Paris, France – L’objectif de la prise en charge des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) est de restaurer une vie normale pour le patient et l’activité physique (AP) en fait partie. S’il n’est pas possible aujourd’hui de la présenter comme un médicament anti-inflammatoire faute de preuves, ses impacts positifs sur l’anxiété, la dépression, la fatigue et le stress font consensus, ainsi que sur la sarcopénie et la force musculaire, ou encore l’ostéoporose et la densité minérale osseuse, généralement diminuées dans cette population.

Pr Guillaume Savoye
Au quotidien, pratiquer une activité physique adaptée lorsqu’on est atteint de MICI est possible, à condition toutefois que la maladie soit stabilisée, a indiqué le Pr Guillaume Savoye, chef du service d’hépato-gastroentérologie et oncologie digestive du CHU de Rouen, lors des Journées francophones d’hépato-gastroentérologie et d’oncologie digestive 2023 (JFHOD, 16-19 mars, Paris) [1]. Une démonstration poussée à l’extrême par le skipper professionnel Pierre-Louis Attwel qui « vogue avec un Crohn » (voir encadré en fin de texte).
AP protectrice
« Il semblerait que l’activité physique soit protectrice vis-à-vis de la survenue d’une MICI, essentiellement la maladie de Crohn (MC) [2] si l’on en croit la grande cohorte des infirmières américaines (1994-2010) où le risque de MC était inversement associé à l’activité physique » [3]indique le Pr Savoye.
Les femmes actives pratiquant au moins 27 MET h/semaine (Metabolic Equivalent of Task) d’activité physique présentaient une réduction de 44 % (risque relatif 0,56 ; IC 95 % : 0,37 à 0,84) du risque de développer une MC par rapport aux femmes sédentaires (<3 MET h/sem).
« Ceci est un signal modeste en faveur d’une activité physique soutenue et régulière, ajoute le spécialiste, confirmé par les résultats à la limite de la significativité d’une étude suédoise conduite chez plus de 3 millions d’« appelés » du service militaire [4]. Ceux dont l’activité physique était la plus faible semblaient plus à risque de MC ultérieure, et, dans une moindre mesure, de rectocolite hémorragique (RCH).
Finalement, l’activité physique, les modifications induites sur le microbiote et des choix alimentaires probablement différents chez les actifs versus les inactifs voire les sédentaires, semblent constituer une triade physiopathologique protectrice vis-à-vis de la survenue d’une MICI » [5].
L’activité physique est impactée par la maladie. Et inversement.
Au-delà de la cicatrisation transmurale dans la MC ou de la cicatrisation histologique dans la RCH, la finalité du management des MICI inscrite dans le consensus Stride-II [6] est bien que les patients renouent avec une vie normale, c’est-à-dire un quotidien où l’activité physique est présente.
Or, lorsque la maladie survient, de nombreux patients arrêtent justement l’activité physique. Une étude l’a mis en évidence chez 158 patients (100 malades atteints de MC, âge moyen : 35 ans) [7] : que ce soit ceux qui la pratiquent rarement (une promenade à vélo pendant les vacances, par exemple), les amateurs, les semi-professionnels ou les professionnels, une tendance à la baisse de l’activité physique est à chaque fois constatée (45 % à 60 % ; 45 % à 35 % ; 7 % à 3 % et 5 à 2 %, respectivement). La nature même de l’activité évolue.
En effet, alors qu’avant l’annonce de la maladie, les patients pratiquent des activités variées, type marche, course à pied, cyclisme, natation, etc., les activités les plus entravées par la présence d’une MICI sont la marche et le running, associées le plus souvent à des conséquences importantes (impériosités, etc.) [8]. L’activité de la maladie et la chirurgie sont deux facteurs qui pèsent très lourd dans le recul de la pratique physique, à l’instar de la douleur, la fatigue, l’anxiété et la dépression [9].
L’activité physique et ses limitations ont également été constatées au sein d’une cohorte anglaise composée de 918 patients atteints de MICI avec, comme freins déclarés, la fatigue et l’anémie, ainsi que l’incapacité à conjuguer maladie et sport, « une limite que s’impose peut-être la personne elle-même [10 ]», commente Guillaume Savoye. La fatigue se place en tête des facteurs limitants à la pratique régulière (31%), devant la douleur abdominale (21 %), l’incontinence intestinale (13 %), les douleurs articulaires (12 %) et l’embarras vis-à-vis des symptômes (11 %) [11].
Entre effets pro et anti-inflammatoires…
Du point de vue physiopathologique, « l’exercice physique contribue à redistribuer les cellules immunes au sein des tissus pulmonaires, hépatiques notamment, avec une mobilisation et une activité accrues, résume le Pr Savoye. Il provoque aussi la libération des myokines par le muscle dont certaines ont une activité anti-inflammatoire (IL-15, IL-10, IL-1ra).
A l’inverse, la crainte est que cette activité physique stimule la production de cytokines pro-inflammatoires (TNF-alpha, IL-17 et IL-1bêta). A noter, l’IL-6 se retrouve au niveau des pro et des anti-inflammatoires [12]. » De manière générale, la qualité de la littérature scientifique sur les effets anti-inflammatoires de l’activité physique liés aux interleukines stimulées est disparate. Une méta-analyse les a colligées, publiée en 2022 [13] : « vis-à-vis de la CRP, l’IL-17, l’IL-6 et le TNF-alpha, le signal est suffisamment confus pour qu’aucune tendance délétère et significative liée à ces cytokines pro-inflammatoires ne ressorte, ajoute le spécialiste.
