France— Dans l'édition du jeudi 27 avril dernier, Le Point a fait paraitre un nouveau palmarès médical qui n'arrête pas, depuis sa publication, de susciter la polémique.
En novembre dernier, le célèbre palmarès des hôpitaux et des cliniques de l’hebdomadaire, publié depuis 1998 par Le Point, a fait l'objet d'une censure. Selon le magazine, la commission nationale informatique et libertés (Cnil) lui a interdit l'accès au programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), base de données à partir de laquelle les équipes rédactionnelle du Point avaient l'habitude de concevoir leur palmarès.
Nolens volens, faute de palmarès des hôpitaux, Le Point a donc fait paraitre un nouveau classement, mais cette fois-ci des... médecins experts (voir le Top 3 des médecins experts/spécialité en fin de texte). But de ce nouveau palmarès qui aura demandé 18 mois de travail : donner les noms des 1000 meilleurs médecins experts dans 14 spécialités données, en compulsant quelque 30 000 publications scientifiques.
Démocratisation
Pour quelles raisons ? Dans un souci de démocratisation, se défend Le Point dans son éditorial : « Qui, parmi les médecins, est reconnu comme un très grand expert d’une discipline, notamment par ses pairs ? Aujourd’hui, pour quelques-uns en France, un ou deux coups de fil permettent d’y répondre : il suffit d’avoir des relations. Le grand public, lui, n’a pas le droit de savoir. »
Fort de cette noble cause, Le Point a donc décidé de mettre à disposition du public l'identité des 1000 « meilleurs médecins ».
Pour ce faire, l'équipe de journalistes à la tâche a confronté deux bases de données, « celle des professionnels de santé éditée par l’Agence du numérique en santé, contenant plus de 312 000 médecins inscrits à l’Ordre, et celle de PubMed, qui regroupe les 35 millions d’études biomédicales publiées dans le monde. Après avoir répertorié les médecins dans 14 disciplines, leurs noms ont été confrontés à ceux issus du téléchargement de cinq années d’études, de 2016 à 2020, contenues dans PubMed, soit au total 6,2 millions d’études. Une fois les plus grands « publieurs » isolés, leurs études ont été regroupées, triées, examinées, puis passées au tamis selon des critères liés à la fois à la qualité de la revue et au rôle de l’auteur pour attribuer un « Score Le Point » à chaque médecin ».
Index du Point
Le résultat de ce travail de documentation est l'édification d'un index, l'index du Point, ou H-Index, dont l'algorithme est calqué sur celui de l'index Sigaps (Système d’Interrogation, de Gestion et d’Analyse des Publications Scientifiques), lequel permet au ministère de la Santé d'accorder des enveloppes budgétaires pour la recherche aux établissements de santé. Sur la méthode, donc, rien à dire. Mais sur la déontologie, c'est une autre affaire, comme le rappelle Le Point, qui a dû batailler avec le conseil national de l'ordre des médecins (Cnom) pour mener à bien son classement : « L’autorité ordinale adressait ainsi le 8 septembre 2022 un courrier à Étienne Gernelle, directeur de la publication du Point. Elle y mentionne l’article 19 du Code de déontologie médicale qui « prohibe la pratique de la médecine comme un commerce » et encadre l’information donnée par les médecins à leurs patients. »
Pour éviter que les médecins présents dans le classement ne fassent l'objet de poursuites devant la justice ordinale, Le Point a décidé d'éviter de publier les coordonnées desdits médecins, et ne les a pas non plus interviewés. Un sacrifice éditorial qui n'a cependant pas été jugé suffisant pour éteindre la polémique.
