Les enfants de moins de 3 ans passent beaucoup (trop) de temps devant les écrans 

Marine Cygler

Auteurs et déclarations

19 avril 2023

France – Si l'omniprésence des écrans est un sujet d'inquiétude, mais aussi de controverses, parmi les professionnels de la petite enfance, peu de données de vie réelle existent sur leur usage chez les enfants, et en particulier chez les moins de trois ans.

C'est dire si l'étude que vient de publier Santé Publique France dans le Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire (BEH) sur le « temps d’écran de 2 à 5 ans et demi chez les enfants de la cohorte nationale Elfe » était attendue.

Elle confirme une consommation des écrans y compris chez les tout-petits bien supérieure aux recommandations officielles.

Réactions du Dr Marie-Noëlle Clément (pédopsychiatre, Paris), directrice de l’hôpital de jour pour enfants du Cerep-Phymentin et membre fondatrice de l’association “3-6-9-12”, et du Dr Michaël Larrar (pédopsychiatre, Tel-Aviv) dont le dernier ouvrage « Les Secrets de nos inconscients » aborde la problématique des écrans dans la société.

Presque une heure quotidienne chez les deux ans

SPF offre une étude qui décrit pour la première fois à l’échelle nationale et de façon longitudinale l'usage des écrans chez les petits enfants grâce aux données de la cohorte Elfe. Les chercheurs de l'Inserm ont pu interroger par enquête téléphonique les parents d'enfants nés en 2011 inclus dans cette cohorte de naissance. Au total, les réponses portant sur la fréquence d’usage et le type d’écran utilisé ont concerné environ 13 000 enfants. Il en ressort que le temps d’écran quotidien était en moyenne de 56 min (intervalle de confiance à 95%: [55-58]) à 2 ans, 1h20 [1h18-1h22] à 3 ans et demi et 1h34 [1h32-1h36] à 5 ans et demi. La télévision reste l'écran le plus regardé.

« À l’échelle nationale, la proportion d’enfants suivant la recommandation « Pas d’écran » à 2 ans (2013) était de 13,7%, tandis que la proportion de ceux suivant la recommandation « Pas plus d’une heure par jour » était de 49,7% à 3,5 ans (2014-2015) et de 39,0% à 5,5 ans (2017) », écrivent les scientifiques. Ces données sont cohérentes avec celles obtenues dans d'autres pays.

À l’échelle nationale, la proportion d’enfants suivant la recommandation « Pas d’écran » à 2 ans (2013) était de 13,7%.

 

« On est bien au-delà des recommandations, lesquelles, on le sait, sont volontairement tranchées afin de délivrer des messages clairs », constate le Dr Marie-Noëlle Clément qui rappelle que les partisans des repères 3-6-9-12, établis en 2008 par le psychiatre Serge Tisseron et trop souvent résumés à des interdictions (pas d'écran avant 3 ans, pas de jeux vidéo avant 6 ans, pas d'Internet avant 9 ans, pas de réseaux sociaux avant 12 ans), veulent surtout valoriser les bons usages des écrans.

Les chercheurs listent toutefois quelques limites à l'interprétation, notamment parce que les mesures de temps d’écran sont des données déclaratives. En outre, l'enquête concerne une période pré-pandémie et on sait que l'utilisation des téléphones portables et des tablettes a connu un essor exponentiel à la faveur des confinements.

Des mères au parcours migratoire complexe et avec un niveau socio-professionnel bas

« Cette étude retrouve une corrélation déjà connue, à savoir que le temps d'écran est plus important dans les milieux socioéconomiques défavorisés », indique la pédopsychiatre. Les auteurs affinent les facteurs de risque familiaux : un bas niveau d'étude de la mère, une histoire migratoire complexe et l'origine géographique. »

Connaître ces facteurs de risque de surexposition aux écrans permet de sensibiliser les familles potentiellement concernées. Nous plaidons d'ailleurs pour qu’en consultation pédiatrique, l'anamnèse inclut systématiquement la question des écrans, de la même manière que nous interrogeons l'alimentation et le sommeil », poursuit-elle.

Elle rappelle que pour les mères maîtrisant difficilement le français la télévision permet de rester en contact avec leur langue et leur culture d'origine. Ceci souligne le rôle des parents car les enfants apprennent principalement en les imitant, y compris dans le rapport aux écrans.

Nous plaidons pour qu’en consultation pédiatrique, l'anamnèse inclut systématiquement la question des écrans  Marie-Noëlle Clément

« Les résultats de cette étude sont fidèles à ce qu'on voit en consultation. Indiscutablement quand la maman est peu diplômée, déracinée et qu'elle ne travaille pas, les enfants sont plus exposés aux écrans », confirme le Dr Larrar qui précise que les mères ayant ce profil n'ont absolument pas conscience de l'effet délétère des écrans sur le développement de leur enfant. Différentes études ont établi des corrélations entre un usage des écrans excessif chez l'enfant et le surpoids, un moindre développement intellectuel, un retard du langage mais peut-être aussi des troubles comportementaux.

Excitation versus imagination

C'est surtout la façon dont l'écran est utilisé que les spécialistes interrogent. Lorsque l'enfant n'est pas laissé seul et qu'il y a une interaction avec un parent, l'usage est bien moins problématique que l'usage passif, lequel nuirait à son développement.

« C'est le croisement du temps d'écran, du contenu et du type d’usage, interactif ou non, qui est important. A temps d'écran équivalent, on peut perdre ou gagner son temps », considère Marie-Noëlle Clément.

C'est le croisement du temps d'écran, du contenu et du type d’usage, interactif ou non, qui est important. Marie-Noëlle Clément

 

Pour Michaël Larrar, il faut considérer aussi ce que l'enfant ne fait pas à cause du temps passé devant les écrans, y compris lorsque les contenus sont éducatifs. Car les écrans trompent l'ennui, pourtant indispensable pour l'élaboration de jeux imaginaires et symboliques. En outre, le pédopsychiatre rappelle que les écrans mettent les enfants dans une « norme d'excitation élevée ». « Ceci est délétère pour le développement de la latence chez l'enfant », explique-t-il. Une problématique qui traverse toute la société laquelle est en quête d'immédiateté. 

Les écrans mettent les enfants dans une « norme d'excitation élevée », délétère pour le développement de la latence chez l'enfant. Michaël Larrar

 

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