Paris, France — Une consommation d’aliments non ou peu transformés, en particulier de fruits et de légumes, est associée à une réduction de moitié du risque de développer une maladie de Crohn, selon une étude prospective européenne portant sur près de 400 000 participants suivis pendant plus de dix ans. En revanche, cet effet protecteur ne se retrouve pas dans le cas de la rectocolite hémorragique.
Les résultats ont été présentés lors des Journées francophones d'hépato-gastroentérologie et d'oncologie digestive (JFHOD 2023). Ils ont fait l’objet d’une publication dans Clinical Gastroenterology and Hepatology[1,2].
« Ces données incitent à conseiller la consommation d’aliments peu ou pas transformés afin de diminuer le risque de maladie de Crohn, en particulier chez les personnes à haut risque, comme celles ayant des apparentés au premier degré atteints de la maladie », ont commenté les auteurs de l’étude, menée par le Dr Antoine Meyer (Hôpital Bicêtre, AP-HP, Kremlin-Bicêtre).
Risque accru avec les aliments ultra-transformés
L’étude visait à étudier le lien entre alimentation transformée et risque de développer des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), qui regroupent la maladie de Crohn et la rectocolite hémorragique.
L’effet de l’alimentation ultra-transformée sur l’incidence des MICI montre une tendance à la hausse concernant le risque de maladie de Crohn, mais elle n’est pas significative, faute de puissance statistique. En revanche, une récente méta-analyse incluant cette étude a pu montrer une hausse cette fois significative de 71% du risque de maladie de Crohn associée à ce type d’alimentation, a indiqué le Dr Meyer, lors de sa présentation.
Dans l’étude européenne, comme dans la méta-analyse, qui a rassemblé les données de suivi de plus d’un million d’individus, la transformation des aliments semblent ainsi avoir un impact sur la maladie de Crohn, mais pas sur la rectocolite hémorragique.
Les MICI sont apparues avec l’industrialisation, avec « d’abord la rectocolite hémorragique, puis la maladie de Crohn quelques décennies plus tard », a indiqué le gastro-entérologue. En plus des facteurs génétiques, les changements apportés dans l’alimentation sont suspectés d’être largement en cause, par le biais notamment d’une modification du microbiote intestinal.
La consommation croissante d'aliments ultra-transformés contenant des additifs et généralement pauvres en fibres et en micronutriments essentiels est ainsi accusée de perturber l’équilibre du microbiote et d’entrainer en conséquence une inflammation gastro-intestinale.
Pour explorer cette hypothèse, le Dr Meyer et ses collègues ont analysé les données de la cohorte EPIC (European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition), constituée à la fin des années 1990, regroupant 413 590 volontaires sains (68% de femmes) de huit pays européens. Ils étaient âgés de 51,7 ans au moment de l’inclusion. Tous ont répondu à un questionnaire informant sur leurs habitudes alimentaires pendant les 12 mois qui ont précédé l’inclusion.
Quatre catégories d’aliments transformés
Les produits alimentaires consommés ont été classés en quatre catégories selon le degré de transformation (classification NOVA):
aliments peu ou pas transformés: aliments frais ou modifiés par des procédés comme le séchage, la pasteurisation, le broyage… (fruits, légumes, lait, yaourt nature, œuf, riz, pâtes…);
ingrédients culinaires transformés: substances extraites des aliments du groupe précédents par des procédés comme le pressage ou le meulage (sucre, condiments, amidon, beurre, huile végétale…);
aliments transformés: produits simples obtenus à partir des aliments et des ingrédients des groupes précédents avec l’objectif d’augmenter leur durée de vie ou de modifier leurs qualité organoleptiques (fromage, pain, aliments fumés…);
aliments ultra-transformés: produits obtenus de manière industrielle en mélangeant plusieurs ingrédients. Ils peuvent comporter des additifs alimentaires, des protéines lyophilisées, des amidons modifiés… Ils sont généralement riches en sucres ajoutés, en sel et en graisses saturées.
Au cours du suivi qui a duré en moyenne 13,3 ans, 179 cas de maladie de Crohn et 431 cas de rectocolite hémorragique ont été identifiés.
L’analyse montre que ceux qui consomment des proportions élevées d’aliments peu ou pas transformés (quartile le plus haut) ont un risque réduit de moitié de développer une maladie de Crohn (HR= 0,57, IC à 95%, [0,35-0,93]), comparativement ceux qui en consomment le moins (quartile le plus bas). Ce résultat apparait particulièrement significatif avec les fruits et les légumes.
Dans le cas de la rectocolite hémorragique, la tendance est à une diminution du risque avec une alimentation peu ou pas transformée, mais la différence n’est pas significative (HR= 0,89, IC à 95% [0,65-1,21]).
Concernant la consommation d’aliments ultra-transformés, le risque de maladie de Crohn apparait à l’inverse augmenté chez ceux qui en ont consommé le plus, comparativement à ceux qui en ont consommé le moins (HR=1,48 ; IC à 95%, [0,79-2,76]), mais sans différence significative. Pour ce qui est de la rectocolite hémorragique, il ne semble pas y avoir d’effet.
Un mécanisme non expliqué
Ces résultats ont été repris dans une méta-analyse, menée par une équipe canadienne qui ont colligé les données de cinq études prospectives ayant étudié le lien entre alimentation transformée et risque de MICI [3]. Au total, l’analyse concerne plus d’un million d’individus. Au cours du suivi, 916 ont développé une maladie de Crohn et près de 2 000 cas de rectocolite hémorragique ont été diagnostiqués.
Dans cette méta-analyse, les chercheurs ont pu détacher une significativité dans le risque de développer une maladie de Crohn qui est accru de 71% chez ceux qui consomment le plus d’aliments ultra-transformés (HR= 1,71; IC à 95%, [1.37-2.14]), par rapport à ceux qui en consomment le moins. En revanche, l’effet reste non significatif pour la rectocolite hémorragique.
L’étude européenne présente toutefois quelques limites méthodologiques. L’alimentation a notamment été caractérisée par questionnaire lors de l’inclusion et n’a pas été évaluée par la suite. Ce biais a pu « sous-estimer les associations retrouvées » entre alimentation et risque de MICI, « mais pas les créer », a toutefois précisé le gastro-entérologue.
Ces résultats suggèrent que ces maladies inflammatoires « sont aussi probablement différentes dans les mécanismes d’apparition », a commenté le Dr Meyer, qui a rappelé que les facteurs de risque associés à ces deux pathologies peuvent être distincts. Par exemple, le faible apport en fibre favorise davantage la maladie de Crohn, tandis que les apports élevés en sucre, en acide gras et en viande favorisent le développement d’une rectocolite.
Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer le sur-risque de maladie de Crohn associée à la consommation d’aliments ultra-transformés (déséquilibre du microbiote intestinal, modification des protéines inflammatoires…), mais « aucun argument ne permet pour le moment d’en favoriser une plus qu’une autre », a précisé le Dr Meyer.
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Citer cet article: La consommation de fruits et légumes associée à un risque moindre de maladie de Crohn - Medscape - 13 avr 2023.
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