POINT DE VUE

Dépistage du CCR : faut-il modifier la tranche d’âge ciblée, encourager la coloscopie d’emblée ?

Nathalie Raffier

Auteurs et déclarations

30 mars 2023

Pr Robert Benamouzig

Paris, France __ Avec 43 300 personnes diagnostiquées avec un cancer colorectal en moyenne ces dernières années en France, le dépistage organisé est nécessaire et a fait ses preuves. En théorie. Car en pratique, le taux de participation piétine autour des 30 %, avec une pointe l’an passé à près de 35 % (voir encadré).

Comment enclencher la vitesse supérieure ? Nous avons posé la question au président du Conseil national professionnel d’hépato-gastroentérologie (CNP HGE), le Pr Robert Benamouzig, à la sortie du 6e forum du dépistage organisé du cancer colorectal qui se tenait lors des Journées francophones d’hépato-gastroentérologie et d’oncologie digestive 2023 (JFHOD, 16-19 mars, Paris) [1,2].

Santé publique France a publié le 23 mars ses données annuelles de dépistage organisé du cancer colorectal pour la période 2021-2022 [3]. Près de 35 % de la population cible a réalisé un test FIT (Fecal Immunochemical Test), un chiffre en augmentation par rapport aux années antérieures (30,5 % en 2018-2019) mais toujours en-deçà du standard européen (45 %). Comment l’interprétez-vous ?

Robert Benamouzig : On observe un léger frémissement, peut-être à mettre sur le compte d’un rattrapage post-Covid-19, de la possibilité pour la population cible de commander le test en ligne (effective depuis mars 2022) ou encore de la mise à disposition des kits en officine ; (88 % des kits remis par les pharmaciens ont abouti à un test2). D’autant que si l’on ajoute les 20 % de coloscopies « spontanées » réalisées parmi la population cible (dans les 5 à 10 ans) [4], on peut considérer que la moitié de la population cible est aujourd’hui dépistée. Par ailleurs, les recherches promettent, à moyen terme, la mise à disposition de tests moléculaires dont certains, comme les tests sanguins, seront plus simples d’utilisation et pourront possiblement élever le taux de participation.

On peut considérer que la moitié de la population cible est aujourd’hui dépistée.

Est-ce trop tôt pour envisager d’abaisser l’âge seuil du dépistage organisé, comme l’a préconisé l’American Cancer Society, vu l’augmentation de l’incidence des cancers colorectaux (CCR) en deçà de l’âge de 50 ans ? Leurs statistiques 2023 font état de + 9 % de cancers du côlon chez les Américains de moins 50 ans entre 2020 et 2023 [5]. Un consensus international [6] vient d’ailleurs tout juste de paraître en faveur d’une estimation du risque individuel de CCR chez tout individu de moins de 50 ans.

Robert Benamouzig : Un élément d’inquiétude est en effet cette augmentation de l’incidence chez les sujets jeunes, en France comme dans les autres pays occidentaux. Parmi les hypothèses, l’environnement, les modes de vie et l’obésité, le rôle du microbiome intestinal, qui peut être modifié par les antibiotiques dans la petite enfance… pourraient augmenter le risque de tumeurs plus précoces du côlon ou du rectum [6]. La grande majorité de ces cas ne sont pas des formes génétiquement déterminées (syndrome de Lynch, notamment), car on ne retrouve pas d’instabilité des microsatellites. Ceci dit, le cancer colorectal reste rare avant l’âge de 50 ans. 8 décès sur 10 surviennent chez les personnes de 65 ans et plus [3]. Si l’épidémiologie des cancers colorectaux évolue, ainsi que l’augmentation de l’incidence française des facteurs de risque majeurs que sont le surpoids et l’obésité (enquête ObEpi [7], février 2023), abaisser l’âge du dépistage organisé n’est pas d’actualité dans notre pays.

L’épidémiologie des cancers colorectaux évolue, ainsi que l’augmentation de l’incidence française des facteurs de risque majeurs que sont le surpoids et l’obésité mais, abaisser l’âge du dépistage organisé n’est pas d’actualité dans notre pays.

