POINT DE VUE

Prévention du diabète de type 1 : différentes pistes

Nathalie Raffier

Auteurs et déclarations

18 avril 2023

Montpellier, France – Il devient possible aujourd’hui de prendre en charge le diabète de type 1 dès sa phase d’auto-immunité asymptomatique et de dépister la maladie préclinique afin de retarder sa progression.

Plus en amont, prévenir l’auto-immunité préclinique est déjà à l’étude, au moyen d’une désensibilisation par insuline orale ou d’une vaccination dirigée contre les Coxsackie virus suspectés d’être responsables de la dégradation des cellules β pancréatiques.

Pr Roberto Mallone

Au congrès de la Société francophone du diabète (SFD), le Pr Roberto Mallone (service de diabétologie, Hôpital Cochin, Paris), co-directeur de l’équipe « Diabète de type 1 : tolérance, biomarqueurs et thérapies T cellulaires »  (INSERM, U1016) a passé en revue les pistes préventives du diabète, où se mêlent recherches fondamentales et cliniques, problématiques sociétales et économiques [1,2].

Medscape édition française : Dans la recherche des facteurs environnementaux favorisant le diabète de type 1 (DT1), le lien avec une forme grave d’infection prolongée à entérovirus a-t-elle dépassé le stade de l’hypothèse ?  

Pr Roberto Mallone : La causalité entre entérovirus et DT1, essentiellement les formes précoces de la maladie, est désormais renforcée par des études majeures parues récemment, à commencer par une grande étude de cohorte d’enfants suivis depuis leur naissance. Les infections par entérovirus et en particulier la sous-espèce des coxsackievirus B (CVB) précèdent l’apparition d’anticorps dirigés contre la cellule β (anti-GAD, etc.), considérée comme le marqueur du début de l’auto-immunité du diabète de type 1.

Les CVB cytolytiques pénètrent dans les cellules β et les détruisent. Les antigènes viraux sont alors relargués à partir des cellules β détruites dans un milieu inflammatoire, d’où le déclenchement du phénomène d’auto-immun observé dans le DT1. Cette relation entre l’infection et l’apparition des auto-anticorps existe au début de la physiopathogenèse du DT1, et non au cours de la progression de la maladie [3].

L’infection ferait office de détonateur ?

Pr Mallone : Oui, les coxsackievirus sont un peu comme l’allumette qui déclenche le feu du DT1. D’une part, cette infection doit impérativement être persistante et, d’autre part, parmi les personnes qui contractent l’infection par entérovirus (95 % de la population), celles qui déclencheront le DT1 ont probablement une immunité insuffisamment efficace pour contrecarrer les entérovirus.

Pour bien comprendre, on peut faire le parallèle avec l’hypothèse du poliovirus (qui appartient également à la famille des entérovirus), fondée sur un paradoxe épidémiologique. En Finlande, pays où l’incidence du DT1 est la plus forte au monde, la circulation des entérovirus est extrêmement faible.

Les coxsackievirus sont un peu comme l’allumette qui déclenche le feu du DT1.

A-t-on d’autres exemples ?

Pr Mallone : Les chercheurs commencent à penser que ce même phénomène s’est déroulé au début du 20e siècle avec les poliovirus. Alors que la circulation de ces entérovirus baissait avec les progrès de l’hygiène, l’incidence de sa forme grave d’infection – la poliomyélite – croissait.

C’est parce que l’immunité de la population et des enfants s’était réduite, offrant un terrain favorable à la poliomyélite du fait d’infections à charge virale élevée exposant à un risque accru d’infection des motoneurones. 

Ce substrat physiopathologique est à l’origine d’essais conduits actuellement avec un vaccin prophylactique comportant des coxsackie virus B inactivés administré à 2, 4 et 11 mois (similaire au vaccin polio inactivé). Ceci dans l’optique de protéger l’ensemble de la population de la survenue ultérieure du DT1.

La phase 1 vient de se terminer et, en effet, le candidat vaccin permet la production d’anticorps anti-coxsackievirus B chez des adultes volontaires non-DT1 et est bien toléré [3,4]. Nous participons à l’Institut Cochin à la compréhension des interactions vaccin anti-coxsackievirus B - système immunitaire (SI).

Les chercheurs commencent à penser que ce même phénomène s’est déroulé au début du 20e siècle avec les poliovirus.

