Certains médicaments anti-Alzheimer accéléreraient la perte de volume cérébral

Megan Brooks

Auteurs et déclarations

11 mai 2023

Melbourne, Australie – Les médicaments anti-amyloïdeβ (anti-Aβ), utilisés dans le traitement de la maladie d'Alzheimer, pourraient compromettre la santé du cerveau à long terme en accélérant l'atrophie cérébrale, d'après une méta-analyse des données d'IRM provenant d'essais cliniques.

Selon la classe de médicaments anti-Aβ, ces agents semblent accélérer la perte de volume du cerveau entier et de l'hippocampe ou encore augmenter le volume ventriculaire, notent les chercheurs, dont l'étude a été publiée en ligne le 27 mars dans Neurology[1].

« Ces données sont préoccupantes, mais nous ne pouvons pas encore tirer de conclusions définitives. Toutefois, l'interprétation classique est que ces changements de volume témoignent de la progression de la maladie », a expliqué le chercheur Scott Ayton (Université de Melbourne, Australie) à Medscape Medical News.

« Les médecins devraient prendre en compte ces données préliminaires quand ils envisagent de prescrire des thérapies anti-amyloïdes. Et, comme pour tout effet secondaire, ils doivent informer les patients du risque d'atrophie cérébrale, et les patients devraient être activement surveillés pour cet effet secondaire » recommande-t-il.

Un passage plus rapide des troubles cognitifs légers à Alzheimer ?

Scott Ayton et ses collègues ont évalué les changements de volume cérébral dans 31 essais cliniques de médicaments anti-Aβ pour lesquels avait été démontré un changement positif pour au moins un biomarqueur d'Aβ pathologique. Il fallait aussi que des données IRM suffisamment détaillées soient disponibles pour évaluer les changements volumétriques dans au moins une région du cerveau. La méta-analyse portait sur la dose la plus élevée dans chaque essai. Elle a montré une accélération induite par le médicament des changements de volume de l'hippocampe, des ventricules et du cerveau entier. 

Ces changements de volume diffèrent selon la classe de médicaments anti-Aβ utilisée. Ainsi les inhibiteurs de la sécrétase ont accéléré l'atrophie de l'hippocampe avec une différence moyenne de – 37,1 μL (–19,6 % par rapport au changement constaté dans les groupes placebo) et du cerveau entier avec une différence moyenne de – 3,3 mL (– 21,8 % par rapport au changement dans les groupes placebo), mais il n'y a pas eu de changement au niveau des ventricules.

Les anticorps monoclonaux ciblant les plaques amyloïdes β ont provoqué une augmentation accélérée de la taille des ventricules avec une différence moyenne de +1,3 ml ( +23,8 % par rapport au changement dans le placebo). Ce sont les anticorps monoclonaux qui induisent des anomalies d'imagerie liées à l'amyloïde (ARIA) (+2,1 ml ; +38,7 % par rapport au changement dans le placebo) qui en sont responsables. Les chercheurs soulignent qu'il existe une « corrélation frappante entre le volume ventriculaire et la fréquence des ARIA ».

Quant à l'effet des anticorps monoclonaux induisant des ARIA sur le volume cérébral total, on observe une perte accélérée du volume cérébral total avec le donanemab avec une différence moyenne de – 4,6 ml (+23% par rapport au changement dans le placebo) et avec le lecanemab avec une différence moyenne de –5,2 ml (+36,4% par rapport au changement dans le placebo). Ceci n'a pas été observé avec l'aducanumab et le bapineuzumab. Les anticorps monoclonaux n'ont pas provoqué de perte de volume accélérée dans l'hippocampe, qu'ils aient induit ou non une ARIA.

Les chercheurs ont également modélisé l'effet des médicaments anti-Aβ sur les changements de volume cérébral. Dans cette analyse, chez les participants atteints de troubles cognitifs légers (MCI) et traités avec des médicaments anti-Aβ, on a observé une régression des volumes cérébraux typiques de la MA environ huit mois plus tôt que leurs pairs non traités.

