Paris, France — Nous continuons de suivre, Max, un cardiologue fictif créé par le Dr Usdin, qui aborde cette fois-ci une question qui relève d’une problématique spécifique au colloque singulier : accepter la décision du patient que l’on n’a pas pu convaincre que son choix est erroné. Un des moments difficiles auxquels les médecins sont confrontés dans leur pratique médicale et une réflexion qui n’est pas sans rappeler un article récent publié sur le site et intitulé Que faire quand le patient ne vous écoute pas ?
Anévrysme de l’aorte descendante
Max accueille le prochain patient. Il s’agit d’un septuagénaire africain déjà venu à deux reprises l’année précédente. Ancien ambassadeur de son pays, il a rejoint il y a quelques mois son fils vivant en France.
Il est hypertendu mais son problème est un anévrysme de l’aorte descendante découvert récemment, à l’occasion de douleurs lombaires – ectasie probablement survenue au cours d’un accident de voiture, il y a trois décennies. L’anévrysme mesurait 50 mm lors de sa première visite il y a un an, Max n’était pas sûr que les douleurs lombaires étaient en rapport mais il y avait, selon lui, une indication pour une intervention. Il fallait au minimum un avis chirurgical.
Un anévrysme de l’aorte descendante de 60mm
Souci : le patient n’a pas de « couverture sociale » et ses moyens ne lui permettent pas de bénéficier du cursus habituel des affiliés. Le médecin traitant et les différents services sociaux ont initié des démarches pour lui obtenir une prise en charge. En attendant, premier objectif : traiter efficacement la tension artérielle.
Six mois plus tard, la taille de l’anévrysme a augmenté à 60mm et il est partiellement thrombosé selon le dernier scanner. Mais toujours pas d’assurance sociale.
Une évolutivité importante de l’ectasie en un an
Six mois de plus ont passé et, maintenant, et il dispose désormais de l’Aide Médicale d’Etat finalement accordée. Le chirurgien thoracique consulté peu avant avait conclu que son cas est bonne indication à la mise en place d’une endoprothèse aortique. Mais voilà, l’anévrysme mesure maintenant 70mm ! Les différents bénéfices et risques opératoires ont été exposés incluant la redoutable paraplégie, néanmoins très peu probable, vue la situation de l’ectasie. Mais l’évolutivité en un an était importante, soulignait le chirurgien.
Tout semblait en ordre donc : absence de contre-indication, accord du chirurgien, bénéfices surpassant les risques au vu du potentiel évolutif de la lésion et prise en charge enfin obtenue après « parcours du combattant » pendant plus d’une année.
Le retour au pays avec certification médicale
Mais le patient souhaite retourner dans son pays, il est venu chercher non pas le blanc-seing cardiologique de la part de Max mais un certificat lui permettant de revenir en France en urgence absolue au moindre signe de rupture anévrysmale ! « Je soussigné … demande aux autorités consulaires, etc. »
Max n’en croit pas ses oreilles : tout ce parcours pour obtenir le traitement définitif de cette véritable bombe à retardement pour aboutir au rejet de la part du patient de l’intervention programmée. Max exprime longuement son incompréhension, confirme l’intérêt absolu de l’intervention, explique la technique utilisée… mais rien n’y fait, il n’arrive pas à convaincre. A bout d’argument, il fait savoir au patient qu’il est exclu qu’il rédige un tel certificat puisqu’une intervention élective rapide le mettra à l’abri d’une telle catastrophe vasculaire. Malgré tout, le patient reste sur sa position.
Max est décontenancé. Une fois passé ce moment difficile, il repense à une situation quasiment semblable où un de ses amis médecins septuagénaires lui a demandé conseil, il n’y a pas si longtemps.
Récidive d’un méningiome cérébral : 40 mm à bas bruit
Cet ami, lui-même médecin, avait été opéré d’un méningiome cérébral avec succès six ou sept ans auparavant. C’était un grade II comme ils disent. La récidive est possible et elle arriva effectivement, doucement, sans crier gare. Les IRM annuels avaient bien sûr été espacés puisqu’il ne se passait rien, négligence médicale du médecin pour lui-même…et en deux ans d’intervalle la « récidive » avait doublé de dimensions de 20 mm et atteint 45 mm. Non résécable, avait conclu le neurochirurgien vue la localisation mais la tumeur est accessible à la radiothérapie.
Après avoir encaissé la consultation d’annonce, cet ami voulait l’avis de Max – totalement incompétent sur le plan médical dans cette situation - mais quand même.
Attendre la complication…
« La radiothérapie dure un mois et demi, à raison de 5 séances fatigantes par semaine, impossible ou difficile de travailler efficacement, effets locaux sur le crâne et surtout sur les quelques pauvres petites cellules grises qui me restent. La tumeur restera, le but est seulement d’empêcher la progression, alors à quoi bon sacrifier ma mémoire alors que je n’ai aucun symptôme sauf ceux liés à l’âge ! » affirme l’ami.
La question posée à Max est la suivante : « Dois-je attendre et voir ? ou dois-je donner mon cerveau restant à la radiothérapie au risque de cesser le travail non pas seulement pendant deux mois mais définitivement ? » Mais son confrère avait déjà pris sa décision : attendre ! Max avait acquiescé tout en ayant l’intuition que ce n’était pas la bonne.
Accepter le choix que l’on sait erroné du patient
Le parallèle entre ces deux patients apparaît évident à Max maintenant. Pourquoi réagir négativement à la demande de son patient concernant son choix de repartir dans son pays ? Dans un cas, il réfute la décision et refuse ce certificat, alors que dans l’autre, il prend parti pour l’attente thérapeutique de son ami ? Parce que l’un est médecin ? Parce qu’il a des liens affectifs avec lui ? Parce qu’il n’y a pas urgence absolue ? Parce que l’un s’éloigne et l’autre reste à portée de main ?
Quel risque Max prend-t-il en rédigeant le certificat ? Va-t-il rassurer le patient ? Le conforter dans l’abstention thérapeutique, ce qui est une grave erreur ? Il est évident que ce certificat n’aura aucune utilité si la complication survient. il a tenté de l’expliquer au patient mais à quoi bon, sa décision de retourner au pays était déjà prise. Alors… Deux poids deux mesures ? Toute proportion gardée Max pense à l’introduction d’une fable de La Fontaine [1]« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir… »
Citer cet article: Choix – jugé erroné – du patient : deux poids deux mesures ? - Medscape - 29 mars 2023.
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