Et en ce qui concerne la borne supérieure de l’âge du dépistage organisé ?

Robert Benamouzig : Selon une évaluation de l’INCa (2019), dépister jusqu’à 80 ans réduirait de 1 % l’incidence et de 5 % la mortalité liée au cancer colorectal (en l’absence de sélection sur comorbidités) [2]. Cette stratégie reste non efficiente. La Commission européenne estimait en 2020 qu’il devrait être possible de définir un âge biologique plutôt qu’un âge chronologique afin de mieux adapter les limites d’âge supérieures du dépistage. Car les comorbidités mais également l’historique de dépistage comptent. En effet, pour les personnes en bonne santé entre 75-79 ans, il devient très probable - du fait de l’espérance de vie - qu’il ne faut pas s’arrêter à 75 ans et poursuivre le dépistage avec un ou deux rounds supplémentaires (une fois tous les deux ans), surtout si le dépistage n’a pas été réalisé avant 75 ans, ou du moins pas correctement. Pour ceux passés entre les mailles du filet, la rentabilité du dépistage après 75 ans est incontestablement plus importante.

La coloscopie figure parmi les options disponibles pour le dépistage du cancer colorectal. La littérature récente permet-elle d’avancer sur ce sujet ? 

Robert Benamouzig : En effet, et la très attendue étude Nordic-European Initiative on Colorectal Cancer (NordICC[8]), contrôlée randomisée, parue en octobre dernier, n’a pas eu le retentissement médiatique qu’elle mérite. Conduite en vraie vie en Pologne, en Norvège, en Suède et aux Pays-Bas entre 2009 et 2014, 84 585 participants « en bonne santé » entre 55 et 64 ans ont été tirés au sort entre invitation par courrier à réaliser une coloscopie de dépistage et soins habituels (coloscopie si besoin). Dans les analyses en intention de dépistage, le risque de cancer colorectal à 10 ans était de 0,98 % dans le groupe « invitation » et de 1,20 % dans le groupe « soins habituels », soit une réduction du risque de 18 % (RR 0,82), ce qui témoigne d’une probable réduction de la mortalité de l’invitation à la coloscopie.

Néanmoins, dans ces pays où la coloscopie de dépistage était peu courante, seulement 42 % des « invités » ont réalisé l’examen (33 % en Pologne, 60,7 % en Norvège). Le risque de décès par cancer colorectal était par conséquent de 0,28 % dans le groupe invité contre 0,31 % dans le groupe « soins habituels » (RR 0,90), et le risque de décès toutes causes confondues était similaire (11,03 % contre 11,04 %, respectivement).

En d’autres termes, l’enjeu reste la participation au dépistage. En France, où le taux de participation à la coloscopie est évalué à 25 %, la démarche « FIT suivi d’une coloscopie (dans 4 % des cas) » est plus coût-efficace que proposer la coloscopie à chaque Français passé l’âge de 45, voire 50 ans.

En France, où le taux de participation à la coloscopie est évalué à 25 %, la démarche FIT suivi d’une coloscopie est plus coût-efficace que proposer la coloscopie à chaque Français passé l’âge de 45, voire 50 ans.

 

Dépistage organisé du cancer colorectal, les derniers chiffres [3]
Sur les 17,7 millions de personnes éligibles, 6,1 millions ont réalisé un test de dépistage du cancer colorectal en 2021-2022, ce qui donne un taux de participation de 34,3 % versus 34,6 % en 2020-2021. Le taux de participation est plus élevé chez les femmes (35,3 %) que chez les hommes (33,2 %). Ce taux augmente avec l’âge et varie selon les départements. En effet, la Guyane (8,3 %), en Corse (18,2 %) sont plutôt mauvais élèves alors que le Maine-et-Loire, le Haut-Rhin et le Bas-Rhin « culminent » aux alentours de 44 % de participation.

 

Lire le dossier : Dépistage et traitement du cancer colorectal : faites le point!

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