Paris, France – Nombre de musiciens d’orchestre professionnels souffrent de troubles musculosquelettiques (TMS), un sujet tabou dans cette profession où la performance compte pour beaucoup. Très mal connue et souvent tue par les musiciens eux-mêmes, jusqu’à ce qu’elle les submerge et vienne entraver leur activité professionnelle, la douleur physique peut s’accompagner d’un épuisement professionnel.
Lors du Congrès Médecine Générale France (CMGF 2023), Anne Maugue a incité les médecins à ne pas méconnaitre cette souffrance [1]. La prendre en charge rapidement permet souvent d’y remédier, a affirmé la chercheuse (université Côte d’Azur, Nice, 06), qui est aussi, par ailleurs, flutiste professionnelle.
Une forte prévalence chez les musiciens professionnels
« Vous êtes violoniste dans un grand orchestre symphonique, on est dimanche soir, il est 20 heures, et vous venez de sortir de scène. Il y a quelques minutes, vous avez ressenti une vive douleur dans le bras droit qui est vite devenue envahissante et le chef d’orchestre vous a reproché de ne pas être concentré. Que faire sachant qu’une nouvelle répétition à lieu le lendemain matin, sinon espérer que la douleur aura disparu ? Où trouver de l’aide? ».
C’est avec cette mise en situation que la chercheuse Anne Maugue a démarré sa présentation dans le but de les sensibiliser les médecins généralistes présents à la souffrance des musiciens professionnels.
La douleur est loin d’être anecdotique dans cette profession puisque sa prévalence sur 12 mois se situe entre 41 et 93% dans les orchestres professionnels. Autant un sportif de haut niveau peut faire appel à son staff, autant le musicien professionnel ne peut souvent compter que sur son médecin généraliste, et encore quand il identifie le problème, explique Anne Maugue.
Car en effet, poursuit-elle, le musicien ne s’en préoccupe la plupart du temps que lorsque la douleur devient chronique et le gêne pour jouer.
Alors comment évaluer alors ce problème ? Une étude danoise a montré qu’une évaluation fonctionnelle, faisant suite à des symptômes musculosquelettiques auto-déclarés au cours des 7 derniers jours, ne permet pas d’identifier un TMS car elle ne dit pas la sévérité des symptômes perçus ni leur impact.
« Face à une douleur, l’attitude première du musicien est le déni, affirme l’oratrice. La cause est souvent attribuée à autre chose qu’à la pratique professionnelle. Les musiciens se tournent alors vers des solutions personnelles, des collègues, et le corps médical n’est consulté que très tard ».
Conséquence : le médecin ne prend souvent pas conscience de la détresse psychologique du musicien, ni du délai qui s’est écoulé depuis les toutes premières douleurs.
Sentiment d’injustice et épuisement émotionnel
Si les facteurs de risque de douleurs physiques sont connus (port répété de l’instrument, postures peu ergonomiques, etc), Anne Maugue rappelle que le musicien professionnel connait aussi des contraintes liées au travail. Au même titre que dans d’autres professions, certains environnements de travail peuvent engendrer un sentiment d’injustice (manque de reconnaissance, de moyens, mauvaises relations sociales) qui agit lui-même comme un stresseur entrainant des TMS.
En témoigne cette étude menée par Anne Maugue auprès de 440 musiciens d’orchestre professionnels français dont 44% de femmes et dans laquelle 64 % des répondants ont affirmé avoir éprouvé des douleurs (liées à des TMS) dans les 12 derniers mois et 61% au cours des 7 derniers jours – un chiffre éloquent.
Dans cette étude qui a utilisé des échelles de mesure de psychologie du travail et des organisations, la chercheuse a pu montrer, grâce à un travail statistique de régression hiérarchique, que « lorsque le contexte organisationnel provoque des réactions d’injustice, on voit apparaitre un épuisement émotionnel et des douleurs liées au TMS ».
Identifier tôt
En conclusion, Anne Maugue a incité les médecins généralistes à questionner leurs patients sur la pratique éventuelle d’un instrument de musique et leur ressenti de douleurs dans les membres supérieurs et le rachis de façon à identifier ces problèmes au plus tôt.
« D’autres études sont en cours pour mieux caractériser l’activité instrumentale et permettre une meilleure prise en charge par les services de médecine du sport. De la même façon, quand un TMS est identifié, il est important de comprendre dans quelle cadre se fait la pratique de l’instrument, car ce qui est observé chez les professionnels a de grandes chances de l’être aussi chez les amateurs, et notamment les jeunes qui suivent des cours au conservatoire » a précisé la chercheuse, et ce d’autant que peu de prévention est faite dans les écoles de musique.
Enfin, « si l’on prend en charge les musiciens professionnels précocement, on peut en soigner la moitié définitivement. Ils pourront alors continuer à pratiquer comme un sportif de haut niveau pourrait le faire » a-t-elle conclu.
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Crédit image de Une : Dreamstime
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Citer cet article: TMS : ne pas méconnaitre la souffrance des musiciens d’orchestre - Medscape - 11 avr 2023.
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