Sevrage tabagique chez les patients diabétiques : aspects pratiques

Nathalie Raffier

Auteurs et déclarations

27 avril 2023

Montpellier, France – Le tabagisme constitue un facteur de risque de dégradation de l’équilibre glycémique, de mortalité et de complications macro et microangiopathiques.

Chez les patients diabétiques, la question du sevrage tabagique ne se pose donc pas.

Le consensus d’experts SFD-SFT détaillé au congrès de la Société francophone du diabète [1] reprend les fondamentaux en matière de sevrage tabagique à la lumière des études conduites spécifiquement en population diabétique [2], trop rares.

Le sevrage tabagique chez le patient diabétique est une absolue priorité

L’HbA1c est plus élevé chez les fumeurs actifs (+ 0,12% par 20 paquets/année) non-DT2 et les ex-fumeurs (+ 0,03 %) que chez les non-fumeurs [3].

Pr Vincent Durlach

« Lorsque le diabétique est traité et qu’il est fumeur, précise le Pr Vincent Durlach, diabétologue et tabacologue (CHU de Reims), co-responsable du groupe de travail SFT-SFD « Tabagisme et Diabète », son équilibre glycémique est de moins bonne qualité ; s’il est traité par insuline, sa résorption retardée pourrait participer à un équilibre glycémique plus instable. A noter, cette instabilité glycémique est plus fréquente chez les diabétiques de type 1 et le risque d’hypoglycémies sévères est augmenté. Le sevrage tabagique chez les sujets prédiabétiques et les patients DT1 et DT2 fumeurs n’est donc pas une option : c’est primordial pour diminuer la mortalité toutes causes et/ou cardiovasculaire, et pour réduire et/ou limiter les complications microangiopathiques. Or, cette mesure thérapeutique essentielle n’est pas suffisamment prise en considération par les professionnels de santé en diabétologie [4]. »

Le sevrage tabagique chez les sujets prédiabétiques et les patients DT1 et DT2 fumeurs n’est donc pas une option : c’est primordial. Pr Vincent Durlach

Sevrage tabagique chez les patients diabétiques, quelques principes

Peu d’études sont conduites de manière spécifiques sur le sevrage tabagique parmi la population diabétique, reposant sur des interventions psycho-comportementales (intervention brève, entretien motivationnel, soutien téléphonique, autosupport numérique, activité physique, éventuellement intégrés dans des programmes d’éducation thérapeutique) associées ou non à une intervention pharmacologique (substitution nicotinique, bupropion, varénicline), ce qui ne permet pas d’analyser l’effet isolé de ces interventions [5].

Ainsi, l’entretien motivationnel montre un bénéfice, avec 1,4 à 7 fois plus de sevrage du tabac chez les patients diabétiques de type 1 et 2, tout en conservant à l’esprit que la majorité des études sur ce point proposaient simultanément des aides pharmacologiques dans le groupe intervention.

Dans une autre étude conduite chez 280 diabétiques de type 2, une intervention d’aide au sevrage pratiquée par une infirmière tabacologue associant entretien, substituts nicotiniques si nécessaire et suivi personnalisé, faisait état d’une réduction de la consommation tabagique à 6 mois, et ce, par rapport aux soins habituels de simples conseils d’arrêt (17 % contre 2,3%, p<0,001) [6].

En attendant des études d’intervention thérapeutique portant sur des effectifs plus larges de patients diabétiques, les spécialistes s’accordent pour considérer que les évaluations menées en population générale peuvent être transposées en population diabétique.

