Les multiples bénéfices du sevrage tabagique chez les patients diabétiques

Nathalie Raffier

Auteurs et déclarations

6 avril 2023

Montpellier, France – Le premier consensus d’experts sur Tabagisme et diabète, écrit conjointement par la Société francophone du diabète (SFD) et la Société française de tabacologie (SFT), a été présenté au congrès annuel de la Société francophone du diabète (SFD, 21-24 mars 2023, Montpellier)[1].

A cette occasion, la Dr Alexia Rouland, endocrinologue, (CHU Dijon Bourgogne) a listé les nombreux bénéfices du sevrage tabagique chez le patient diabétique en dépit du risque de déséquilibre glycémique – « modeste et temporaire » [2].

La question du tabagisme chez les diabétiques

Le tabagisme est en ligne de mire des sociétés savantes européennes concernées par le diabète. Ainsi, en 2019, les guidelines de l’European Association for the Study of Diabetes (EASD) et de l’European Society of Cardiology (ESC) mentionnaient que « le sevrage tabagique est obligatoire chez tout sujet prédiabétique et diabétique » (classe I, niveau A)[3].

En 2023, la Société francophone du diabète (SFD) et la Société française de tabacologie (SFT) consacrent un consensus d’experts au problème majeur du tabagisme chez les diabétiques.

L’objectif est de fournir aux professionnels de santé des arguments convaincants et étayés en faveur du sevrage tabagique chez leurs patients diabétiques de types 1 et 2.

« Informer son patient des risques liés au tabac en cas de diabète est la première démarche à entreprendre, indique la Dr Alexia Rouland. La proposition du sevrage doit s’accompagner d’explications sur les bénéfices que le patient pourra en tirer, vis-à-vis de la mortalité toutes causes, des complications macro et microangiopathiques. »

La proposition du sevrage doit s’accompagner d’explications sur les bénéfices que le patient pourra en tirer, vis-à-vis de la mortalité toutes causes, des complications macro et microangiopathiques.

Un bénéfice sur la mortalité toutes causes dépendant du délai de sevrage

« Les personnes diabétiques ayant arrêté de fumer ont un risque relatif de mortalité de toutes causes de 1,28 (1,09-1,51), en deçà de celui des fumeurs actifs (RR= 1,58 ; 1,42-1,77), mais effectivement au-dessus de celui des non-fumeurs [4] », a fait remarquer l’oratrice.

Précédemment, une étude avait déjà mis en évidence une réduction du risque du fait de l’arrêt du tabac mais en lien avec la durée du sevrage : les patients ayant arrêté de fumer depuis moins de 10 ans avaient un risque de mortalité toutes causes encore légèrement augmenté, d’autant plus élevé qu’ils avaient fumé pendant 20 ans ou plus [5].

Mais au-delà de 10 ans de sevrage, le surrisque de mortalité toutes causes n’était plus significatif, dans aucun des groupes (durée du tabagisme, quantité de cigarettes/jour). Cette notion de la durée du sevrage est également décisive dans la grande cohorte des infirmières américaines [6].

Chez les femmes ayant arrêté de fumer depuis moins de 5 ans, le risque relatif de mortalité toutes causes restait élevé (RR = 1,96 ; 1,47-2,67) puis diminuait avec le temps jusqu’à ne plus être significatif après 10 ans (RR = 1,11 ; 0,92-1,35).

Surrisques macro-microangiopathiques : quels bénéfices du sevrage ?

Le sevrage tabagique a aussi un réel bénéfice sur les surrisques macro-microangiopathiques. Dans le diabète de type 2, une étude a retrouvé un sur-risque relatif (SRR) de macro et microalbuminurie de 1,86 (IC95% : 1,37-2,52) chez les anciens fumeurs, à comparer avec un SRR de 2,61 (IC95% : 1,86-2,64) chez les fumeurs actuels [7].

Dans le diabète de type 1, le risque cumulé de microalbuminurie chez les anciens fumeurs était de 15,1 % contre 18,9 % chez les fumeurs et 10 % chez les non-fumeurs [8].

Une méta-analyse d’études de cohorte prospectives (2019) a pointé le tabagisme comme facteur de risque indépendant de néphropathie diabétique, en particulier chez les patients atteints de DT1[9].

Concernant la neuropathie, les données proviennent pour la plupart de populations de diabétiques de type 2. Une publication a estimé sa prévalence après un an de suivi du programme de sevrage tabagique à 10,9 % chez les anciens fumeurs et à 15 % chez ceux ayant continué à fumer [10].

A propos de la macroangiopathie dans le cadre du diabète de type 2, une méta-analyse déjà citée plus haut s’est intéressée à la maladie coronarienne, aux accidents vasculaires cérébraux (AVC), à la mortalité cardiovasculaire et aux infarctus du myocarde (IDM), avec un risque augmenté pour tous ces évènements chez les fumeurs [4].

Les risques relatifs oscillaient entre 1,53 et 1,66. Ces risques relatifs diminuaient après le sevrage tabagique, et devenaient non significatifs pour la maladie coronarienne et l’IDM. Un risque persistait pour les AVC (RR = 1,34 ; 1,07-1,67) et les événements cardiovasculaires fatals (RR = 1,19 ; 0,02-1,39).

Les données sont un peu plus hétérogènes dans le diabète de type 1 où, en dépit du sevrage tabagique, le sur-risque d’insuffisance cardiaque et d’AVC demeure chez les hommes alors celui de maladie coronarienne et d’AVC régresse chez les femmes [11].