De la même manière, la calprotectine fécale, marqueur incontournable dans la prise en charge des MICI, ne diffère pas, que les malades soient des « marcheurs » (d’intensité modérée) ou non [14]. En conclusion, le signal biologique existe probablement, mais il est noyé dans un important bruit de fond de cytokines. Il n’est donc pas possible aujourd’hui de vanter le sport comme un médicament anti-inflammatoire dans les MICI ».
L’intérêt de l’activité physique passe par ses effets sur l’os et le muscle
« Il est souhaitable de promouvoir l’activité physique sur la base d’effets bénéfiques démontrés au cours des MICI, envisage le Pr Savoye, comme l’augmentation de la densité minérale osseuse (DMO)[15,16] au moyen, par exemple, de trois interventions d’une heure minimum par semaine comme réalisé dans des études, d’autant qu’une DMO abaissée et une ostéoporose sont fréquentes au cours des MICI (20- 50 %) [17].»
Le muscle n’est pas en reste et profite de l’exercice physique chez les patients atteints de MICI. La force musculaire chez eux est généralement diminuée, en particulier au niveau des membres inférieurs (-24,6 % au test de force, P<0,001) et des abdominaux (-25,1 % au sit-up test, p<0,001)[18], et doublée d’une sarcopénie [19].
Les exercices en résistance semblent positifs. Dans une étude, à 6 mois les performances du groupe « exercice » étaient supérieures à tous les niveaux et la fatigabilité musculaire significativement diminuée [16,17,18,19,20]. L’amélioration de la fatigue et de la qualité de vie par un programme d’entraînement personnalisé apparaît bénéfique, grâce à un entraînement contre résistance.
Sur le détail du score de qualité de vie (IBDQ), les composantes « sociale » et « émotionnelle » sont améliorées, alors que les impacts sur l’intestin et systémique ne semblent pas évoluer [21]. Enfin, le niveau et l’intensité de l’activité physique n’ont pas forcément besoin d’être très importants, avec des activités d’au moins 3 MET, sachant que le jardinage est estimé à 4 MET.
« Il ne semble pas que l’on puisse proposer une activité physique en toutes circonstances, nuance le Pr Savoye, et notamment en période de poussée inflammatoire de la MICI. Pour des raisons de sécurité, l’activité physique devrait être encouragée uniquement chez les patients dont la maladie est contrôlée [22]. »
En pratique, l’activité physique devrait être proposée, en utilisant les techniques d’entretien motivationnel, sans limite d’âge et adaptée à chacun, plusieurs fois par semaine avec des exercice en résistance, en sachant que les objectifs sont ceux de l’OMS – très ambitieux –, à savoir 300 minutes d’exercice physique par semaine. « Quant à l’intérêt de l’activité physique dite « haute intensité », à la mode, j’incite à la prudence chez les patients atteints de MICI [12] », prévient Guillaume Savoye.
Des recommandations « MICI-spécifiques » de la part des sociétés savantes seraient utiles…
![]() Pierre-Louis Attwel Vogue avec un Crohn Pierre-Louis Attwel (Nantes) fait figure d’exception dans le monde du sport professionnel. Passionné par la course au large, ce skipper professionnel a reçu le diagnostic de maladie de Crohn à l’âge de 16 ans. Il vit désormais avec une stomie. Moment émotion aux JFHOD 2013 lorsque le compétiteur de 24 ans détaille toute la difficulté des courses en solitaire, la préparation sportive mais aussi médicale conditionnée par la maladie [2]. Il a créé l’association Vogue avec un Crohn et endosse le rôle de patient expert MICI, dûment diplômé de l’Université des Patients-Sorbonne (Paris) [23]. Tout en prenant le départ de la transat Jacques Vabre ou de la Route du Rhum, il s’est donné trois missions de santé publique : sensibiliser, encourager les patients à accepter la maladie et mieux la vivre au quotidien ainsi que créer du lien entre les acteurs de la santé digestive pour co-construire le parcours patient de demain. « Le challenge de cette aventure de course au large avec Vogue avec un Crohn produit un cercle vertueux, fait remarquer Pierre-Louis Attwel. Elle nécessite une alimentation saine, une activité physique rigoureuse, des objectifs de communication sur les MICI, et requiert pour cela une maladie stable, d’où une adhésion au traitement, une forte implication en tant que patient, une rigueur dans la préparation des examens coliques, etc. » Un modèle dans le domaine du sport de haut niveau et un exemple pour tout un chacun souffrant de MICI. |
Liens d’intérêt :
De manière générale, le Pr Guillaume Savoye déclare des liens d’intérêts suivants : Recherche clinique/travaux scientifiques Amgen, Vifor pharma /Takeda /Tillotts /MSD /Ferring /Janssen/Pfizer, mais aucun en lien avec sa présentation. |
Liens
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Citer cet article: Activité physique et MICI, est-ce compatible ? - Medscape - 11 avr 2023.
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