Réactions
Parmi les premiers à réagir, le syndicat de praticiens hospitaliers APH (action praticien hôpital), qui tacle Le Point : « Si Action Praticiens Hôpital ne remet pas en cause la validité de la méthodologie de ce palmarès ni la qualité de ses lauréats, il s’agit de remettre l’église au milieu du village : non, ce palmarès n’est pas le palmarès du meilleur docteur, mais celui du meilleur publicateur dans les revues scientifiques. Cela n’a rien à voir avec la qualité des soins donnés aux patients ! Profiter de la misère du système de santé et des difficultés croissantes de l’accès au soin pour appâter le chaland en publiant ce genre d’étude n’est pas un bon service rendu au citoyen. »
Dans le même ordre d'idées, le médecin urgentiste Gérald Kierzek s'est lui aussi insurgé à propos de ce nouveau classement, pour plusieurs raisons. Joint par Medscape, Gérald Kierzek ne comprend pas pourquoi des médecins ont joué le jeu, en laissant leur nom apparaître dans ce classement : « Il y avait des consignes de l'APHP pour ne pas répondre à ce classement, et il y a malgré tout des médecins de l'APHP, parfois très proches de la direction, qui sont tout de même classés, ce qui veut dire que les PH ont tout de même répondu. Quid de la réaction du conseil de l'Ordre puisqu'il s'agit malgré tout de publicité ? Quel sera la réaction de l'APHP puisque des praticiens ont désobéi à ses consignes ? »
Surtout, le Dr Kierzek dénonce une tromperie sur la "marchandise" : « il s'agit des meilleurs chercheurs et non des meilleurs médecins cliniciens. Ce ne sont même pas les meilleurs chercheurs, mais plutôt ceux qui ont le plus publié. Nous savons aussi que les médecins qui publient le plus sont ceux qui pratiquent le moins. Souvent le nombre de publications d'un médecin est inversement proportionnel à la qualité de sa pratique clinique, c'est ça la réalité. »
La conséquence de ce nouveau genre de classement peut être dramatique pour l'hôpital public, pense Gérald Kierkek : « ce classement ne fait que mettre sur un piédestal le système du mandarinat. On encense les élites PUPH et on enfonce la médecine générale, et on dégrade un peu plus l'hôpital public, en favorisant le secteur privé à l'hôpital... »
Le Pr Michaël Peyromaure, chef du service d’urologie de l’hôpital Cochin, joint également par Medscape, n'en pense pas moins : « Je pense que ce classement est à côté de la plaque car il fait penser au grand public que les médecins qui y sont classés sont des bons médecins. Or ce classement comme vous le savez est établi à partir d'un seul critère à savoir les publications scientifiques. Qui plus est, en termes déontologiques, nous ne sommes pas censés faire de la publicité nominativement pour un médecin. Mais ce classement donne des noms de médecins alors que le précédent classement du Point ne donnait que des noms de service, de centres hospitaliers ou de cliniques. »
Pour le Pr Peyromaure, les médecins qui publient le plus ne sont pas ceux qui pratiquent le plus : « Faire du soin est beaucoup plus compliqué qu'il y a 20 ans et il en va de même de l'enseignement et de la recherche. Donc si vous voulez vous impliquer dans la recherche académique, c'est souvent au détriment de la prise en charge clinique des patients. »
Tout comme le Dr Gérald Kierek, le Pr Peyromaure regrette que les médecins qui ne publient pas ne puissent être présents dans ce classement : « Ça ne me dérange pas que l'on fasse des classements, mais pas en trompant le public, en affirmant qu'il s'agit là des meilleurs médecins. Je ne suis pas contre le fait de classer des services par exemple, selon des critères objectifs. Je trouve que l'on manque de transparence en France sur les services hospitaliers, mais encore faut-il que les critères de classement soient les bons. »
En parallèle, comme un seul, les grandes organisations médicales et hospitalières ont publié un communiqué commun extrêmement virulent contre ce nouveau classement : « La Conférence des Doyens de Médecine, le Conseil National de l’Ordre des médecins, le Conseil national des universités santé, les Conférences des Présidents de CME de CHU et des Directeurs généraux de CHU s’unissent et s’élèvent ensemble contre le palmarès « Médecins experts 2023 » publié par Le Point (édition 27 avril 2023 n° 2647). Ce classement, qui se fonde sur des informations subjectives et tronquées, porte préjudice tant aux praticiens qu’à la médecine et donc aux patients […] Le classement du Point est injuste et discriminatoire vis-à-vis des médecins experts. Il semble également mettre en doute la capacité des médecins généralistes à orienter leurs patients vers des praticiens de qualité adaptés à leur pathologie. »
Enfin, de son côté, l’Académie Nationale de Chirurgie (ANC) a souligné dans un communiqué qu’il était « louable de vouloir honorer la recherche médicale et ses acteurs, ce d’autant que les financements de la recherche en France se situent actuellement en dessous des standards européens » tout en félicitant « toutes celles et ceux, s’exprimant dans le domaine public ou privé, qui figurent dans ce palmarès et y sont incontestablement à la place qu’ils ou elles méritent ».
