Bruxelles, Belgique – Le ministère de la Santé britannique va distribuer un million de cigarettes électroniques pour aider les fumeurs à arrêter. Une idée à importer outre-Manche ? Nos collègues de MediQuality ont interrogé Luk Joossens, expert belge sur les questions liées au tabac.
Un million de fumeurs au Royaume-Uni se voient offrir un kit de démarrage gratuit pour la cigarette électronique dans le cadre d’une nouvelle campagne anti-tabac. Selon le NHS (système de santé publique au Royaume-Uni), les e-cigarettes sont « beaucoup moins nocives » que les cigarettes ordinaires et peuvent aider les personnes qui veulent arrêter de fumer. Les femmes enceintes reçoivent également des récompenses en espèces si elles arrêtent de fumer. Dans le même temps, des mesures plus sévères seront prises contre la vente illégale de cigarettes électroniques, dans l’espoir d’empêcher les enfants et les non-fumeurs de commencer à fumer. Selon le gouvernement, les e-cigarettes deviennent de plus en plus populaires chez les jeunes. « Nous savons que les e-cigarettes ne sont pas une solution magique ou complètement sans risque, mais l’alternative est bien pire », indique un rapport publié par le NHS.
Une bonne idée à implémenter ailleurs ? MediQuality a interrogé Luk Joossens, expert international sur le contrôle du tabac et coéditeur du Tobacco Control Scale [1], un indicateur annuel qui compare l’action des gouvernements dans la lutte pour le contrôle du tabac.
Un million de cigarettes électroniques, c’est spectaculaire, mais est-ce une bonne idée ?
Luk Joossens : Ce n’est pas à priori une mauvaise idée, puisque, dans certaines conditions, la cigarette électronique a été utilisée avec succès par certains fumeurs pour diminuer leur consommation de cigarettes, voire arrêter. Mais cela ne peut fonctionner qu’accompagné d’un suivi très strict et auprès de fumeurs très motivés. Ce n’est clairement pas le cas de cette distribution massive d’un million de cigarettes électroniques, qui n’est pas accompagnée du coaching nécessaire.
Un « coup de pub », donc ?
Luk Joossens : J’ai l’impression que le gouvernement actuel au Royaume-Uni n’est guère favorable à la lutte pour le contrôle du tabac. Cette campagne me semble plutôt une manière bon marché de faire semblant de faire quelque chose et de rejeter la responsabilité sur les fumeurs qui n’auront pas su arrêter de consommer malgré la distribution de cigarettes électroniques. C’est déporter la responsabilité de son assuétude sur le seul consommateur, fumeur et malade, alors que l’on sait bien que les mécanismes en œuvre sont puissants et dépassent l’individu. C’est dommage, parce que la Grande-Bretagne, depuis des années, figurait parmi les très bons élèves pour le contrôle du tabac. Dans la dernière édition du Tobacco Control Scale, un indicateur annuel qui compare l’action des gouvernements dans la lutte pour le contrôle du tabac, elle apparaît encore en tête, avec 82 points sur 100, ex aequo avec l’Irlande [La France se situe juste après]. Pour info, la Belgique végète avec 59 points dans le ventre mou du classement et est même précédé par la Roumanie.
Comment est établi ce score ?
Luk Joossens : De manière transparente, il est formé de scores sur la politique du pays en matière de prix du tabac, d’interdiction de la pub et du parrainage, de mises en garde sanitaire sur les paquets, sur l’interdiction de consommation dans les lieux publics, de vente près des écoles, etc. Chaque pays est côté par un expert de son pays, afin de coller au mieux à la réalité locale. Ces derniers temps, la Grande-Bretagne ne récolte guère plus de progrès dans sa politique. Elle devrait dégringoler dans le classement… sauf si les autres gouvernements se montrent aussi à la traîne.
Pourquoi ce « coup de marketing » est-il une mauvaise idée ?
Luk Joossens : Parce que l’ambiguïté de la cigarette électronique, c’est qu’elle permet de continuer à consommer de la nicotine aux fumeurs dans des lieux qui sont interdits au tabac traditionnel depuis longtemps. Beaucoup de fumeurs deviennent donc consommateurs des deux, cigarette traditionnelle et e-cigarette et augmentent parfois leur consommation totale de nicotine. Les taux d’arrêts définitifs restent modestes et controversés. Mais surtout la cigarette électronique est utilisée par les cigarettiers comme cheval de Troie pour inciter de nouveaux consommateurs à entamer la nicotine. C’est notamment le cas chez les jeunes consommateurs, qui auraient peut-être hésité devant une « vraie » cigarette, mais qui trouvent les dispositifs électroniques « dans le vent » avant de constater, mais trop tard, qu’ils sont entrés dans la spirale de la dépendance. Et puis, en termes d’image, comment dire aux jeunes : « la cigarette électronique, c’est dangereux et il faut l’éviter » alors que vous en distribuez un million aux adultes en disant « c’est un bon produit pour votre santé » ? Sociologiquement, c’est trop contradictoire. Il ne suffit pas d’aller vers des moyens moins nocifs dans l’absolu, mais aussi de jauger leur attractivité, notamment auprès des jeunes, que les cigarettiers tentent toujours autant de faire tomber dans leurs griffes, malgré leurs dénégations.
Cet article a initialement été publié sur Mediquality.net, membre du réseau Medscape.
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Crédit de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Distribuer des cigarettes électroniques par milliers pour lutter contre le tabac, une bonne idée ? - Medscape - 19 mai 2023.
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