Montpellier, France – A la mi-2023, déjà 15 000 personnes diabétiques de type 1 en France sont équipées d’un « pancréas artificiel » ou boucle fermée hybride, et ce chiffre ne cesse de progresser. Si l’amélioration du contrôle de la maladie et la réduction des hypoglycémies sont démontrées, les données sur l’impact émotionnel sont rares.
IMPLIQUE, une étude originale en France et à l’international a exploré les multiples dimensions du fardeau de la maladie et de la qualité de vie sous boucle fermée. Alors que la charge mentale et l’anxiété liées au diabète sont réduites chez l’adulte, l’étude met l’accent sur certaines discordances entre l’amélioration métabolique attendue grâce au pancréas artificiel, le bien-être et la charge mentale, variable selon l’âge. Au congrès de la Société francophone du diabète (SFD 2023, Montpellier)[1], l’étude IMPLIQUE et ses différents volets faisaient partie des nombreuses interventions sur la boucle fermée[2].
Différents systèmes de boucles fermées
A date, en avril 2023, trois systèmes de boucle fermée hybrides sont indiqués dans le diabète de type 1 (DT1) et remboursés en France aujourd’hui, dont les deux premiers sont prescrits à parts égales. Le système Medtronic Minimed 780G (indiqué dès 7 ans à des fins d’amélioration du contrôle glycémique (HbA1c, fréquence des hypoglycémies) et/ou de la qualité de vie. Dès l’âge de 6 ans, Tandem Control-IQ est pour sa part restreint aux personnes diabétiques dont l’HbA1c est > 8 % ou sujets à des hypoglycémies sévères (indications guidées par celles du remboursement du dispositif de mesure continue du glucose/CGM, le Dexcom G6). En attendant une nouvelle pompe, la commercialisation du système Diabeloop DBLG1 est stoppée.
« Depuis 2022, notre centre de diabétologie a équipé 325 patients sur les 2300 sous pompe à insuline que comptent notre file active, estime le Pr Éric Renard (endocrinologue-diabétologue, Hôpital Lapeyronie, Montpellier), président de l’édition 2023 du congrès, d’où un potentiel important. De plus en plus de patients ont une boucle fermée et notamment les enfants chez qui le contrôle glycémique s’améliore nettement, et qui n’ont presque plus d’hypoglycémies nocturnes. » D’autres systèmes se bousculent au portillon, comme le système anglais (CamDia APS, une application sur smartphone connectée à une pompe et à un capteur de glycémie) qui est en cours de validation par le Comité économique des produits de Santé de la HAS, pour une utilisation dès l’âge de 2 ans.
L’OmniPod 5 est très attendu. Encore en expérimentation, ce sera le premier système d’insulinothérapie avec une patch-pompe (sans cathéter), connecté au Dexcom G6 et à une application pour programmer les bolus d’insuline. Les résultats avec l’OmniPod 5, issus d’études non randomisées, sont très bons, dès l’âge de 1 an. Les études randomisées versus le traitement conventionnel par pompe à insuline débutent chez l’adulte (HbA1c > 8%) actuellement en France.
« Je vais en outre coordonner un essai chez les 2-18 ans avec installation de la boucle fermée dans les 3 à 6 mois suivant le diagnostic versus le traitement classique par pompe ou multi-injections chez 112 enfants, annonce le Pr Renard, l’objectif étant de démontrer l’intérêt de l’insulinothérapie automatisée dès le diagnostic, sans le passage obligé par une période probatoire par dispositif de mesure continue du glucose interstitiel et multi-injections ou pompe à insuline. »
IMPLIQUE, la boucle fermée permet-elle d’aider à vivre avec la maladie ?
Éliminer les hypoglycémies et optimiser le contrôle glycémique sont la finalité de la boucle fermée. Celle-ci permet d’alléger la gestion de l’insulinothérapie et ainsi de diminuer la charge mentale et le risque de détresse liée au diabète. Mais aucune étude n’a ciblé son impact sur le fardeau du diabète dans ses multiples dimensions.
Étude interventionnelle longitudinale, prospective, multicentrique, IMPLIQUE « Adultes »[3] a cherché à évaluer chez des patients DT1 sous pompe et MCG depuis au moins 6 mois, l’impact d’une boucle fermée sur le fardeau du diabète et sur la qualité de vie après 6 mois d’utilisation. Elle concluait à une réduction de la charge mentale imposée par la maladie, même si une forte proportion de patients conservent une détresse liée au diabète.
Entre septembre 2021 et janvier 2022, 257 patients DT1 ont été suivis, dont 202 adultes âgés de 42,4 ans en moyenne (± 14 ans) (58 % de femmes, ancienneté du diabète de 24,1 ± 13 ans, HbA1c initiale 7,5 ± 0,9 %, temps dans la cible de 57,5 ± 14,4 %, coefficient de variabilité glycémique à 36.7 % ± 5 %, utilisation du capteur de 92 %).
« A l’activation de la boucle fermée, le score PAID (qui illustre le fardeau lié à la maladie) était de 47 avec 65 % de patients en détresse émotionnelle, observe le Pr Yves Reznik, chef de service Endocrinologie diabétologie du CHU de Caen qui a co-coordonné l’étude. La qualité de vie est altérée pour 41,5 % des patients avec un score ADDQOL (qualité de vie) de -0,6 (de -3 à +3) avec une imputabilité du diabète pour 64 %. Le score de fatigue est significatif chez 48 %, une anxiété modérée à sévère retrouvée chez 25 % et un sommeil altéré chez 51,8 % des patients. »
Le Pr Renard le confirme : « C’est ce que nous constatons en pratique courante. Les adultes, bien que leur taux d’HbA1c soit relativement correct, se sentent très mal vis-à-vis de la maladie avec un très haut niveau de charge mentale. » Les variables associées à un score PAID de détresse sévère sont le sexe féminin (p=0,05), la présence d’une rétinopathie (p<0,05) et d’une neuropathie (p<0,01).
