Paris, France — Les nouvelles recommandations françaises sur la place de la nutrition et de l’activité physique dans la prise en charge des cancers digestifs ont été présentées lors des Journées francophones d'hépato-gastroentérologie et d'oncologie digestive (JFHOD 2023) [1]. L’importance accordée à l'activité physique adaptée (APA) pendant la phase de traitement du cancer fait partie des nouveautés et marque l’ancrage de cette approche dans les soins de supports en cancérologie, au même titre que la nutrition.
Dans la prise en charge du cancer, « l’activité physique est le seul traitement efficace contre la fatigue », a rappelé lors d’une conférence de presse la Pre Cindy Neuzillet (Département d’oncologie médicale, Institut Curie, Saint-Cloud), qui a coordonné la rédaction des recommandations. « En remettant les patients en mouvement, on lutte contre cet état de fatigue, mais aussi contre les symptômes liés à la maladie et aux traitements, tels que les douleurs, les nausées et les vomissements ».
Renforcer la masse musculaire
Autre objectif de l’activité physique pendant les traitements anticancéreux : renforcer la masse musculaire et limiter ainsi la sarcopénie secondaire qui affecte souvent les patients atteints de cancer, en veillant à adapter en conséquence les apports nutritionnels. « Une masse musculaire suffisante permet de mieux supporter les traitements et de limiter les complications », a ajouté la cancérologue.
Elaboré par plusieurs sociétés savantes françaises, dont la Société nationale française de gastroentérologie (SNFGE), le Thésaurus national de cancérologie digestive (TNCD) s’est enrichi en 2019 d’un chapitre « nutrition et activité physique ». Il a été réactualisé pour prendre en compte les multiples données venues récemment enrichir la littérature, a commenté la Pre Neuzillet, lors de sa présentation.
Conformément aux recommandations internationales, toute intervention nutritionnelle visant à renforcer la condition physique du patient cancéreux doit être couplée à de l’activité physique adaptée (ADA) associant des exercices d’endurance en aérobie « pour lutter contre la fatigue et le déconditionnement », ainsi qu’un renforcement musculaire « afin de limiter le risque de sarcopénie ».
Pour rappel, le déconditionnement physique est une complication fréquente chez les patients traités pour un cancer. Il se manifeste par une désadaptation à l’effort provoquée en partie par la perte d’activité physique et se traduit par une baisse de la force physique, une perte de masse musculaire et une fatigue qui contribuent à altérer la qualité de vie.
Pas de modalités précises
Plusieurs études ont pu montrer que l’activité physique permet une nette amélioration de la fatigue, quel que soit le moment de la prise en charge du cancer. De récentes méta-analyses ont confirmé les bénéfices apportés pour tout type de cancers en rapportant une réduction moyenne de 25% du niveau de fatigue avec une APA encadrée par un professionnel.
Les bénéfices ne limitent pas à la fatigue. L’activité physique a aussi « un effet direct sur les cellules tumorales et le micro-environnement tumorale » et peut renforcer l’efficacité des traitements, notamment des immunothérapies, a souligné la Pre Neuzillet, qui a évoqué la multiplication actuelle des travaux de recherche dans ce domaine.
« Il n’existe pas de donnés pour privilégier une modalité d’exercice plutôt qu’une autre », indiquent les recommandations. La supervision par un professionnel est en revanche présentée comme indispensable, au moins en partie, « pour maintenir la motivation du patient et encourager son autonomisation dans sa pratique ».
Pour prévenir la dégradation de la condition physique, l’APA doit être mise en place au plus tôt, « dès le début de la prise en charge ». Les exercices d’endurance et le renforcement musculaire sont définis « en fonction de l’évaluation initiale du patient, de sa condition physique, de ses préférences et objectifs, de sa maladie et de son contexte psychosocial ».
« L’enseignant en APA a pour rôle de concevoir, planifier et mettre en application un programme dont la fréquence, l’intensité, la durée et le type d’exercices seront individualisés pour chaque patient ».
« Réduire le temps total de sédentarité »
Les recommandations font référence à celles de la Haute autorité de santé (HAS), qui a publié en 2022 des référents pour aider les médecins dans la prescription d’activité physique dans une démarche de soins. L’une de ses fiches d’information concerne la prise en charge des cancers colorectal, du sein et de la prostate.