 Le Pr Vincent Durlach précise : « aucune donnée à ce jour ne permet de recommander la modification du traitement à visée antidiabétique préalablement au sevrage. Dans l’année suivant le sevrage, une surveillance renforcée des paramètres glycémiques et du poids s’avère indispensable. Une méta-analyse portant sur 62 études [7] a souligné que la prise de poids, bien que fréquente (+ 4 à 5 kg après 12 mois d’abstinence) survient essentiellement dans le 1er semestre suivant le sevrage et n’est pas inéluctable (de l’ordre de 15 % des sujets perdent du poids), ceci quels que soient les traitement utilisés (substitution nicotinique, bupropion, varénicline). »

Comment pouvons-nous encore tolérer que nos patients diabétiques fument, le tabac étant chez eux la première cause de mortalité ? Accompagner une démarche de sevrage n’est pas si compliqué. Pr Vincent Durlach

Penser au « basal-bolus » de nicotine

Quel sevrage chez le fumeur diabétique ? Le consensus d’experts SFD-SFT 2023 le martèle : les méthodes pharmacologiques doivent toujours être utilisées en association avec une aide psycho-comportementale, ceci afin d’agir sur un comportement renforcé par une dépendance dont la nicotine est le principal responsable.

« La cinétique de délivrance de la nicotine des différentes méthodes pharmacologiques doit être prise en compte. Afin de verrouiller les récepteurs nicotiniques pour limiter efficacement l’envie de fumer de nos patients, le « basal bolus » est non seulement possible mais souhaitable, confirme Vincent Durlach, par exemple, avec l’emploi d’un patch nicotinique (dosage de 7 à 21 mg de nicotine) associé à une forme d’action rapide, tels que les gommes, les pastilles, les sprays nasaux ou un inhalateur. »

 

Avec l’accord du Pr Durlach

 

Pour sa part, le bupropion, indiqué dans le sevrage tabagique [efficacité OR 2,06 (1,8-2,4)] [8], mais non remboursé, possède une structure amphétaminique similaire à un produit retiré du marché (diéthylpropion ou amfépramone ou ténuate d’Ospan).

Aucun signal de pharmacovigilance particulier n’est cependant apparu. Il est très peu prescrit. La varénicline, agoniste partiel du récepteur nicotinique α4β2, est efficace vis-à-vis de l’arrêt du tabac, à doses progressivement croissantes sur la première semaine (1X0,5 mg/j J1-J3 ; 2X0,5 mg/j J4-J7 ; 2X1mg/j dès J8). Elle est prescrite pour une durée minimale de 3 mois et peut être prolongée jusqu’à 6 mois (à prendre 30 minutes après le repas). Des nausées (30 %) et des céphalées sont possibles (13 %). 

Les médicaments du sevrage tabagique étant peu étudiés chez les patients diabétiques, une méta-analyse [9] a tenté de faire le point. Concernant la varénicline, une analyse rétrospective de 15 études randomisés et contrôlées par placebo et comprenant des sous-groupes de diabétiques (323 diabétiques/ 6700 individus, 75 % d’hommes, 12 diabétiques de type 1) a trouvé une abstinence continue à 12 mois chez 18,4 % contre 10,1 % et pour une prise de poids de 1,7 kg en moyenne, à l’instar de ce qui est retrouvé dans la population hors diabète de type 2 [10].

Un essai randomisé [11]concluait au fait que la varénicline devait être systématiquement utilisée dans les programmes d’éducation au diabète pour aider à arrêter de fumer.

Et la vape ?

Quid de la place de la vape dans le sevrage tabagique chez le diabétique ? L’actuelle génération de vapoteuse, la 3ème, permet une délivrance de nicotine accrue, avec une température plus importante pour une aérosolisation augmentée ainsi qu’une taille des particules réduite favorisant une meilleure biodisponibilité.

