POINT DE VUE

« Pour résoudre le problème de l’intérim, il faut revaloriser les salaires des titulaires »

Jacques Cofard

Auteurs et déclarations

4 avril 2023

France—Depuis 3 avril, la rémunération des médecins intérimaires est plafonnée. Le ministère de la Santé menace de poursuivre toute direction qui ne respecteraient pas les plafonds légaux des salaires des intérimaires, tel que le stipule l'article 33 de la loi dite Rist.

Dr Justine Lavergne

Le syndicat national des médecins remplaçants hospitaliers (SNMRH), qui se bat contre cette mesure, a listé une série de services obligés de fermer car désertés par les médecins intérimaires, qui refusent les plafonds légaux de rémunération (voir fin de texte). Le point avec la Dr Justine Lavergne, membre du bureau du SNMRH.

Medscape édition française : Vous avez publié la semaine dernière une liste de services menacés de fermeture du fait de l'application de la loi Rist au 3 avril, qu'en est-il aujourd'hui ?

Dr Justine Lavergne : Effectivement, aujourd'hui, des services sont fermés, nous sommes en train de colliger toutes les remontées de terrain, ainsi que les notes internes de fermeture de service. Parmi les plus menacés, nous notons surtout des services d'urgence, de soins de suite et de réadaptation (SSR). La ville de Bastia est assez touchée, parce que ses hôpitaux fonctionnent beaucoup avec des intérimaires. Je tiens à préciser que pour certains services, nous avions déjà relevé des difficultés avant l'application de la loi Rist, qui n'a fait qu'empirer certaines situations. Comme dans un hôpital à Toulouse qui était obligé de fermer toutes les nuits.

Parmi les plus menacés, nous notons surtout des services d'urgence, de soins de suite et de réadaptation (SSR).

Le SNPHARE a relevé des contournements de la loi Rist : relèvement du plafond de rémunération des internes, usage abusif des contrats de type 2*...

Des intérimaires sont aussi revenus vers nous pour nous dire qu'ils se sont vu proposer des contrats de type 2*. Nous les avons mis en garde contre ce type de contrat, qui peut s'arrêter à tout moment. Il faut aussi savoir que ces contrats proposent les mêmes types de rémunération plafonnée que celle proposée via des contrats d'interim. Quoi qu'il en soit, la majorité des intérimaires ont refusé ces contrats, mais une minorité les a acceptés.

Qu'en est-il des négociations avec le ministre de la santé ?

Dr Justine Lavergne : Notre président le Dr Éric Réboli et un autre membre du bureau, la Dr Cécile Chopard ont été reçus jeudi dernier au ministère de la Santé, mais pas par le ministre François Braun. Il n'y a pas eu de négociations, à l'instar de ce qu'il s'est passé lors des négociations conventionnelles : ils nous exposent leur point de vue, leur objectif et point final. Il n'y a pas de négociations. Il n'y a pas de discussion, qu'il s'agisse de la ville ou de l'hôpital.

Il n'y a pas de négociations. Il n'y a pas de discussion, qu'il s'agisse de la ville ou de l'hôpital.

Le gouvernement a annoncé un relèvement du plafond de rémunération des intérimaires la semaine dernière. Qu’en pensez-vous ?

Dr Justine Lavergne : Nous n'avons pas vu passer de décret donc nous ne savons pas s'il sera appliqué. Une prime a été remise au goût du jour, la prime de solidarité territoriale, mais uniquement pour les praticiens hospitaliers titulaires. Mais je ne suis pas sûr que les titulaires soient contents d'apprendre qu'après avoir fait leur 70 heures hebdomadaires, ils doivent encore aller faire des gardes dans d'autres hôpitaux. 

Le SNPHARE a publié les résultats d'une enquête auprès des médecins intérimaires qui tire ce constat : si les conditions de travail hospitalières étaient meilleures, alors ils pourraient revenir à l'hôpital, qu'en pensez-vous ?