Les données, notent les auteurs, « permettent de tirer des conclusions solides concernant l'effet des classes de médicaments anti-Aβ sur différentes structures cérébrales. Mais l'absence de données individuelles sur les patients (qui n'ont pas encore été publiées) limite l'interprétation de nos résultats ». Dans quelles régions du cerveau les médicaments anti-Aβ ont-ils leurs effets ? Les changements de volume sont-ils liés à l'ARIA ? Et/ou à la perte de plaques, aux résultats cognitifs/non cognitifs ? Ou encore à des facteurs cliniques tels que l'âge, le sexe et le génotype APOE ε4 ? Autant de questions qui doivent être explorées, selon Scott Ayton.

Des effets à surveiller, des données à étudier

D'ailleurs, l'équipe de chercheurs demande aux comités des surveillance et de suivi des données d’essais cliniques (DSMB – Data Safety Monitoring Board) d'examiner les données volumétriques pour les essais des médicaments anti-Aβ afin de déterminer si la sécurité des patients est menacée, en particulier chez ceux qui développent une ARIA.

En outre, ils notent que les comités d'éthique qui approuvent les essais de médicaments anti-Aβ devraient demander que le suivi à long terme des volumes cérébraux soient "pris en compte dans la conception des essais afin de déterminer si l'atrophie cérébrale est progressive, en particulier chez les patients qui développent une ARIA », détaillent-ils.

Enfin, ils ajoutent que les laboratoires pharmaceutiques qui ont mené des essais de médicaments anti-Aβ devraient interroger les données antérieures sur le volume cérébral, rendre compte des résultats et publier les données pour que les chercheurs puissent les étudier.

« Cela fait des années que j'insiste sur ce point », a déclaré Scott Ayton. « Malheureusement, le fait que j'aie soulevé cette question n'a donné lieu à aucune réponse. Les données ne sont pas disponibles et les questions fondamentales n'ont pas été posées (publiquement) ».

Une recherche louable

Dans un éditorial qui accompagne l'article, le Dr Frederik Barkhof (Amsterdam University Medical Centers, Pays-Bas) et le Dr David Knopman (Mayo Clinic Alzheimer's Disease Research Center, Etats-Unis) s'enthousiasment pour ce travail et considèrent que les chercheurs devraient être "félicités" pour leur analyse [2].  « La réalité en 2023 est que la pertinence des réductions du volume cérébral dans ce contexte thérapeutique reste incertaine », écrivent-ils.

« Des périodes d'observation plus longues seront nécessaires pour savoir si les pertes de volume cérébral se poursuivent à un rythme accéléré ou si elles s'atténuent ou disparaissent. En fin de compte, ce sont les résultats cliniques qui importent, indépendamment des modifications de l'IRM », concluent les Drs Barkhof et Knopman.

Financements et liens d’intérêts

La recherche a été financée par le Conseil national australien de la santé et de la recherche médicale. Scott Ayton a déclaré avoir été consultant pour Eisai au cours des trois dernières années. Le Dr Barkhof a déclaré avoir été membre du DSMB pour Prothena et les études A45-AHEAD, membre du comité directeur pour Merck, Bayer et Biogen, et consultant pour IXICO, Roche, Celltrion, Rewind Therapeutics et Combinostics. Le Dr Knopman a déclaré avoir fait partie du DSMD pour l'étude Dominantly Inherited Alzheimer Network Treatment Unit ; avoir fait partie d'un DSMB pour une thérapie tau pour Biogen (jusqu'en 2021) ; avoir été investigateur pour des essais cliniques sponsorisés par Biogen, Lilly Pharmaceuticals, et l'Université de Californie du Sud. Il a déclaré avoir été consultant pour Roche, Samus Therapeutics, Magellan Health, BioVie et Alzeca Biosciences, et avoir assisté à une réunion du conseil consultatif d'Eisai pour le lecanemab en 2022.

Cet article a initialement été publié sur Medscape.com sous l’intitulé Anti-Amyloids Linked to Accelerated Brain Atrophy . Traduit et adapté par Marine Cygler.

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