Parmi les autres pistes de prévention primaire dans le DT1, où en sommes-nous de l’induction de la tolérance du système immunitaire (SI) – désensibilisation – au moyen d’insuline orale ?

Pr Mallone : Ces autres pistes sont en cours et marquent un changement de paradigme. Classiquement, les essais étaient conduits chez des personnes produisant déjà des auto-anticorps, au moyen de vaccins dont la finalité est la rééducation du SI vis-à-vis des cellules β et ainsi prévenir l’apparition du diabète clinique. Au fur et à mesure des déceptions, on s’est dit qu’il valait mieux prévenir, non pas l’hyperglycémie, mais plutôt l’auto-immunité elle-même, en intervenant avant l’apparition des auto-anticorps. C’est là une vraie approche de prévention primaire, chez les enfants très tôt dans la vie. 

Un essai de phase 3 (POINT Trial) [5] au moyen de doses d’insuline par voie orale jusqu’à 67,5 mg/j pendant 3-12 mois (versus placebo) est en cours (ClinicalTrials.gov Identifier: NCT03364868) chez des nourrissons entre 4 et 7 mois et qui possèdent les gènes HLA de prédisposition au DT1 mais sans production d’auto-anticorps. Le plus tôt est le mieux, les auto-anticorps apparaissant très tôt. L’insuline est l’antigène clé qui déclenche le phénomène d’auto-immunité contre les cellules β. L’objectif est d’induire une tolérance du SI au niveau intestinal plutôt qu’une réponse active. Les résultats sont attendus dans plusieurs années, afin d’observer a minima l’apparition des auto-anticorps, voire de DT1, parmi la population « désensibilisée ». 

 

Les stades dans le diabète de type 1. Stades 1,2 et 3 : un continuum dans l’histoire naturelle (avec l’accord du Pr Mallone)

Dans le domaine du traitement ultra précoce du DT1 et non en prévention primaire, quand disposerons-nous en France de l’anticorps monoclonal teplizumab ? 

Pr Mallone : C’est la question que nous nous posons tous et nous attendons d’abord une réponse de la part de l’Agence européenne du médicament (EMA) avant la fin 2023, puis de la Haute autorité de santé (HAS) et de sa commission de transparence. Cet anti-CD3 est déjà approuvé par la FDA depuis fin novembre 2022 (« disease-modifying treatment » dans le DT1) à partir de 8 ans.

Le principe de cet anticorps monoclonal est de cibler les lymphocytes T (LT), acteurs de la destruction de la cellules β, en les rendant « aveugles » à leur stimulation antigénique et, dans un second temps, en favorisant la différenciation de LT régulateurs, donc protecteurs. On le considère comme un traitement précoce du DT1, donc à administrer chez des personnes non diabétiques au sens clinique mais produisant déjà des autoanticorps avec des cellules β pancréatiques en souffrance, non comme un traitement préventif du DT1.

Les essais montrent que l’évolution du diabète clinique est freinée par le teplizumab [6] (âge médian 13-14 ans), avec une médiane de retard d’apparition clinique du DT1 de 24 mois chez les personnes traitées pendant 5 ans et de 2,5 ans avec 6 ans de recul. Les patients les plus susceptibles d’être répondeurs ont probablement une immunité particulièrement active (Anti-ZnT8+ ; HLA-DR3NégDR4+ ; peptide C plus bas).

Cette première immunothérapie de référence va accélérer le développement d’autres traitements préventifs. Elle est perfectible. Elle est délivrée selon un cycle unique d’injections intraveineuses récurrentes pendant 14 jours consécutifs.

D’autres immunothérapies sont déjà disponibles avec un bénéfice démontré sur la préservation du peptide C au stade 3 clinique, et sont prometteuses dans la prévention du DT1. Elles font l’objet d’un repositionnement, comme l’abatacept, (CTLA-4-Ig) la thymoglobuline (ATG à faible dose Ig Anti-thymocyte ; 12-45 ans [7], et le golimumab (anti-TNF-alpha) [8], tous déjà disponibles sur le marché français. Avec de surcroît, un schéma thérapeutique plus convenable que le teplizumab, par exemple à l’aide d’un stylo injecteur en sous-cutané pour le golimumab.

