Difficile d’exercer pour les médecins étrangers en France : témoignage d’une Padhue

Jacques Cofard

Auteurs et déclarations

13 avril 2023

France – Arrivée en France en 2012, Safia*, médecin généraliste diplômée en Algérie, a présenté un dossier pour une autorisation d'exercice en... 2022. Entretemps, elle aura connu un véritable parcours du combattant, en devenant infirmière avant de connaitre les méandres que l’administration inflige aux praticiens étrangers diplômés Hors Union européenne (padhue) qui souhaitent exercer en tant que médecin en France – instabilité salariale incluse. Son témoignage.

Choix de l’exil

À 40 ans, la Dr Safia, mère de quatre enfants, aura connu toutes les affres des médecins étrangers en France, en attente d'une autorisation d'exercice. Comme nombre de ses confrères et consœurs, Safia a choisi de tenter sa chance en France pour fuir les conditions de travail et de rémunération en Algérie.

Diplômée en médecine générale, Safia, avant de choisir l'exil, a exercé à Blidah, Tizi Ouzou, entre autres. Partout, elle décrit des conditions de travail chaotiques : « Nous rencontrions un gros manque de moyens, j'ai travaillé dans un hôpital sans scanner, nous prescrivions des médicaments qui n’étaient pas disponibles. Donc, nous étions confrontés quotidiennement à une détresse des patients, un manque de considérations des médecins. La rémunération était vraiment médiocre, j'étais payée l'équivalent de 200 euros en 2010, alors que le cout de la vie était assez élevé. »

Face à cette situation, elle décide de quitter l'Algérie en 2012 et choisit la France : « D'emblée, j'ai postulé en tant que faisant fonction d'internes (FFi) mais j'ai aussi candidaté dans l'industrie pharmaceutique. J'ai essuyé partout des refus pour cause de surqualification. Au final, j'ai eu des promesses d'embauche en tant que FFI mais sur des contrats très courts de deux semaines, deux mois, pas plus. »

Diplôme d’infirmière

Finalement, faute de pouvoir décrocher un contrat de travail intéressant es qualités de FFI, Safia décide de reprendre des études d'infirmières. Mais, là aussi, elle est confrontée à une grave désillusion : alors que la plupart des instituts de formation en soins infirmiers (ifsi) proposent aux médecins étrangers un cursus en dix semaines, elle est astreinte, en Normandie, où elle réside, à une formation de... 13 mois.

« Chaque ifsi a ses propres règles. J'ai donc commencé ma formation en septembre 2013 et j'ai terminé ma formation un an et demi plus tard. La formation a été très intensive, j'ai été malmenée en tant que médecin étranger, certaines personnes considèrent que l'on est surqualifiée et que l'on n’a rien à faire dans ces formations, etc. Malgré cela, j'ai pu valider brillamment mon diplôme d'État d'infirmier avec 19,75 de moyenne. »

Malgré sa note de fin d'études, une fois encore Safia peine à trouver un emploi. Surqualifiée, elle est aussi confrontée à des réactions xénophobes : « Par exemple, j'ai passé un recrutement dans un CHU, j'ai réussi toutes les phases de recrutement mais j'ai été refusée parce que j'étais étrangère.  J'ai mis deux ans avant d'obtenir un poste en psychiatrie en tant qu'infirmière en Normandie en 2016. »

J'ai mis deux ans avant d'obtenir un poste en psychiatrie en tant qu'infirmière en Normandie en 2016.

En tant qu'infirmière, Safia rencontre enfin des collègues chaleureux, un cadre de travail épanouissant, où sa double formation est appréciée : « Au quotidien, nous sommes infirmier.es comme les autres mais s'il faut un avis sur un ECG alors nous sommes consulté.es. Il y a énormément de services où il n'y a pas de médecins en permanence, c'est la raison pour laquelle on me demandait mon avis lorsque j'étais en service. » Néanmoins, un certain nombre de ses confrères et de ses consoeurs continuent de la discriminer.

Dépôt d’un premier dossier en 2020

Si son emploi d'infirmière la satisfait, Safia n'a pas abandonné son projet d'obtenir son équivalence en médecine. Elle commence par s'intéresser, en 2018, aux discussions autour de la loi Stock et milite dans l'association SOS PADHUE.

À l'issue de l'adoption de la loi de trasnformation du système de santé de juillet 2019, qui autorise sous certaines conditions l'exercice de médecins étrangers padhue, Safia dépose un dossier en 2020 : mais ne passe en commission régionale qu’en avril 2022 ! Lors de son audition, les membres de la commission lui font remarquer qu'elle aura les plus grandes difficultés à obtenir une autorisation d'exercice puisqu'elle exerce le métier d'infirmier, et non de médecin : « Je suis passé en commission régionale pour obtenir mon autorisation d'exercice en tant que médecin dans le cadre de la loi Stock et les membres de cette commission ont été interpellés par le fait que j'exerçais en tant qu'infirmière et non en tant que médecin. Ils m'ont fortement incité à postuler sur un poste de médecin pour compléter mon dossier de demande d'autorisation d'exercice. »

Praticien associée en 2022

Safia postule donc, à la suite de cette audition, pour un poste de médecin, et sa candidature est acceptée : « J'ai donc un poste de praticien associé en psychiatrie. J'ai pu mettre à jour mon dossier en indiquant que j'avais changé de fonction, cela s'est fait de manière très fluide. » Mais Safia n'était pas au bout de ses déconvenues : « La rémunération des padhue est vraiment médiocre, en passant du statut infirmier à praticien associé j'ai perdu en rémunération car j'étais titularisée en tant qu'infirmière. J'ai commencé à l'échelon 2 de praticien associé, donc à 2700 euros bruts. Au début, j'ai donc perdu environ 300 euros, en passant du statut d'infirmier au statut de PA, si l'on intègre dans le salaire brut d'infirmier le 13e mois et toutes les primes. »

En passant du statut infirmier à praticien associé j'ai perdu en rémunération car j'étais titularisée en tant qu'infirmière.

