États-Unis – Une pilule contre les vomissements et les nausées matinales très utilisée dans les années 1960 et 1970 aux Etats-Unis, le Bendectin, a été associée à un risque accru de cancer colorectal (CCR) chez les personnes d’âge moyen exposées au médicament in utero.
L’étude a été publiée le 10 mars dans la revue JNCI Cancer Spectrum [1].
Le risque de CCR était trois fois plus élevé chez les adultes exposés au médicament in utero que chez les adultes non exposés (30,8 contre 10,1 cas pour 100 000 personnes) après la prise en compte des facteurs de confusion potentiels.
Une association médicamenteuse dangereuse ?
Le Bendectin (Debendox au R.‑U.; Lenotan et Merbental dans d’autres pays), qui était à l’origine une association de trois médicaments, a été approuvé en 1956 et est rapidement devenu le traitement le plus prescrit pour les nausées et les vomissements pendant la grossesse, utilisé par un quart des femmes enceintes aux Etats-Unis. Il contenait une association de trois médicaments : l’antispasmodique/anticholinergique dicyclomine, l’antihistaminique doxylamine et la pyridoxine (une forme de vitamine B6).
Outre-Atlantique, la dicyclomine a été retirée de la formulation en 1976 après qu’il ait été rapporté une association avec des anomalies gastro-intestinales chez les nouveau-nés – sténose du pylore et atrésie de l’œsophage – ainsi que des maladies cardiaques congénitales.
La production de la formulation doxylamine/pyridoxine s’est poursuivie jusqu’en 1983, date à laquelle le fabricant a interrompu la commercialisation en raison de poursuites judiciaires en cours suggérant qu’elle pouvait aussi provoquer des malformations congénitales.
Alors que par la suite, plusieurs études ont infirmé l’association entre la trithérapie et le risque de malformations congénitales, la bithérapie doxylamine/pyridoxine est revenue sur le marché américain en 2013 comme traitement des nausées matinales sous le nom de Diclegis.
La dicyclomine est, pour sa part, actuellement disponible pour le syndrome de l’intestin irritable en tant que médicament de catégorie B pour la grossesse.
« L’objectif de notre étude était de comprendre pourquoi les taux de cancer colorectal augmentent chez les jeunes », a déclaré à Medscape Medical News l’auteure principale de l’étude, la Dre Caitlin Murphy, chercheuse en santé publique à l’Université du Texas au Centre scientifique de la Santé (Houston, États-Unis).
« Nos résultats suggèrent que les événements survenus au cours de la première période de la vie, y compris dans l’utérus, peuvent contribuer au cancer colorectal plusieurs décennies plus tard ».
Exposition in utero et risque de cancer
Les données proviennent d’un projet de recherche sur la grossesse – le programme d’études sur la santé et le développement de l’enfant – auquel ont participé 14 507 femmes enceintes dans la région d’Oakland (Californie, États-Unis) entre 1959 et 1966.
Parmi de nombreux autres éléments, les prescriptions faites aux femmes pendant la grossesse ont été enregistrées.
Les chercheurs ont établi un lien avec le California Cancer Registry (Registre californien du cancer) afin de corréler l’exposition in utero au Bendectin avec l’incidence du cancer colorectal chez les 18 751 enfants nés de ces femmes.
Les chercheurs ont ensuite comparé les taux de CCR chez les 1 014 adultes qui avaient été exposés au médicament (environ 5 %) avec ceux qui n’y avaient pas été exposés. Les femmes qui avaient pris du Bendectin l’avaient fait principalement au cours du premier trimestre ; la plupart des patientes n’avaient reçu qu’une seule ordonnance.
L’équipe a constaté qu’au 31 décembre 2021, 83 cas de CCR avaient été recensés. Parmi ces cas, 12 sont survenus chez des adultes qui avaient été exposés au Bendectin.
Le risque de CCR était plus de trois fois supérieur chez les enfants exposés au médicament contre les nausées matinales (rapport de risque ajusté, 3,38). Globalement, 0,012 % des adultes exposés et 0,004 % des adultes non exposés ont développé un CCR.
Les adultes qui avaient été exposés au Bendectin ont été diagnostiqués avec un CCR à un âge légèrement plus jeune que ceux qui n’avaient pas été exposés (âge moyen 47 ans contre 49 ans). Le risque associé au Bendectin a commencé à se distinguer des adultes non exposés vers l’âge de 35 ans et était plus élevé chaque année de plus, a déclaré la Dre Murphy.
Bien que l’on ne sache pas exactement comment l’exposition à l’antispasmodique peut augmenter le risque de CCR des décennies plus tard, les chercheurs soupçonnent la dicyclomine d’être le coupable.
Une recherche plus approfondie est nécessaire
« Il n’y a pas encore assez d’informations pour faire des recommandations différentes pour le dépistage en fonction de l’exposition au Bendectin », a déclaré la Dre Murphy, mais comme l’exposition in utero à la dicyclomine est toujours possible par le biais des médicaments pour le syndrome de l’intestin irritable, des recherches plus approfondies sur ses effets pourraient être justifiées.
Interrogé à ce sujet, le Dr Alan Venook, spécialiste du cancer colorectal et oncologue médical à l’université de Californie à San Francisco, a déclaré qu’il ne savait pas trop quoi penser de ces résultats.
« Si ces résultats sont réels, je ne suis pas sûr qu’ils soient exploitables ou utiles, étant donné que les recommandations actuelles prévoient que le dépistage commence à l’âge de 45 ans, ce qui engloberait tous les individus qui auraient été exposés au Bendectin in utero jusqu’en 1976 », a déclaré le Dr Venook.
Financements et liens d’intérêts
L’étude a été financée en partie par le National Cancer Institute. La Dre Murphy est consultante pour Freenome. Un autre chercheur est consultant pour Exact Sciences, GRAIL, Freenome et Universal Dx.
Cet article a initialement été publié sur Medscape.com CRC in Middle Age Linked to Morning Sickness Pill From ‘60s, ‘70s. Traduit et adapté par Mona El-Guechati
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Crédit de Une : Dreamstime
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Citer cet article: L’exposition in utero à l’antiémétique Bendectin liée à la survenue de cancers colorectaux 35 à 45 ans plus tard ? - Medscape - 29 mars 2023.
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