Paris, France – Depuis l’ouverture en novembre d’un centre de santé à Ajain, petite commune de la Creuse (23) qui voit se relayer chaque semaine des généralistes venus de toute la France, 600 patients ont retrouvé un médecin traitant. Le collectif Médecins solidaires espère que cette initiative pourra être déclinée et apporter une offre de soins durable dans des territoires sous-denses.

Le Dr Martial Jardel entouré d'une équipe de médecins solidaires
Lorsqu’elle a réalisé en 2020 une vidéo devenue virale pour tenter de trouver un successeur à son médecin généraliste qui partait à la retraite, la mairie d’Ajain était sans doute loin d‘imaginer qu’elle ne trouverait pas un mais des dizaines de médecins de famille. Depuis novembre dernier, chaque semaine, un généraliste différent vient accomplir une semaine de vacation au centre de santé monté par le collectif Médecins solidaires, avec l’association Bouge Ton Coq.
Des vacations d’une semaine

Dr Martial Jardel
Née du projet un peu fou du Dr Martial Jardel, médecin généraliste de 32 ans qui s’était illustré en réalisant un tour de France du remplacement en camping-car (lire le portrait que nous lui avions consacré), l’association de loi 1901, labellisée centre de santé par l’ARS Nouvelle-Aquitaine, a réussi un tour de force : relancer l’activité d’un cabinet de médecine générale dans un bourg de 1200 âmes du Creusois. Mieux, le faire avec des praticiens issus de toute la France. En à peine six mois, une cinquantaine de médecins de famille se sont engagés à exercer une semaine dans le centre médical monté (pour l’instant) dans un préfabriqué. « Le planning du centre est bouclé jusqu’en novembre, de très nombreux confrères sont venus nous donner leurs coordonnées et se sont dit prêts à collaborer avec nous », relate le Dr Martial Jardel, rencontré sur le stand de l’association au Congrès de la médecine générale, du 23 au 25 mars, à Paris.
Demander peu à beaucoup de médecins
Comment expliquer ce succès alors que tant d’initiatives déjà menées pour lutter contre les déserts médicaux (primes à l’installation, contrats de collaborateur, cabinets secondaires…) ont montré leurs limites ? Peut-être déjà parce qu’il est initié par des médecins dynamiques et enthousiastes qui ont su fédérer autour d’un noyau dur d’une dizaine de confrères. « Médecins solidaires est né d’un principe, explique Emmanuel Brochot, cofondateur de Bouge Ton Coq, structure partenaire de l’initiative, lors d’un récent reportage au 20H de TF1 : on ne peut pas demander beaucoup à peu de médecins mais on peut demander peu à beaucoup de médecins. » Et ça marche, avec de nombreux médecins volontaires dont le Dr Paul-Henri Lambert, médecin remplaçant de 32 ans, ami de 20 ans de Martial Jardel, qui a pris une part active au projet. « Tout ne peut pas venir du politique, affirme-t-il. Il était évident que les médecins doivent s’engager. »
Le centre, dont le budget annuel est approximativement de 100 000 euros, est composé d’un généraliste, d’une infirmière Asalée et d’une coordinatrice. Les médecins reçoivent un salaire de 800 euros pour la semaine versé par l’association qui encaisse les honoraires. Ils sont logés dans un gîte de standing, leurs frais de transport sont remboursés et une voiture est mise à leur disposition. « Quand ils viennent, ils n’ont qu’à faire de la médecine », explique le Dr Jardel. La coordinatrice prend les rendez-vous (le centre ne fonctionne que sur rendez-vous à raison de 3 par heure) et s’occupe des règlements. Les médecins signent une charte des valeurs qui comprend une dizaine d’items (bonnes pratiques, confraternité…).
L’attraction du salariat
« Les médecins qui viennent sont des médecins retraités comme moi, des remplaçants ou des confrères qui veulent bouger une semaine pour changer d’environnement », analyse le Dr Pierre Aubois, généraliste à la Tour d’Aigues (84), dans le Sud-Vaucluse, qui a accueilli le Dr Jardel lors de son tour de France des remplacements. « Pour le médecin, donner une semaine de son temps, ce n’est rien mais ça peut représenter beaucoup. »
Les médecins sont ravis de participer à l’aventure. « Tout est bien organisé au centre, ce qui nous enlève de la charge mentale, témoigne le Dr Marine P., médecin remplaçante de 34 ans, qui a apprécié de découvrir la région avec son conjoint. La semaine a été intense avec 20 à 25 patients par jour, j’ai ressenti que les patients n’étaient pas demandeurs d’examens complémentaires ou de prescription de médicaments. »
Comme beaucoup de médecins, le Dr Lambert apprécie aussi les avantages du salariat : « Cette expérience offre une parenthèse et nous apporte de l’oxygène. Le fait qu’il n’y ait aucun travail administratif à faire est un plus, le médecin ne touche ni à la carte Vitale ni à la carte bleue. »
Une initiative sous les projecteurs
« Médecins Solidaires, c’est une aventure humaine qui apporte une bouffée d’optimisme dans une période de morosité ambiante », relate le Dr Alain Jallais, médecin généraliste du Lot-et-Garonne (47) de 72 ans, sur le site du collectif.
Très suivi par l’ARS, le projet, qualifié de « pépite » par François Braun, a été labellisé projet phare par le conseil national de la refondation (CNR Santé).
En cinq mois, le centre de santé a réalisé 1500 consultations et 600 patients, dont certains n’avaient pas vu de médecins depuis quelques années, l’ont déclaré comme médecin traitant.
Si 8000 médecins se mobilisaient, nous pourrions ouvrir 150 centres médicaux dans les cinq ans, ambitionne le Dr Martial Jardel. « Quand j’ai lancé ce projet, j’espérais que ça marche mais je suis très heureux de voir que les médecins répondent à l’appel. C’est émouvant et rassurant. » Médecins solidaires ne permettra bien sûr pas de résoudre la problématique de la désertification médicale qui devrait, selon les projections de la Drees, sévir au moins jusqu’en 2030 en France. Un peu de lumière ne fait néanmoins pas de mal dans un monde de la santé plutôt sombre, ces derniers mois. « Ce projet peut créer une nouvelle voie, apporter un peu de dynamisme là où il y a de l’immobilisme et de la tétanie, veut croire le Dr Jardel. L’optimisme est contagieux. »
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Citer cet article: Dans la Creuse, le collectif de Médecins solidaires donne vie à un centre de santé - Medscape - 14 avr 2023.
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