Depuis, elle a pu négocier avec son employeur pour rattraper la perte de salaire. Après la commission régionale d'avril 2022, Safia a pu présenter sa demande d'autorisation d'exercice en commission nationale le 28 novembre 2022. Mais, alors que la décision d’autorisation (ou le refus ou la prescription d'un stage de consolidation) est prise le jour même de l'audition et doit être adressée sous huit semaines au postulant, Safia ne reçoit la sienne – l'avertissant, par ailleurs, qu’elle doit faire une phase de consolidation – que... le 2 mars 2023.

« Ces retards administratifs nous font perdre un temps fou dans la prise en compte de la durée de notre stage, puisque la date du début de stage ne débute qu'au moment où nous recevons la réponse du CNG, qui doit être validée par l'ARS », regrette-t-elle.

Phase de consolidation

Sans surprise, Safia s’est vu prescrire un stage de consolidation de deux ans par la commission nationale car elle change de spécialité, abandonnant la médecine générale pour la psychiatrie. D'autres postulants ont obtenu une autorisation d'exercice, sans phase de consolidation quand un certain nombre d'entre eux ont essuyé un refus : « Le nombre de rejet est de 7% selon le CNG. Mais il existe aussi ce que nous appelons des « rejets déguisés »: à savoir, des padhue qui sont en poste depuis sept ou huit ans à qui l'on prescrit encore deux ou trois ans de phase de consolidation.  Pour ce qui est des validations directes, nous pensons qu'elles sont de l'ordre de 20% et il existerait 70% de phase de consolidation : ce sont autant de praticiens qui ont plusieurs années d'exercice et qui repassent au statut d'internes ! »

Ce sont autant de praticiens qui ont plusieurs années d'exercice et qui repassent au statut d'internes !

Mauvaise nouvelle à la clé : ceux à qui l'on a prescrit une phase de consolidation voient, dans la plupart des cas, leur salaire baisser puisqu'ils débutent à l'échelon 2 de praticien associé, soit 2700 euros bruts par mois, alors que certains étaient rémunérés, mensuellement, entre 3000 et 4000 euros.

Ce n'est pas le cas de Safia, qui a pu négocier avec son employeur une indemnité différentielle mais cette négociation reste à la discrétion de l'employeur, et toutes les directions hospitalières ne sont pas aussi conciliantes que celle qui emploie Safia : « Je connais beaucoup de padhue qui n'ont pas ma chance, et qui vont perdre en rémunération en rentrant dans un parcours de consolidation, car leur employeur ne leur accordera pas d'indemnité différentielle. »

Padhue en marge de la procédure stock

Safia, en tant que porte-parole de l'association SOS Padhue, est aussi sensible au sort des médecins étrangers hors Union européenne, qui ne rentrent pas dans les critères de la loi de juillet 2019 pour la procédure stock, ou n'ont pas non plus satisfait l'examen EVC (épreuves de vérification des connaissances), mais qui, pourtant, exercent dans les hôpitaux français depuis plusieurs années, en tant que praticien attaché associé (PAA).

Depuis le 1er janvier 2023, le statut de PAA a été supprimé et seuls subsiste le statut de praticien associé, pour les padhue en cours d'autorisation via les procédures "stock" ou "EVC" : « Certains établissements appliquent la loi et stoppent l'activité de ces padhue, d'autres les conservent mais profitent de cette loi pour les rétrograder en salaire. Je connais une padhue par exemple qui est payée le tiers de son ancien salaire... On parle de praticiens qui exercent dans les hôpitaux depuis plusieurs années mais qui n'ont pas pu réunir les trois critères pour rentrer dans la loi "stock". Je connais des médecins qui ont exercé plus longtemps que moi en France, mais l'un des critères de la loi "stock" stipulait que le praticien devait avoir travaillé au moins un jour entre octobre 2018 et juin 2019. Il suffit que ces praticiens aient été au chômage durant cette intervalle de temps pour être recalés dans le cadre de la régularisation stock même s'ils étaient en activité depuis plus de cinq ans. »

Si Safia commence par voir le bout du tunnel, elle enrage de la situation vécue par l'ensemble des padhue qui sont encore dans une situation des plus précaires : « on en a assez du mépris réservé aux PADHUE, assez des lenteurs administratives et de la pérennisation de notre précarité » s’insurge-t-elle.

On en a assez du mépris réservé aux PADHUE, assez des lenteurs administratives et de la pérennisation de notre précarité.

 

* Le prénom a été changé à la demande de l'interviewée qui souhaite conserver l'anonymat.

 

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