Dr Justine Lavergne : Oui, nous avons pris connaissance de cette enquête et nous soutenons bien évidemment cette initiative. Nous tenons exactement le même discours : il y a des intérimaires qui ont choisi ce mode d'exercice, mais il y a de plus en plus de médecins qui optent pour l'intérim car les conditions de travail à l'hôpital sont devenues déplorables, par manque de moyens et d'investissement.

Les directions ferment des lits, fusionnent des services... Les personnels soignants, et pas seulement les médecins, ne peuvent plus supporter ces conditions de travail, qui nous mettent en danger par rapport aux patients.

Nous n'arrivons plus à les prendre en charge correctement. J'ai déjà vu dans certains services deux aides-soignantes prendre en charge 30 patients, comment voulez-vous qu'elles y arrivent ?

Si on réinvestit des moyens, si son réouvre des lits et que l'on revalorise les salaires, bien évidemment cela va apporter de l'attractivité, et la plupart des médecins qui ont choisi l'interim vont évidemment revenir à l'hôpital. Car être titulaire, c'est le choix de la sécurité de l'emploi, vous avez des congés, maternités et autres, des arrêts de travail en cas d'accident de travail, etc.

Etre titulaire, c'est le choix de la sécurité de l'emploi, vous avez des congés, maternités et autres, des arrêts de travail en cas d'accident de travail, etc.

Vous, par exemple, êtes-vous intérimaire depuis la fin de vos études ?

Dr Justine Lavergne : Non, non, moi je suis médecin généraliste et lorsque j'ai fini ma thèse, j'ai remplacé un an en libéral mais les conditions de travail sont catastrophiques en médecine de ville, donc j'ai décidé d'essayer autre chose.

Je m'étais pourtant promis de ne plus remettre un pied à l'hôpital, tant mon internat et mes stages avaient été douloureux, mais j'ai tenté ma chance et je n'ai pas regretté car j'ai retrouvé un esprit d'équipe, avec des infirmières et des kinésithérapeutes, mais cela a aussi été difficile dans le sens où j'ai vu des services ravagés.

Les médecins sur place sont bien contents de voir des remplaçants les suppléer car ils peuvent prendre leur congés : récemment, j'ai remplacé un médecin qui n'avait pas pris de congés depuis trois ans ! J'ai donc arrêté le libéral mais je ne prends plus de missions au tarif de la loi Rist : nous avons vu passer une offre à 329 euros bruts la journée !! C'est indécent.

Nous avons vu passer une offre à 329 euros bruts la journée !! C'est indécent.

Êtes-vous favorable ou pas à un plafonnement des rémunérations des intérimaires ?

Dr Justine Lavergne : Totalement défavorable dans le sens où nous condamnons aussi les intérimaires qui profiteraient des gardes, en ajoutant cela : les exemples cités par le ministère de la santé de garde à 5000 ou 6000 euros ne correspondent pas à la réalité. J'ai vu passer, au mieux, des contrats de 2500 nets mais dans des circonstances exceptionnelles, pour une garde la veille de Noël, recrutée à la dernière minute !

En général à combien s'élève ces contrats d'intérim ?

Dr Justine Lavergne : En journée, dans les services où je travaille (gériatrie, SSR...) cela tourne autour de 600 euros nets la journée, et aux urgences cela doit être rémunéré la journée 700 euros nets. Pour une garde de 24 heures aux urgences, cela doit être rémunéré en moyenne 1200 euros. Le plafond nous pose un problème car si l'on commence à plafonner le salaire des intérimaires on va se mettre à plafonner toutes les rémunérations. Nous sommes dans un contexte d'inflation et l'on demande de plafonner nos rémunérations cela n'a pas de sens !! Nous condamnons les abus, mais nous pensons que pour résoudre le problème de l'intérim, il faut revaloriser les salaires des titulaires médecins, infirmiers, aides-soignants.

Nous condamnons les abus, mais nous pensons que pour résoudre le problème de l'intérim, il faut revaloriser les salaires des titulaires médecins, infirmiers, aides-soignants.

La solution, c'est la revalorisation des titulaires ?