« Bien que très discutée, reconnaît le Pr Durlach, la « vape » peut être un outil précieux dans l’aide au sevrage tabagique. Les données en population diabétique sont inexistantes, et une seule étude, contestable sur le plan méthodologique [12]. Le consensus d’expert SFD-SFT 2023 considère que la vape est un outil de transition, à utiliser dans un temps limité et à stopper dès que l’abstinence est obtenue et/ou que l’urgence de fumer disparaît. »

Bien que très discutée, la « vape » peut être un outil précieux dans l’aide au sevrage tabagique. Pr Durlach

Le profil-type des patients diabétiques fumeurs

En France, la lutte contre le tabac a été renforcée avec la mise en place de plans nationaux à partir de 2014. Les mesures règlementaires et de prévention instaurées en 5 ans (2014-2019) ont apparemment contribué à la baisse de 4,5 points du tabagisme quotidien [13].

De manière spécifique chez les diabétiques en revanche, le compte n’y est pas, avec un léger infléchissement de -1,1 % depuis 2007. D’après l’enquête nationale en population diabétique traitée pharmacologiquement en 2019 (ENTRED 3) parue fin 2022 [14], la prévalence du tabagisme (occasionnel et quotidien) était de 25,3 % dans le diabète de type 1 (25,6 % chez les hommes, 25 % chez les femmes).

Une analyse plus poussée concernant les fumeurs était présentée au congrès. Si aucun lien n’était retrouvé entre le fait de fumer et l’âge ou l’ancienneté du diabète, en revanche le ressenti financier importait, avec 34,8 % des diabétiques fumeurs qui exprimaient des « difficultés » par comparaison avec le ressenti « ça va/à l’aise » (17,8 %).

Dans le diabète de type 2, la prévalence du tabagisme était moindre, évaluée à 13,4% (16,2 % chez les hommes, 9,9 % chez les femmes). Les prévalences diffèrent selon l’âge, avec 20,7 % ayant moins de 45 ans, 11 % étaient nées en France, 16,1 % avaient poursuivi des études au-delà du lycée. Chez les hommes, le pays de naissance au Maghreb impliquait un tabagisme plus fréquent, ainsi que le fait de vivre seul et une corpulence normale.

« Cette prévalence est trop élevée au sein d’une population à haut risque (plus de 410 000 personnes en France métropolitaine) et reste malheureusement stable depuis 2001 dans le diabète de type 2 dans un contexte de diminution notable en population générale. Les inégalités sociales, souvent observées en population générale, sont ici particulièrement marquées », analyse Sandrine Fosse-Edorh, coordinatrice du programme surveillance du diabète chez Santé Publique France (Saint Maurice, France) [2]

 

Se former au sevrage tabagique

Dans ENTRED 3, concernant la prescription des substituts nicotiniques aux personnes diabétiques de type 1 et 2, les prescripteurs étaient à 85 % des médecins généralistes et pour moins de 2 % des diabétologues.

- 5 DIU en France sur le sevrage tabagiques, destinés aux professionnels médicaux et paramédicaux, avec une prise en charge possible par la formation (médicale) continue.

- 1 MOOC

La Société Francophone de Tabacologie propose un MOOC destiné aux professionnels de santé intitulé « Tabac : arrêtez comme vous voulez ! ».
Il se déroule en sept semaines (2 heures hebdomadaires), comporte des vidéos courtes ainsi que des quizz validant les connaissances.
Une attestation de réussite est délivrée si 50 % des réponses aux quizz sont exactes.
Les objectifs de la formation sont : Tabac et Santé (semaine 1, etc.) ; Dépendance ; Qui peut aider les fumeurs ; Comment organiser l’aide aux fumeurs ; Outils pour aider le fumeur dans sa tentative d’arrêt ; La prise en charge de l’arrêt du tabac et la lutte contre le tabac en Europe ; Que se passe-t-il au-delà des frontières de l’Europe continentale dans la lutte contre le tabac ?

Liens : Pédagogie Numérique en Santé : https://www.pns-mooc.com/fr/mooc/18/presentation https://www.pns-mooc.com/fr/mooc/18/presentation
et Tree Learning : https://sft.tree-learning.fr/catalog/offers/1

 

Le Pr Durlach déclare ne pas avoir de lien d’intérêt avec sa présentation.

 

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