Lyon, France — Entre les applications topiques (emplâtre de lidocaïne, patchs de haute concentration de capsaïcine, toxine botulique) et les traitements systémiques (antiépileptiques, antidépresseurs, opioïdes…), la pharmacologie à disposition dans la prise en charge des douleurs neuropathiques est large.
Lors des dernières Journées de neurologie de langue française (JNLF2023) deux présentations ont fait le point, en se reportant aux dernières recommandations françaises de 2020 [1,2].
Les douleurs neuropathiques sont difficiles à soulager. Pour autant, le choix du traitement se fait plus « en fonction du profil d’effets indésirables potentiels, qu’en fonction du type de douleur », a souligné le Pr Xavier Moisset (CHU de Clermont-Ferrand), au cours de son intervention. Il a d’ailleurs appelé à la prudence avec l’utilisation de l’opioïde tramadol en raison d’un risque non négligeable de mésusage. Indiqué en deuxième intention, il ne peut pas être administré à plus de 400 mg/ jour.
Pour limiter le risque d’effets secondaires avec les traitements utilisés par voie générale (duloxétine, venlafaxine, gabapentine, antidépresseurs tricyclique…), le neurologue suggère de prendre le temps de rechercher la dose minimale efficace contre les douleurs, en augmentant progressivement la posologie « pendant trois à quatre semaines », tout en respectant la fenêtre thérapeutique fixée dans les recommandations.
De même, « après six mois à un an de douleurs contrôlées », le traitement peut être réduit petit à petit pour essayer de trouver une dose inférieure permettant de conserver ce contrôle, jusqu’à envisager une interruption si les douleurs ne réapparaissent pas.
Emplâtres de lidocaïne
Validées par la Société française d’étude et du traitement de la douleur (SFETD) et par la Société française de neurologie (SFN), les dernières recommandations de 2020 sur la prise en charge des douleurs neuropathiques ont élargi l’arsenal thérapeutique à disposition dans les traitements des douleurs périphériques localisés, en intégrant les patchs à la capsaïcine et les injections de toxine botulique A.
Au cours de sa présentation, la Pre Nadine Attal (Hôpital Ambroise-Paré, AP-HP, Boulogne-Billancourt) a fait le point sur les traitements topiques recommandés dans les douleurs localisées, qui ont l’avantage majeur d’avoir « peu ou pas d’effets indésirables centraux », sans compter qu’il n’y a « pas de risque de dépendance, ni nécessité de titration », a-t-elle rappelé.
Avec la neurostimulation électrique transcutanée (TENS), les emplâtres de lidocaïne 5% font partie des traitements recommandés en première intention, à raison d’un à trois emplâtres à placer chaque jour sur la zone douloureuse pendant 12 heures. Leur efficacité a été essentiellement démontrée sur les douleurs liées au zona (douleur post-zostérienne), d’où une AMM restreinte à cette indication.
L’emplâtre de lidocaïne a l’avantage d’avoir un effet très rapide, « sans avoir à augmenter les doses ». Cette approche a « un intérêt sur la douleur spontanée continue, ainsi que sur les douleurs paroxystiques », définies comme une hausse transitoire (moins de quatre heures) des sensations douloureuses. Elles seraient également efficaces contre les allodynies mécaniques.
Effet rémanent de trois mois
En deuxième ligne apparaissent désormais les patchs de haute concentration de capsaïcine (8%). Ce traitement s’est avéré bénéfique d’abord dans les neuropathies périphériques liées au VIH et au zona, puis dans la neuropathie douloureuse du diabétique [3,4], en particulier contre les douleurs paroxystiques, ce qui a lui a valu une extension d’indication.
Comparativement à la capsaïcine faible concentration utilisée dans l’arthrose du genou, « la capsaïcine haute concentration semble avoir un mécanisme d’action différent », qui serait à l’origine d'une désensibilisation persistante.
Conséquence : le traitement est à renouveler seulement tous les trois mois, mais au prix d’effets indésirables immédiats lors de l’application de cet alcaloïde extrait du piment (brûlure, irritation, œdème…).
Des recherches récentes ont également suggéré le rôle de la capsaïcine haute concentration dans la régénération des fibres nerveuses au niveau local, « ce qui expliquerait pourquoi des applications répétées s’accompagnent d’une réduction de l’aire douloureuse », a souligné la spécialiste.
Autre traitement de deuxième ligne : la toxine botulique A, dont l’efficacité a été démontrée dans les douleurs neuropathiques périphériques d’étendue limitée d’origine diabétique ou post-zona. Tout comme les patchs de capsaïcine, le traitement a un effet rémanent de trois mois ou plus. L’injection se fait en sous-cutané (50 à 300 unités) à renouveler tous les trois mois.
Selon un étude multicentrique randomisée, l’effet rémanent est renforcé avec des injections répétées de toxine botulique A [5]. L’étude a également montré que les patients ayant conservé une sensibilité thermique et présentant une allodynie répondent mieux au traitement, tandis que ceux qui ont des sensations de fourmillement (paresthésie) répondent moins bien.