Ce n'est pas suffisant, il faut aussi nous donner les moyens de travailler. Si l'on revalorise les salaires, sans ouvrir de lits et sans accorder plus de moyens, alors je crains que cela ne serve à rien. Et il n'y a pas que l'hôpital, il faut aussi investir dans la médecine de ville. Tout se tient : si l'un des secteurs faiblit, l'autre en subit les conséquences.

Il faut aussi investir dans la médecine de ville. Tout se tient : si l'un des secteurs faiblit, l'autre en subit les conséquences.

 

* Un praticien contractuel peut être recruté « en cas de difficultés particulières de recrutement ou d’exercice pour une activité nécessaire à l’offre de soin sur le territoire ». « Pour les praticiens recrutés sur le motif (2), le montant des émoluments est fixé dans la limite de 119 130€ brut par an, incluant une part variable dont les modalités sont définies par arrêté. »

 

Liste des services hospitaliers fermés au 5/04/2023, Jour J+2 de
l’application du texte de la Loi RIST (non exhaustif)


-Maternité de Sarlat (24) fermée depuis fin mars
-Urgences Sainte-Camille Bry-sur-Marne 94 (fermeture circuit court, délestage total)
-Urgences et ligne de SMUR Vittel 88 (fermées la nuit tout le mois d’avril)
-Urgences pédiatriques Douai 59 (fermeture de nuit pour 1 mois)
-Urgences Troyes 10 (fermeture circuit court)
-Urgences Aubenas (= CH Ardèche méridionale) 07 (fermeture de nuit pour avril)
-Urgences pédiatriques pôle santé Sarthe et Loir 72 (fermeture de nuit)
-1 ligne SMUR fermée + fermeture consultations non programmées CH Champagnole 39
-1 ligne de SMUR fermée à Perpignan 66
-Unité de surveillance continue Bastia (2B Corse) du 3 au 30 avril
-UHCD Bastia (2B Corse) du 3 au 30 avril
Fermeture ligne d’astreinte anesthésiste Bastia (2B Corse) avec décharge sur l’APHM de la neurologie interventionnelle
-Service cardiologie Denain 59
-Services pédiatrie + post urgences Pontivy 56
-Service SSR (rééducation) Montdidier 80
-Service médecine polyvalente Vienne 38
-CH Avranches (50) fermeture pédiatrie 22 et 23 avril + rétrogradage de la maternité au niveau 1
-CH Manosque (04) urgences fermées la nuit, smur maintenu
-CHIRC Redon (35) service gastrologie fermé + risque de fermeture de la gériatrie au 15 avril + urgences fermées de nuit depuis les 23 février
-CH Neufchateau (88) Fermeture de 16 lits de médecines et 14 lits de chirurgie avec déprogrammation
-CH psychiatrique Blain (44) fermeture de 17 lits d’hospitalisation
-CH Langon (33) Fermeture urgences du 4 au 6 avril
-CH Valence (26) fermeture urgences pédiatriques la nuit du 3 au 4 avril
-CH Carpentras (84) fermetures intermittentes des urgences
-CH Montélimar (26) fermeture intermittentes service ORL
De plus :
- Probable fermeture ligne SMUR Finistère Sud (de 3 smur dans 3 villes on passerait de 2 smur uniquement sur Quimper)
- Témoignage sur la fermeture de blocs de chirurgie programmée et de l’utilisation des internes MAR pour boucher les trous des plannings.
- CH Rochefort (17) AUCUNE consultations anesth jusqu’à septembre + aucune chir programmée
- Accès restreints aux urgences de Granville (50)
- CH Briey (54) couverture incomplète des urgences
- CH La Flèche (72) difficultés majeures planning médecins des urgences
- Difficultés majeures de recrutement urgences pédiatriques et adulte Douai (59)
- CH Redon (35) risque de fermeture de la psychiatrie en hospitalisation complète à partir du 15 avril
- Difficultés majeures CH Lannion-Trestel urgences restrictions d’accès (22)

- Grandes difficultés du service des urgences relevées par l’ARS à Metz Thionville 57

 

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