur de risque biologique de maladies cardiovasculaires (atteintes coronariennes, cérébrovasculaires et artérielles périphériques) [3].

Ici, rien à voir avec le mode de vie, mais essentiellement avec la génétique : sa concentration plasmatique est en effet génétiquement déterminée et n’évolue a priori pas au long de la vie, en dehors d’une hausse d’environ 10 % à la suite de la ménopause et de manière ponctuelle en cas d’insuffisance rénale et d’hypothyroïdie.

Particulièrement constante pour un individu donné, sa concentration peut néanmoins décrire une variation interindividuelle de 1 à 1 000 : les concentrations plasmatiques Lp (a) vont de 0,01 à plus de 3 g/L (de 2,5 à plus de 750 nmol/L).

Comprendre son potentiel délétère tient en une simple équation : Lp(a) = LDL + apo(a). En effet, la lipoprotéine(a) associe la lipoprotéine LDL athérogène à une glycoprotéine de taille variable : l’apolipoprotéine(a) liée à l’Apo B100 de la LDL par un pont disulfure. Par conséquent, la Lp(a) est constituée d’une lipoparticule LDL athérogène et d’une apolipoprotein(a) potentiellement thrombogène. La lipoprotéine(a) contiendrait 30 à 45 % de cholestérol.

Une action prothrombotique et antifibrinolytique

La taille de l’apo(a) est inversement liée à la concentration plasmatique de Lp(a). Ainsi, chez les patients qui expriment de petites isoformes d’apo(a), la concentration plasmatique de Lp(a) est plus élevée, associée au risque athérothrombotique et à ses manifestations cliniques (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral ischémique, calcifications et sténose de la valve aortique) [4].

Les études sont consensuelles : l’augmentation de sa concentration circulante est liée à celle du risque d’athérothrombose chez l’adulte, de sténose valvulaire aortique chez le sujet âgé et de maladie thromboembolique chez l’enfant.

« La lipoprotéine(a) entre en compétition avec le plasminogène pour la liaison à la fibrine et aux récepteurs cellulaires du plasminogène, explique le Pr Vincent Durlach. L’inhibition de la liaison et de l’activation du plasminogène entrave la fibrinolyse. C’est pourquoi des concentrations élevées de Lp(a) favorisent la progression des plaques d’athérome grâce à son composant LDL, riche en cholestérol et en phospholipides oxydés (ces derniers sont de plus à l’origine du phénomène de calcification valvulaire interstitielle), et exercent une action anti-fibrinolytique et pro-thrombotique grâce à son composant apo(a). »

Par ailleurs, une hypothèse serait l’interaction entre apo(a) et le récepteur de surface des plaquettes, signifiant une action prothrombotique de la Lp(a).

 

 

Lipoprotéine (a) : mécanismes d’action

OxPL : phospholipides oxydés

(Diapositive Congrès SFD 2023/Montpellier. Avec l’accord du Pr Durlach.)

L’implication de la Lp(a), en prévention primaire comme secondaire

Les affections liées à la Lp(a) sont multiples : un risque cardiovasculaire (accidents vasculaires cérébraux, infarctus du myocarde/IDM) accru, comme celui de calcification et rétrécissement aortique [5,6], d’insuffisance rénale, de diabète, d’hypercholestérolémie familiale et de maladie thromboembolique veineuse.

La Lp(a) contribue à l’augmentation du risque athérothrombotique et à la sténose calcifiante de la valve aortique, comme observé dans les études, que celles-ci soient expérimentales, épidémiologiques ou génétiques. Ceci est confirmé par deux grandes cohortes (Emerging Risk Factors Collaboration, Copenhagen City Heart Study) : l’augmentation de la concentration de Lp(a) et les risques d’IDM, d’AVC et de rétrécissements aortiques sont effectivement liés.

De plus, ce qui vaut pour la prévention primaire vaut également en prévention secondaire. Une étude a montré par exemple, que les patients ayant eu un IDM précoce étaient plus nombreux à présenter une valeur de Lp(a) supérieure à 125 nmol/L (environ 0,50 g/L) par comparaison à la population générale [7].

Une augmentation de 120 nmol/L de la Lp(a) est lié à une élévation de 42 % du risque de maladie coronarienne. Dans une cohorte française (registre RICO), chez 1219 patients hospitalisés pour infarctus du myocarde, la Lp(a) a été dosée à la suite de la coronarographie : 13 % avaient des concentrations de Lp(a) élevées (entre 125 et 250 nmol/L) et 6 % très élevées > 250 nmol/L ou 1g/L [8].

L’augmentation de la valeur de Lp(a) est proportionnelle à la dégradation de la fonction rénale et participe au risque cardio-vasculaire accru des patients insuffisants rénaux. La Lp(a) intervient aussi dans la dégradation de la fonction rénale.

Dans le diabète de type 2, et de manière inexpliquée, c’est plutôt l’inverse, avec un risque accru lié à de faibles concentrations de Lp(a) (<25 nmol/L - 0,1 g/L]), alors même que de fortes concentrations confèrent un risque cardiovasculaire plus important chez les individus diabétiques, de type 1 et 2.

Enfin, en cas d’hypercholestérolémie familiale (HF) homo (HoF) ou hétérozygote (HeF), les concentrations plasmatiques élevées de Lp(a) accroissent un risque cardiovasculaire déjà important. « Les patients dont la Lp(a) dépasse 1,8 g/L (450 nmol/L) ont un risque cardiovasculaire similaire à ceux ayant une hypercholestérolémie familiale hétérozygote ! » compare Vincent Durlach.

9,6 à 13 millions de Français ont une concentration de Lp(a) ≥125 nmol/L (≈ ≥0,5 g/L).