Pour autant, l’ANC émet elle-aussi « des réserves sur la démarche et souligne l’ambigüité de son résultat ou de son interprétation biaisée. Aucune règle n’a établi de relation entre la qualité d’un opérateur et le nombre de ses publications. Or cet article, et ses illustrations, veut clairement faire comprendre qu’il révèle le nom de chirurgiens à recommander publiquement plutôt que « sous le manteau » (sic). Sauf que l’information livrée ici est accessible à tout un chacun en 3 clics à partir d’un nom de praticien donné ».
Réponse du Point
Le Point a tenu à répondre à ces critiques en affirmant notamment que « nous n'avons jamais prétendu faire le classement des meilleurs médecins. Nous l'avons écrit et nous le redisons évidemment sans hésiter : on peut être un excellent médecin sans publier. Nous ne disons donc pas que nous avons constitué le palmarès des « meilleurs », mais que ce sont des praticiens experts dans leurs domaines, actifs et entraînés ».
Le newsmagazine balaie d'un revers de la main les accusations de publicité médicale, un délit selon la déontologie des médecins : « Quant à savoir s'il s'agit d'une « publicité déguisée », rappelons qu'aucun des praticiens cités dans le palmarès n'a cherché à se mettre en avant. Ce classement est le résultat d'une longue enquête journalistique basée sur l'expertise. » Reste à connaitre, désormais, la réaction du conseil national de l'ordre des médecins (Cnom).
Qui sont les 3 premiers « praticiens experts » de chaque spécialité ?
Cancers gynécologiques et du sein : Chirurgie
1er Professeur Sofiane Bendifallah
2e Professeur Vincent Lavoué
3e Professeur Philippe Morice
Cancers gynécologiques et du sein : Oncologie médicale
1er Professeur Fabrice André
2e Professeur Isabelle Ray-Coquard
3e Professeur François Bertucci
Cardiologie
1er Professeur Philippe Gabriel Steg
2e Professeur Gilles Montalescot
3e Professeur Erwan Donal
Chirurgie cardiaque
1er Professeur Pascal Leprince Valves
2e Professeur Thomas Modine
3e Docteur Francesco Nappi
Chirurgie thoracique
1er Professeur Élie Fadel
2e Professeur Marco Alifano
3e Professeur Pierre-Emmanuel Falcoz
Chirurgie vasculaire
1er Professeur Stephan Haulon
2e Professeur Nabil Chakfé
3e Professeur Anne-Catherine Lejay
Chirurgie viscérale digestive et endocrinienne
1er Professeur René Adam
2e Professeur Olivier Soubrane
3e Professeur Daniel Azoulay
Dermatologie
1er Professeur Caroline Robert
2e Professeur Brigitte Dréno
3e Professeur Laurent Misery Prurit
Infectiologie
1er Professeur Jean-Michel Molina
2e Professeur Céline Pulcini
3e Professeur Olivier Lortholary
Neurologie
1er Professeur Yves Dauvilliers
2e Professeur Pierre Amarenco
3e Professeur Fabrice Bartolomei
Ophtalmologie
1er Professeur Éric Souied
2e Professeur Christophe Baudouin
3e Professeur Francine Behar-Cohen
Orthopédie
1er Docteur Bertrand Sonnery Cottet
2e Professeur Sébastien Lustig
3e Professeur Matthieu Ollivier
Rhumatologie
1er Professeur Xavier Mariette
2e Professeur Laure Gossec
3e Professeur Yannick Allanore
Urologie
1er Professeur Morgan Roupret
2e Professeur Olivier Traxer
3e Docteur Benoît Peyronnet
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Crédit de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Pourquoi le palmarès des médecins du Point fait polémique - Medscape - 10 mai 2023.
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