Une méta-analyse récente [9] montre que l’abatacept et la thymoglobuline à faible dose apportent un bénéfice similaire voire supérieur au teplizumab sur la conservation d’un niveau satisfaisant du peptide C au stade 3 de la maladie.

Cette première immunothérapie de référence va accélérer le développement d’autres traitements préventifs. Elle est perfectible.

Toutes ces stratégies reposent sur la capacité de détection de la maladie auto-immune, encore confidentielle ?

Pr Mallone : Oui, cette détection des auto-anticorps dans le DT1 est confidentielle mais plus pour longtemps. En population, et en dehors des programmes de recherche, toute la difficulté est d’identifier les futurs individus DT1 n’ayant pas encore développé une auto-immunité.

Démocratiser ce dépistage est un enjeu et deviendra un dépistage possible en soins courants dans les prochaines années. C’est la finalité d’Innodia, un vaste réseau européen créé dans les années 2010 afin de structurer la recherche sur le DT1, du modèle in vitro sur la cellule β, aux essais pré-cliniques sur modèles animaux et jusqu’à l’essai clinique. Le programme spécifique de dépistage Innodia, en cours, est ouvert aux apparentés des personnes diabétiques de type 1, dont le risque de développer un DT1 est 15 fois supérieur à celui de la population générale. Le principe est de doser les auto-anticorps (anti-insuline, anti-GAD, anti-IA-2 et anti-ZnT8), afin de détecter en amont l’auto-immunité infraclinique, première étape connue de l’histoire naturelle de la maladie. C’est un gros succès européen, avec environ 6500 personnes dépistées sur 5 ans. La France est le second pays recruteur avec 650 personnes dépistées à ce jour. Lorsque le DT1 stade 2 est effectivement prouvé, nous proposons à la personne un monitorage du glucose par CGM afin de détecter « en direct » la déclaration clinique du DT1. 

Un dépistage en population générale serait possible, comme démontré par l’étude-clé « Fr1da » en Bavière [10]. La baisse des coûts de dépistage procède d’une démocratisation qui a déjà débuté. Aujourd’hui, pour 55 dollars, on peut acheter un kit de détection aux USA.

La détection des auto-anticorps dans le DT1 est confidentielle mais plus pour longtemps.

Pensez-vous que le dépistage dans la population générale soit une bonne chose ?

Pr Mallone : Sans hésitation, car le dépistage chez les apparentés détecte seulement 15 % des futurs nouveaux cas de DT1. De plus, les diagnostics de DT1 en population ont un risque plus important d’acidocétose à la découverte, que l’on pourrait ainsi éviter.

Par ailleurs, des économies en matière de dépenses de santé sont aussi possibles. L’étude ASK [11]vient de démontrer l’avantage économique du dépistage par auto-anticorps à deux conditions : une réduction de 20 % des acidocétoses à la déclaration clinique et une réduction de 0,1 % d’HbA1c au cours de la vie.

Par ailleurs, la population éligible au traitement par teplizumab (DT1 stade 2) est très restreinte (7,5 ans pour recruter 76 patients), d’où la nécessité de peaufiner la stratification du risque. 

En 2023, dépister le DT1 est utile pour anticiper le diagnostic et retarder la progression clinique. A ce stade, dépister c’est déjà prévenir, en prévenant l’acidocétose, encore souvent inaugurale de la maladie (1/3 des diagnostics de diabète), en corrigeant certains facteurs de risque modifiables (la sédentarité, l’obésité, qui est devenue le premier facteur de progression de la phase pré-clinique du fait du stress surajouté aux cellules β pancréatiques), en limitant la dégradation rapide des cellules bêta résiduelles par un contrôle glycémique précoce, et en prévenant les difficultés d’adaptation à la maladie avec un temps plus confortable d’éducation. En attendant l’arrivée de thérapeutiques réellement préventives, comme la désensibilisation, la vaccination ou les molécules dont le teplizumab.

En 2023, dépister le DT1 est utile pour anticiper le diagnostic et retarder la progression clinique.

 

Le Pr Roberto Mallone déclare les liens d’intérêts suivants (2022-2023) :
Recherche fondamentale (Provention Bio ; Human Cell Design) ; Essais cliniques (Withings) ; Orateur (Sanofi, Novo Nordisk, Lilly) ; Expertise (Helmsley Charitable Trust ; Health Advances)

 

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