Au congrès de la médecine générale, psychanalyse d’une profession en crise

Christophe Gattuso

Auteurs et déclarations

3 avril 2023

Paris, France – Lors du congrès de la médecine générale (CMGF), les syndicats de médecins libéraux et l’Assurance maladie ont réalisé l’autopsie de l’échec de la dernière négociation qui n’a pas permis de conclure une nouvelle convention.

Marqués par ce revers, les deux parties ont manifesté le désir de donner une seconde chance à la négociation pour répondre rapidement à la crise de la profession et améliorer l’accès aux soins.

Il n’y avait pas de divan mais le débat organisé sur l’avenir de la convention, samedi 25 mars au Congrès de la médecine générale, a permis de réaliser une psychanalyse des acteurs déçus de la dernière négociation conventionnelle.

Mais pas seulement. Les nombreux témoignages de médecins généralistes décrivant leurs difficultés quotidiennes, leur sentiment de dévalorisation et le manque de perspectives, ont été particulièrement évocateurs du profond mal-être que traverse la profession.

Le président du Collège de la médecine générale, le Pr Paul Frappé, a résumé l’état d’esprit de ses confrères à l’ouverture du débat. « Cet échec des négociations conventionnelles est une déception, a avancé le généraliste stéphanois. Les médecins n’ont pas voulu signer cet accord qui aurait pourtant pu leur apporter de l’argent. Ce refus traduit une quête de sens de la rémunération, c’est cette perte de sens qui est à l’origine de notre exaspération. »

Quoiqu’assumée par les syndicats de médecins, l’absence d’accord, fin février, n’est toujours pas complètement digérée. « Quand on a démarré ces négociations, nous voulions améliorer les conditions de travail et pouvoir accueillir plus de patients sans travailler plus, nous voulions aussi redonner envie aux jeunes de devenir médecins de famille, explique le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes CSMF. Cette négo a été un échec collectif cuisant et dramatique pour beaucoup de généralistes qui sont en souffrance. »

Cette négo a été un échec collectif cuisant et dramatique pour beaucoup de généralistes qui sont en souffrance. Dr Luc Duquesnel

Une méthode à revoir

N’acceptant pas l’injonction du travailler plus pour gagner plus, des médecins ont appelé les pouvoirs publics, et plus particulièrement le président de la République et le ministre de la Santé, qui fixent les orientations de l’Assurance maladie, à revoir leur méthode.

« On nous a accusés de ne pas savoir négocier et d’être irresponsables car nous refusions de signer, s’offusque le Dr Agnès Giannotti , présidente de MG France. Macron a utilisé exactement les mêmes mots à propos de la CFDT, il lui faut changer de discours ! »

Menées au pas de charge, avec un grand nombre d’interlocuteurs – 6 syndicats de médecins seniors et des observateurs juniors –, les négociations se sont déroulées davantage dans le cadre de réunions bilatérales qu’en séances plénières. À aucun moment, les organisations de médecins n’ont exprimé une position unie. Ce qu’a regretté le Dr Claude Bronner, président d’Union Généraliste, branche généraliste de la Fédération des médecins de France (FMF) : « On n’a collectivement pas été bons, nous les syndicats ! J’aurais aimé qu’on prépare ces négociations ensemble. » En dépit du milliard et demi mis sur la table, le médecin de famille alsacien estime que le moment exigeait davantage de moyens. « Il faudrait 5 milliards d’euros pour mener un plan d’envergure pour la médecine générale et éviter qu’elle ne coule. »

Il faudrait 5 milliards d’euros pour mener un plan d’envergure pour la médecine générale et éviter qu’elle ne coule. Dr Claude Bronner

Sans attendre l’arbitre, les partenaires veulent reprendre le jeu

L’ex-inspectrice générale des affaires sociales (IGAS), Annick Morel a été nommée pour rendre d’ici à fin mai un règlement arbitral, pour compenser l’absence de convention.

Mais sans attendre ce texte, qui ne devrait théoriquement comporter que de maigres avancées, les syndicats réclament d’ores-et-déjà de rouvrir les discussions. « Nous demandons une reprise rapide des négociations, mais pas pour instaurer un contrat d’engagement territorial qui mettrait en place deux tarifs différents pour un même acte selon que le médecin a signé ou non, clame le Dr Duquesnel. Il faut valoriser les actions qui permettent d’améliorer l’accès aux soins. »

Renouer le dialogue est aussi une préoccupation de l’Assurance maladie. « Je ne veux pas minimiser l’échec, c’est une occasion manquée pour les patients et les médecins, a démarré Thomas Fatôme, directeur de la Cnam. Mais pour nous, le dialogue n’est pas rompu. Nous souhaitons réenclencher les négos aussi avec les médecins généralistes et les spécialistes dans les prochains mois. »

Nous souhaitons réenclencher les négos aussi avec les médecins généralistes et les spécialistes dans les prochains mois. Thomas Fatôme

Un mandat et des attentes

Pragmatique, le patron de l’Assurance maladie a néanmoins rappelé que son mandat de discussion ne disparaîtrait pas du jour au lendemain. « Notre mission est d’accompagner les médecins à être acteurs de la transformation », a-t-il précisé, laissant entendre que ces interlocuteurs avaient manqué à leur rôle.