Doit-on craindre la prise de poids chez le diabétique ?

La Dr Alexia Rouland se veut rassurante : « La prise de poids n’est pas une fatalité. Ce risque existe mais il est temporaire. Et, malgré la prise de poids, le bénéfice sur le plan cardiovasculaire reste incontestable. » 

Une étude réalisée en 2013 portait spécifiquement sur ce point, avec, à l’arrêt du tabac, une prise de poids moyenne de 3,8 kg chez les personnes diabétiques dans les 4 premières années de sevrage tabagique et de 0,1 kg au-delà[12]. Un « effet temps » est observé avec une régulation avec les années du surpoids post-sevrage, comme en population générale (3 kg en moyenne chez les non-diabétiques).

La prise de poids a tendance à survenir plutôt en début de sevrage, essentiellement dans les trois premiers mois et n’est pas systématique : certains en prennent beaucoup (de 5 à 10 kg, voire plus de 10 kg), d’autres en perdent (20 % des diabétiques sevrés le premier mois, 7 % à 12 mois) et 25 % grossissent de moins de 5 kg [13].

La prise de poids a tendance à survenir plutôt en début de sevrage, essentiellement dans les trois premiers mois et n’est pas systématique.

Le déséquilibre du diabète lié au sevrage, une idée fausse ?

« Un risque de déséquilibre glycémique est constaté du fait du sevrage, bien que très modeste et temporaire », a indiqué l’endocrinologue.

Une étude rétrospective britannique s’est intéressée à la question, en se focalisant sur l’hémoglobine glyquée chez les patients diabétiques de type 2 [14]. L’HbA1c augmentait de + 0,21 % lors de la 1ère année de sevrage tabagique (IC95 % : 0,17-0,25 ; p<0,001) et celle-ci redevenait comparable à celle des fumeurs non sevrés après un délai de trois ans. Aucun lien n’était retrouvé avec la prise de poids.

Une autre étude parue en 2018, toujours dans le diabète de type 2, constatait, elle aussi, un risque de diabète déséquilibré (défini par une HbA1c>7 %) persistant pendant 10 ans après le sevrage tabagique (OR : 1,23 ; IC95% : 1,06-1,42) [15]. Par la suite, entre 10 et 19 ans de sevrage, l’odd ratio baissait à 0,97 (IC95% : 0,80-1,19, NS). Au-delà de 20 ans de sevrage, l’OR était de 1,14 (IC95 % : 0,89-1,44, NS) et n’était donc plus significatif.

Quoi qu’il en soit, « le risque de mauvais équilibre glycémique est moindre chez les fumeurs sevrés par rapport aux fumeurs actifs », résumait l’endocrinologue.

Un risque de déséquilibre glycémique est constaté du fait du sevrage, bien que très modeste et temporaire. Dr Alexia Rouland

Sur-risque de diabète et sevrage 

Un fumeur voit-il son sur-risque de diabète diminuer du fait du sevrage ? « C’est effectivement le cas, reconnaît le Dr Rouland, et son surrisque de syndrome métabolique diminue aussi. Une méta-analyse a mis en évidence un « effet temps » [16].

Les patients ayant arrêté de fumer depuis moins de 5 ans avaient un risque relatif augmenté de diabète de type 2 et ce risque diminuait avec les années, à 1,11 au-delà de 10 ans de sevrage. De plus, ce risque relatif de diabète de type 2 restait inférieur à celui des fumeurs actifs, compris entre 1,19 et 1,60 selon la consommation de tabac. »

En ce qui concerne le risque de syndrome métabolique [17], les fumeurs sevrés semblent présenter un sur-risque de 10 % par rapport aux non-fumeurs (RR= 1,10 ; 1,08-1,11 ; p<0,001). « Mais encore une fois, ajoute-t-elle, ce sur-risque est bien inférieur à celui des fumeurs actifs chez qui il est de 37 % (<20 cigarettes/jour) et jusqu’à 71 % (plus de 20 cigarettes/jour). »

 

Quid des femmes diabétiques fumeuses ?
« Les bénéfices du sevrage semblent être identiques quel que soit le sexe de la personne diabétique. Comme dans la population générale, la prise de poids suite au sevrage est supérieure chez la femme. Par ailleurs, alors que le tabagisme augmente le risque de diabète gestationnel (RR : 1,4-1,9 selon les études)[18] et d’utilisation d’insuline dans ce contexte, le sevrage diminue ces risques. De plus, le tabagisme maternel augmente le risque de complications de la grossesse (fausse-couche précoce, grossesse extra-utérine, anomalies congénitales, hématome rétroplacentaire, prématurité, mort fœtale in utero, césarienne, petit poids de naissance) [19] mais également de diabète de type 2 chez le nouveau-né. Le risque chez le tout-petit serait de 34 % en cas de tabagisme actif de la mère et de 22 % en cas de tabagisme passif subi par celle-ci, justifiant des démarches de sevrage auprès de l’entourage proche de la mère. »

 

Suivez Medscape en français sur  Twitter .

Suivez theheart.org | Medscape Cardiologie sur  Twitter .

Inscrivez-vous aux  newsletters de Medscape :  sélectionnez vos choix

 

Le Dr Alexia Rouland déclare n’avoir aucun lien d'intérêt avec sa présentation.

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....