La HAS préconise de prescrire un programme d’AP de trois mois renouvelable d’endurance et de renforcement musculaire, à raison de deux à trois séances par semaine, de 45 minutes à 1 heure par séance. Le programme « doit être personnalisé, raisonné et adapté aux évolutions de la condition physique, de
l’état de santé et des risques du patient », en augmentant progressivement l’intensité.
« La fatigue ne doit pas être un frein à la prescription d’activité physique même pendant la phase active du traitement », précise la HAS. L’inactivité est à éviter « tant que l’activité physique n’aggrave pas ses symptômes ». L’objectif est également de réduire le temps total de sédentarité « à moins de sept heures par jour ».
Pour les personnes âgées de 70 ans et plus, des exercices d’équilibre peuvent être intégrés en prévention du risque de chute et de la perte d’autonomie.
Préhabilitation peri-opératoire
Au cours de son intervention, la Pre Neuzillet a également évoqué le concept de préhabilitation, intégré dans la mise à jour du TNCD. La préhabilitation consiste à préparer les patients atteints de cancer, notamment sur le plan physique, avant une intervention chirurgicale majeure. Une approche encore peu pratiquée en France, regrette la cancérologue.
Après évaluation de l’état général du patient, la réhabilitation s’appuie sur une préparation nutritionnelle, physique et psychologique « grâce à une prescription personnalisée d’exercices physiques, de conseils diététiques et d’outils de relaxation et de motivation ».
Cette « optimisation des capacités fonctionnelles du patient avant chirurgie » vise à améliorer la récupération et à mieux supporter les traitements, notamment les chimiothérapies adjuvantes. L'approche est d’autant plus justifiée dans les cancers digestifs étant donné l’importance de l’adhésion aux traitements péri-opératoires en termes de survie.
Bien entendu, les recommandations s’attardent également longuement sur le support nutritionnel à apporter en cours de traitement. Pour cause : la prévalence de la dénutrition atteint 39 % chez les patients cancéreux et se montre plus élevée encore dans les cancers gastriques (plus de 60 % chez les patients avec un cancer du pancréas ou œsogastrique), a rappelé la praticienne. Elle est aussi plus fréquente chez les patients âgés et ceux ayant une maladie avancée.
« La dénutrition représente une perte de chance pour les patients, avec un impact négatif autant sur la qualité de vie que sur la survie ». Les risques de complications post-opératoires, d’infection ou de toxicité des chimiothérapies et des radiothérapies sont augmentés, tandis que l’efficacité des traitements est réduite.
La dénutrition est « un levier sur lequel il est possible d’agir pour améliorer la qualité de vie, ainsi que l’efficacité et la tolérance aux traitements ». À condition d’intervenir très précocement pour éviter une situation irréversible. Il est donc recommandé d’évaluer l’état nutritionnel et la condition physique de tous les patients atteints de cancer dès le début de la pris en charge, a souligné la Pre Neuzillet.
Apports nutritionnels de 25 à 30 kcal/kg/jour
Le diagnostic de la dénutrition est désormais uniquement clinique et repose sur l’association d’un critère phénotypique et d’un critère étiologique. Le cancer étant en lui-même un critère étiologique, il suffit d’identifier un critère phénotypique (perte de poids ≥ 5 % en 1 mois ou ≥ 10 % en 6 mois, IMC < 18,5 chez les moins de 70 ans et < 22 chez les plus de 70 ans…). L’albuminémie n’est plus un critère diagnostique.
Les conseils nutritionnels ont été simplifiés. Désormais, quel que soit le moment de la prise en charge, les apports nutritionnels recommandés sont de 25 à 30 kcal/kg/jour, avec 1 à 1,5 g de protéines/kg/jour. Pour couvrir ces besoins, les interventions nutritionnelles sont à adapter notamment selon la fonctionnalité du tube digestif et le niveau d’activité physique.
Autre message important : « aucune étude clinique n’a pu démonter le bénéfice du jeûne sur l’amélioration de la tolérance ou de l’efficacité des traitements anticancéreux », a tenu à rappeler la cancérologue, qui suggère d’aborder le sujet avec ses patients, tant cette perception du bénéfice potentiel du jeûne et des régimes restrictifs s’est diffusée dans la population.
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Citer cet article: Nouvelles recommandations françaises sur la nutrition et l’activité physique en cancérologie digestive - Medscape - 21 avr 2023.
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