Une fois la boucle fermée en place, le score PAID progresse de 7 points à 6 mois (p<0,001) avec 50,3 % des patients avec détresse émotionnelle sévère persistante. Même évolution pour le score ADDQOL qui s'élève à 1,3 à 6 mois (p<0,001) mais la qualité de vie reste altérée pour 30 % des patients. Pour Yves Reznik, « l’étude a globalement permis d’objectiver un impact favorable sur fardeau du diabète et la qualité de vie d’un dispositif de boucle fermée hybride après 6 mois d’utilisation au sein d’une cohorte de DT1 sous pompe à insuline et CGM ».
Les modifications de la perception du diabète à 6 mois portent sur le stress, l’anxiété, et la peur des hypoglycémies. « Après 6 mois (et dès 3 mois), l’efficience métabolique de la boucle fermée est confirmée et le fardeau du diabète diminue significativement, constate le Pr Renard. Rapidement, grâce à la boucle fermée hybride, en 3 à 6 mois, on note une amélioration de la charge mentale imposée par la maladie, pourtant 47 % conservent un score PAID supérieur à 40. »
Un fardeau du diabète allégé chez les adultes, mais pas chez les adolescents
Il est admis que la boucle fermée hybride permet d’alléger la gestion de l’insulinothérapie chez les jeunes DT1. Néanmoins, si la boucle fermée aide à vivre en allégeant le fardeaux lié à la maladie chez les adultes, rien d’aussi net chez les adolescents, d’après le volet « mineur » d’IMPLIQUE [4]. En tant qu’étude interventionnelle longitudinale, prospective, multicentrique, IMPLIQUE a évalué chez des jeunes DT1 sous pompe et MCG ≥ 6 mois, le fardeau du diabète et sur la qualité de vie avant l’installation d’une boucle fermée hybride puis à 3 et 6 mois d’utilisation. De 2021 à janvier 2022, 101 diabétologues (23 pédiatres) ont suivi 55 mineurs âgés de 15,1 ± 1,3 ans (54,5 % de filles, diabète de 7 ± 3,8 ans, HbA1c à l’inclusion 7,4 ± 0,9%, temps dans la cible de 53 ± 13,9%, coefficient de variabilité glycémique à 38,1 ± 6% et un temps d’utilisation du capteur de 93 %).
« Au moment de l’activation du pancréas artificiel, le score PAID (« fardeau ») est de 34 avec 42 % de patients en détresse émotionnelle, décrit le Dr Elizabeth Bonnemaison, pédiatre et principale auteure d’IMPLIQUE « mineurs ».
La qualité de vie est altérée chez 25,5 % d’entre eux : le score ADDQOL est de -1,1 (-3 à +3) et 34,5 % considèrent une imputabilité du diabète dans le niveau de la qualité de vie. Une activité physique satisfaisante est présente chez 87 % avec un score de fatigue significatif chez 48 %, une anxiété modérée à sévère retrouvée chez 22 % et un sommeil altéré chez 59,2 %. » Là aussi, ces chiffres concordent avec la vie réelle.
« Les adolescentes ont beau avoir un équilibre glycémique moyen similaire aux adultes, ils se sentent pourtant mieux avec une moindre charge mentale comparativement aux adultes (75 % estiment avoir une bonne qualité de vie). » Selon les résultats de l’étude, chez eux l’apport de la boucle fermée n’est pas significatif sur le plan émotionnel.
Ca l’est sur le plan glycémique : 25,5 % d’adolescents DT1 avaient une HbA1c< 7 % au départ et 76 % à 6 mois. Néanmoins, le score PAID se maintient à 34,5 à 3 et 6 mois (NS) avec respectivement 45 % puis 37 % des adolescents en détresse émotionnelle. Le score ADDQOL est stable à 3 mois (1,2) et 6 mois (1,3) (NS). Cependant, la qualité de vie est altérée chez moins de patients (17 % contre 26 %).
Pour le Dr Bonnemaison, « IMPLIQUE a permis d’objectiver l’impact du diabète chez des jeunes de 13-18 ans même si celui-ci est moins marqué que chez l’adulte. Par ailleurs, le fardeau du diabète et la qualité de vie ne paraissent pas modifiés par la boucle fermée hybride ». « On remarque que les jeunes qui se sentent le plus mal sont surtout des femmes (78 %), ce qui rejoint ce que nous constatons au quotidien, ajoute Éric Renard. Les jeunes adolescentes ont plus de difficultés à vivre avec le diabète parce qu’elles ont tendance à prendre du poids. Leur image corporelle est altérée par la maladie. »
Ces données ont été obtenues avec les systèmes de boucle fermée actuels qui sont tous « hybrides », du fait de la nécessité pour le patient de déclarer les glucides des repas ainsi que l’activité physique. Mais « la boucle fermée hybride pourrait d’ici à quelques années être complètement automatisée, assure le Pr Renard. Des études publiées [5] ou en cours ont montré la possibilité d’accroître la réactivité des systèmes de boucle fermée sans déclaration des glucides des repas avec des résultats sont très encourageants. Mais d’ici-là, l’objectif est que tous les patients avec un DT1 qui peuvent – et qui le souhaitent – bénéficier du pancréas artificiel en soient équipés. »
Le Pr Reznik déclare n’avoir aucun lien d'intérêt avec sa présentation.
Le Pr Bonnemaison déclare n’avoir aucun lien d'intérêt avec sa présentation.
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Citer cet article: Le pancréas artificiel allège le fardeau du diabète - Medscape - 3 mai 2023.
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