Antidépresseurs en première intention
Concernant la prise en charge des douleurs périphériques étendues et centrales, les dernières recommandations se limitent en première intention au traitement pharmacologique. Deux antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSN) sont préconisés en priorité pour leur efficacité : la duloxetine (60-120 mg/jour) et la venlafaxine (150-225 mg/jour).
Ces traitements doivent être prescrits en respectant la dose minimale pour avoir un effet. « Il faut augmenter lentement le traitement, mais en commençant avec au moins 60 mg/jour de duloxétine ou 150 mg/jour de venlafaxine » pour obtenir l’effet noradrenergique et soulager les douleurs, a souligné le Pr Moisset, lors de sa présentation.
A noter que ces médicaments sont associés à des effets indésirables, comme des nausées, des troubles digestifs et une perte de libido. Les nausées tendent à s’estomper après huit à dix jours de traitements. Le spécialiste suggère de prévenir le patient « pour l’aider à passer le cap ». La venlafaxine est également associée à un risque d’hypertension artérielle.
Autre traitement de première intention : l’anti-épileptique gabapentine (1200-3600 mg/jour en trois prises), en respectant également la dose minimale. Instabilité, vertige, œdème périphérique et prise de poids par hausse de l’appétit font partie des effets indésirables les plus fréquents. Il existe également un risque de mésusage reconnu depuis peu.
Les antidépresseurs tricycliques (amitriptyline, clomipramine, imipramine) ont également leur place en première ligne. Alors que l’effet antidépresseur est obtenu à partir de 75 mg/jour, de petites doses autour de 10 mg/jour peuvent avoir un effet contre les douleurs chez certains patients, a précisé le Pr Moisset. Le traitement reste mieux toléré en restant sous le seuil des 75 mg/jour.
Les principaux effets indésirables avec les antidépresseurs tricycliques sont la somnolence et la prise de poids. Comme avec tous les antidépresseurs, ils peuvent également générer une levée d’inhibition avec risque suicidaire lors de l’initiation du traitement. Ils sont aussi associés à un risque d’hypotension orthostatique, en particulier chez les personnes âgées.
Des critères d’efficacité définis
Pour l’ensemble de ces traitements pharmacologiques, le neurologue a insisté sur la nécessité d’augmenter progressivement les doses. Pour trouver la bonne dose, « il vaut mieux prendre trois à quatre semaines ». Le traitement est alors mieux toléré et peut être davantage conservé sur le long terme, a-t-il précisé.
Le passage à un traitement de deuxième ligne est décidé en cas d’effets indésirables ou par manque d’efficacité défini par une diminution de la douleur ou une amélioration fonctionnelle < 30% après plus de six semaines de traitement à la dose maximale tolérée.
En deuxième ligne apparait l’antiépileptique prégabaline (150-600 mg/mL en deux ou trois prises). Les effets secondaires sont globalement les mêmes que pour la gabapentine (somnolence, vertige, prise de poids…). En raison de son effet euphorisant qui conduit à un mésusage fréquent, sa prescription se fait désormais sur ordonnance sécurisée.
Ensuite, l’opioïde tramadol est indiqué dans le traitement des douleurs neuropathiques modérée à sévères à raison de 100 à 400 mg/ jour, à condition d’être vigilant dans la prescription, surtout en association avec les gabapentinoïdes (prégabaline et gabapentine) ou les antidépresseurs, a rappelé le Pr Moisset.
Les gabapentinoïdes peuvent aussi être associés aux antidépresseurs pour chercher une efficacité avec des doses plus faibles afin de réduire les effets indésirables.
Opioïdes forts : vérifier le risque d’abus
Enfin en troisième ligne, à côté de la stimulation magnétique transcrânienne répétitive à haute fréquence (rTMS) et de la stimulation médullaire se placent les opioïdes forts (morphine et oxycodone à libération prolongée) « à utiliser en l’absence d’alternative thérapeutique et avec une durée la plus courte possible ». La dose ne doit pas dépasser 150 mg/jour en équivalent morphine.
Le risque d’abus étant important, en particulier chez l’homme jeune (<45 ans), il est recommandé de l’évaluer avant prescription et en cas de renouvellement, en utilisant l’échelle ORT (Opioid Risk Tool), qui s’appuie sur un questionnaire en ligne portant notamment les antécédents familiaux et personnel d’abus de substance.
« Dans certains cas, le traitement par opioïdes peut être envisagé chez des personnes à risque de mésusage, mais l’encadrement devra alors être plus important ».
Le Pr Xavier Moisset a déclaré des liens d’intérêt avec Allergan, Biogen, Grunenthal, Lilly, Teva, Merck-Serono, Novartis, Roche, Sanofi-Genzyme et Sun-Pharma.
La Pre Nadine Attal a déclaré des liens d’intérêt avec Merz.
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Citer cet article: Douleurs neuropathiques : quel traitement pharmacologique ? - Medscape - 17 avr 2023.
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