Le patron de la Caisse a souligné que le milliard et demi d’euros représentait un montant deux fois plus élevé que celui investi dans la précédente convention, et un bonus de 10 % pour tous les médecins à temps plein.

« Si les négociations redémarrent et que chacun reste sur ses positions, ça ne marchera pas ! Il faut mesurer que beaucoup de monde, les pouvoirs publics, les élus et les patients, ont des attentes. Des assurés nous appellent tous les jours pour dire qu’ils ne trouvent pas de médecin traitant. »

Le patron de la Cnam a avancé le chiffre de 714 000 patients en ALD sans médecin traitant à qui il faudra apporter une solution.

Oui, mais comment faire ? La présidente de MG France a rappelé un triste constat : « Nous ne sommes plus assez nombreux, nous sommes 47 000, les consultations sont plus longues, chacun fait son maximum, on ne peut pas faire plus ! Nous rentrons dans une phase où il va falloir nous protéger si nous ne voulons pas nous mettre en danger ou quitter le métier. »

Nous sommes 47 000, les consultations sont plus longues, chacun fait son maximum, on ne peut pas faire plus !

Psychanalyse d’une profession en crise

À ce moment crucial pour l’avenir du système de santé, plusieurs intervenants ont invoqué la nécessité pour les professionnels de santé de se serrer les coudes avec l’espoir que les parlementaires n’ajoutent pas de complexité. « On manque de médecins traitants partout en France, mettre des contraintes ne fera qu’aggraver la situation », abonde Luc Duquesnel.

Cette session n’a pas seulement permis de rejouer la récente négociation conventionnelle en l’attente du règlement arbitral. Elle a été le théâtre de l’expression du désarroi de nombreux médecins. L’un d’eux a évoqué le sentiment de « violence » des pouvoirs publics, un autre a utilisé les termes de « maltraitance » et de « dévalorisation ».

« Le partenariat est devenu toxique et on n’a plus que deux solutions, soit crever, soit se barrer », lâche crûment une généraliste. Un interne en fin de cursus a quant à lui témoigné les fortes inquiétudes de la nouvelle génération. « S’installer fait très peur, on est limité pour investir dans du matériel. Je suis un ancien infirmier, j’ai repris médecine, et après avoir vu le délitement de l’hôpital public, j’assiste au délitement de la médecine générale. En tant que gestionnaire d’entreprise, j’aimerais avoir un assistant médical et une secrétaire mais j’ai aussi le droit de vivre correctement après 9 ans d’études. »

3 000 euros par mois, vous trouvez ça normal ?

L’expression du mal-être s’est répandue dans les travées du palais des congrès, comme s’il s’agissait d’un exutoire. « Je suis à mi-temps mais bosse 45 heures par semaine, je travaille le samedi matin, le fais des gardes, j’accueille des internes et à bac +9, je gagne 3 000 euros par mois, vous trouvez ça normal ? », a lâché une jeune généraliste, des sanglots dans la voix, rapidement étouffés par un tonnerre d’applaudissements. Une jeune consœur installée depuis cinq mois à Toulouse, s’est, elle aussi, alarmée de la maigreur de sa rémunération – 1 700 euros par mois (sans ROSP) pour 3 jours et demi de travail par semaine. « Je reçois beaucoup de patients complexes, qui me prennent du temps, et j’ai l’impression de ne pas m’en sortir, ça m’inquiète beaucoup », a-t-elle lâché.

À bac +9, je gagne 3000 euros par mois, vous trouvez ça normal ? Une généraliste

 

Le Dr Giannotti a tenté de positiver malgré tout, employant la méthode Coué : « On va s’en sortir car on est indispensables. […] Si le politique fixe des orientations raisonnables, on va y arriver. […] Il n’y a pas de plus beau métier que le nôtre, nous devons le défendre. » 

Dr Thomas et Mister Fatôme

La crise de la profession ne passe pas inaperçue des pouvoirs publics. « Quand 30 % des médecins font la grève pendant deux jours, personne ne peut dire qu’il ne se passe rien », assure Thomas Fatôme, en référence au récent mouvement social qui a agité la profession.

« Ce malaise, cette fatigue, le risque de burn-out, je le prends extrêmement au sérieux. Les médecins généralistes prennent en charge un million de patients par jour et font un boulot de dingue. On a besoin de généralistes en bonne santé », a-t-il conclu.

Ce malaise, cette fatigue, le risque de burn-out, je le prends extrêmement au sérieux. On a besoin de généralistes en bonne santé. Thomas Fatôme, directeur de la Cnam

 

Suivez Medscape en français sur Twitter.

Suivez theheart.org | Medscape Cardiologie sur Twitter.

Inscrivez-vous aux newsletters de Medscape : sélectionnez vos choix

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....