TSH : tenir compte des variations saisonnières, plaide un chercheur

Miriam E. Tucker

Auteurs et déclarations

12 mai 2023

New Haven, Etats-Unis – Attention aux variations saisonnières des hormones thyroïdiennes ! Elles pourraient conduire à de faux diagnostics d'hypothyroïdie subclinique et à des prescriptions inutiles de lévothyroxine, s'inquiète Joe El-Khoury (chimiste, université de Yale, New Haven, Etats-Unis).

Il faut dire que, d'après une étude japonaise publié l'année dernière dans le Journal of the Endocrine Society[1] portant sur plus de 7 000 personnes en bonne santé, la TSH varie considérablement au fil des saisons, atteignant son maximum pendant les mois d'hiver de l'hémisphère nord (janvier à février) et son minimum pendant les mois d'été (juin à août).

Dans une lettre publiée récemment dans Clinical Chemistry[2], Joe El-Khoury constate en revanche que les niveaux de thyroxine libre (FT4) dans la population japonaise restent relativement stables tout au long de l'année. « Si vous obtenez un résultat de TSH légèrement élevé et une FT4 normale, essayez de renouveler le test deux ou trois mois plus tard pour vous assurer qu'il ne s'agit pas d'un artefact saisonnier ou d'une augmentation transitoire avant de prescrire ou de prendre inutilement de la lévothyroxine », conseille-t-il.

« Parce que les intervalles de référence ne tiennent pas compte des variations saisonnières, nous signalons un nombre important de personnes comme ayant une TSH élevée alors qu'elles sont normales. Les médecins prescrivent de la lévothyroxine de manière inappropriée à des personnes en bonne santé qui n'en ont pas besoin », a-t-il expliqué à Medscape Medical News, soulignant qu'un traitement excessif peut être préjudiciable, en particulier pour les personnes âgées.

Cette variation saisonnière de la TSH pourrait expliquer entre un tiers et la moitié des 90 % de toutes les prescriptions de lévothyroxine qui se sont avérées inutiles, selon une étude américaine de 2021 [3], ajoute El-Khoury.

 
Cette variation saisonnière de la TSH pourrait expliquer entre un tiers et la moitié des 90 % de toutes les prescriptions de lévothyroxine qui se sont avérées inutiles Joe El-Khoury
 

La Dre Trisha Cubb (endocrinologue,Houston Methodist Hospital, Etats-Unis) a indiqué à Medscape Medical News que la lettre de Joe El-Khoury « soulève un point important, à savoir la nécessité de s'interroger sur les intervalles de référence, en particulier lorsque de plus en plus d'études montrent que de nombreuses prescriptions d'hormones thyroïdiennes ne sont peut-être pas nécessaires ».

Elle considère aussi que renouveler les examens de laboratoire dans certains cas est opportun. « Je pense qu'il est important de répéter les résultats, en particulier chez nos patients atteints d'une maladie subclinique ».

Elle a également souligné que la variation saisonnière n'est pas la seule variable pertinente. « Nous savons également que de multiples facteurs cliniques tels que la grossesse, les comorbidités ou l'âge peuvent influencer ce que nous, en tant que cliniciens, considérons comme une fourchette de TSH acceptable chez un patient donné ».

En outre, des médicaments, tels que les corticoïdes, ou des suppléments comme la biotine, « peuvent tous affecter les valeurs de laboratoire de la thyroïde », a-t-elle fait remarquer. « Il est important de s'assurer que les anomalies mineures ne sont pas transitoires avant d'entamer un traitement médical. Tout traitement médical comporte des effets secondaires possibles, sans parler des coûts et de la surveillance indispensable».

 
Je pense qu'il est important de répéter les résultats, en particulier chez nos patients atteints d'une maladie subclinique Trisha Cubb
 

Des intervalles de référence de la TSH adaptés aux sous-populations

Quelle est l'ampleur des variations saisonnières de TSH observées dans l'étude japonaise ? « La limite supérieure de la population suivie va de 5,2 mUI/L en janvier à 3,4 mUI/L en août. Il s'agit donc d'un changement de concentration de près de 2 unités » rapporte Joe El-Khoury. Avant de poursuivre : « En revanche, les intervalles de référence des laboratoires, généralement fixes, ne changent pas en fonction de la saison ». Plus la TSH est élevée, plus une personne est susceptible de souffrir d'hypothyroïdie.

Différentes études récentes ont montré qu'il y avait aucun avantage au traitement par lévothyroxine avec des niveaux de TSH inférieurs à 7,0-10,0 mIU/L, rappelle Joe El-Khoury, qui propose que la limite soit donc fixée à 7,0 mIU/L et jusqu'à 10 mIU/L dans certains cas. « Quoi qu'il en soit, il faut passer à des seuils de traitement fondés sur les résultats cliniques », considère-t-il. Cette approche est déjà utilisée pour les décisions relatives au traitement hypocholestérolémiant ou à la supplémentation en vitamine D, par exemple.

Concernant l'idée d'un seuil de TSH de 7 mUI/L pour diagnostiquer l'hypothyroïdie subclinique, la Dre Cubb pense que « cela dépend vraiment de la population concernée. » Elle rappelle que chez une patiente âgée, une TSH plus élevée peut être moins préoccupante sur le plan clinique que chez une femme qui essaie activement de tomber enceinte.

« Dans l'ensemble, je pense que nous devons mieux comprendre quels sont les intervalles de TSH appropriés dans des sous-populations spécifiques et, avec le temps, rendre ces données plus compréhensibles et plus accessibles aux médecins généralistes et aux prestataires de services spécialisés » a-t-elle ajouté.

Concernant les données issues de l'étude japonaise citée par Joe El-Khoury, elle se montre plus réservée, soulignant qu'il s'agissait d'une population d'étude très spécifique. « Nous aurions besoin de plus de données montrant que ces résultats sont plus généralisables ». En outre, elle rappelle qu'il existe des variations diurnes de la TSH. « Dans l'étude [japonaise], les dosages thyroïdiens ont eu lieu entre 8 et 9 heures du matin, alors que les patients étaient à jeun. Souvent, aux États-Unis, les analyses de la thyroïde ne sont pas effectuées à des heures précises ou à jeun. Je pense que c'est l'un des nombreux facteurs à prendre en compte », fait-elle remarquer.

Reconnaître les variations saisonnières serait un début

Cela dit, elle considère que l'étude et la lettre de Joe El-Khoury mettent à raison le projecteur sur la saison, « un facteur auquel nous ne pensons généralement pas et qui pourtant peut affecter les résultats des analyses de laboratoire ».  « Je pense que de nouvelles données vont être publiées au fur et à mesure. Ce seront des données plus généralisables. Et c'est ainsi que des recommandations fondées sur des preuves vont être générées au fil du temps » anticipe-t-elle.

Pour Joe El-Khoury, résoudre les problèmes liés aux intervalles de référence des laboratoires nécessiterait un effort conjoint des sociétés médicales professionnelles, des laboratoires de référence et des fabricants de tests. Mais compte tenu des variations saisonnières, la tâche pourrait s'avérer difficile.

 
Nous aurions besoin de plus de données montrant que ces résultats sont plus généralisables Trisha Cubb
 

Financements et liens d’intérêts

Joe El-Khoury and et la Dre Cubb n'ont pas rapporté de lien d'intérêt pour ce sujet.

Cet article a initialement été publié sur Medscape.com sous l’intitulé Seasonal Variation in Thyroid Hormone TSH May Lead to Overprescribing. Traduit et adapté par Marine Cygler

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