Un dosage unique chez tout patient diabétique

En l’absence de traitement spécifique en mesure de corriger des concentrations élevées de Lp(a), son dosage (test immunologique mis au point au début des années 1990) a été déremboursé il y a plus d’une dizaine d’années. Mais la situation devrait évoluer. Le regain d’intérêt pour ce facteur de risque est motivé par le développement de traitements médicamenteux spécifiques.

Dans son consensus 2021[3], la Nouvelle Société francophone d’athérosclérose (NSFA) appelle de ses vœux à la réalisation et au remboursement du dosage une fois dans sa vie de la Lp(a) dans les situations suivantes : sujets à haut risque cardiovasculaire ou ayant des antécédents familiaux de maladie coronarienne prématurée, hypercholestérolémie familiale, diabète de type 1 ou de type 2 et insuffisance rénale chronique.

Chez les individus d’origine caucasienne, une concentration de Lp(a) supérieure ou égale à 125 nmol/L (environ 0,5 g/L) suggère fortement une augmentation du risque de maladie athérothrombotique et a été adoptée comme seuil provisoire.

Pour information, 9,6 à 13 millions de Français ont une concentration de Lp(a) ≥125 nmol/L (≈ ≥0,5 g/L).

« De manière spécifique chez les patients diabétiques de type 1 et 2 et les prédiabétiques, l’augmentation de la Lp(a) s’associe à une augmentation du risque cardiovasculaire, souligne le Pr Vincent Durlach : en prévention primaire [9]et secondaire [10]chez les prédiabétiques et DT2 et dans le diabète de type 1[11]. Dans ce cas, il faut s’assurer de contrôler au mieux les facteurs de risques habituels : la glycémie, le LDL cholestérol, la pression artérielle, sevrage tabagique. »

Chez tout individu, qu’il soit diabétique ou non, si la Lp(a) est supérieure à 250 nmol/L (environ 1 g/L), le traitement hypolipémiant doit être intensifié, et un traitement antiagrégant plaquettaire mérite d’être considéré si l’on suspecte une athérosclérose infraclinique (score calcique coronarien supérieur à 400 UA, sténose carotidienne supérieure à 50 %).

Ces recommandations ont été complétées par celles de EAS/ESC 2022 [12].

Chez tout individu, diabétique ou non, si la Lp(a) est supérieure à 250 nmol/L (environ 1 g/L), le traitement hypolipémiant doit être intensifié et un traitement antiagrégant plaquettaire envisagé si l’on suspecte une athérosclérose infraclinique.

Un regain d’intérêt pour la Lp(a) portés par des espoirs thérapeutiques

Les traitements habituels des dyslipidémies (mesures hygiéno-diététiques, statines, fibrates, ézétimibe, acide nicotinique), ne réduisent que peu ou pas la concentration de Lp(a).

En revanche, les inhibiteurs de PCSK9 réduisent la concentration de Lp(a) de 20 à 30 % ; une diminution qui n’est pas corrélée à celle du LDL cholestérol.

Actuellement, La LDL-Lp(a) aphérèse (épuration extracorporelle sur le modèle de la dialyse, tous les 15 jours) est performante (- 60 à -75% de la concentration de Lp(a)) mais coûteuse et contraignante, elle est indiquée dans l’hypercholestérolémie familiale sévère et/ou lorsque les anti-PCSK9 ne sont pas suffisamment efficaces.

L’arrivée sur le marché de nouvelles thérapies (oligonucléotides antisens et  petits ARN interférents siARN* anti-apo(a)) susceptibles de réduire de manière très importante sa concentration circulante sont en cours d’essai clinique de phase 3 et 2.

Ces petites molécules peuvent se lier soit à l’ARN messager de l’Apo B100 soit de l’apo(a), limitant ainsi la synthèse protéique hépatique de Lp(a).

Elles permettent des réductions de concentration allant de 67 à 90 %. L’impact de cette réduction sur le plan cardiovasculaire chez des individus aux concentrations élevées de Lp(a) est à l’étude.

« Le dosage de la Lp(a) est un paramètre d’intérêt négligé bien que primordial, insiste le Pr Durlach, non seulement pour stratifier le risque cardiovasculaire chez les sujets à haut risque mais également pour le suivi clinique des patients traités au moyen des nouvelles thérapies hypolipémiantes qui, nous l’espérons, arriveront dans les toutes prochaines années. Outre les inhibiteurs de PCSK9 déjà disponibles, les oligonucléotides antisens (pelacarsen) ou ONAS anti-apo(a) (olpasiran et SN 360), seraient susceptibles de réduire de manière importante la concentration circulante de Lp(a) et, à terme, d’améliorer la prise en charge des personnes à haut risque cardiovasculaire. Les études récentes indiquent qu’une réduction de 0,7 à 1 g/L (164 à 250 nmol/L) de la Lp(a) pourrait produire un effet équivalent à celui d’une diminution 0,4 g/L (1,0 mmol/L) de LDL cholestérol. »

Le dosage de la Lp(a) est un paramètre d’intérêt négligé bien que primordial.

Lp(a) : les points-clés des recommandations NSFA 2021 [3]

Diapositive Congrès SFD 2023/Montpellier, avec l’autorisation du Pr Durlach

 

Le Pr Vincent Durlach (Université de Champagne-Ardenne, UMR CNRS 7369 MEDyC, pôle thoracique et cardiovasculaire de Reims ; CHU de Reims) déclare avoir les liens d’intérêts suivants à ce jour dans le cadre de cette présentation : Études cliniques : Astra-Zeneca, Amgen, Sanofi,Bioprojet, Novo , Novartis / Invitations congrès, boards d’experts, EPU : Amgen, Sanofi, Servier , MSD, Novartis

 

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