Washington, Etats-Unis — Des experts internationaux ont établi par consensus les premières recommandations sur le diagnostic et la prise en charge du cancer colorectal d’apparition précoce (EOCRC pour Early-Onset Colorectal Cancer), défini comme un cancer diagnostiqué avant l’âge de 50 ans. Le document contient 31 recommandations, basées sur l’analyse de 145 études, dont plusieurs avec un fort niveau de preuve [1].
Les recommandations ont été émises par un groupe de 69 experts, dirigé par la Pre Giulia Martina Cavestro (University Vita Salute San Raffaele Hospital, Milan, Italie). Elles ont été validées par les sociétés savantes Associazione Italiana Familiarità Ereditarietà Tumori, Collaborative Group of the Americas on Inherited Gastrointestinal Cancers, European Hereditary Tumor Group et International Society for Gastrointestinal Hereditary Tumours.
Une incidence en hausse
« Un consensus fort s’est dégagé sur le fait que tout individu de moins de 50 ans doit avoir une estimation de son risque de cancer colorectal et évaluation rapide des symptômes », ont commenté les auteurs. Par ailleurs, « tous les patients ayant un diagnostic de cancer colorectal précoce doivent avoir un test génétique de recherche de mutation germinale, idéalement avant chirurgie ».
Ces recommandations font écho à la proposition de la commission « endoscopie et cancer » de la Société française d’endoscopie digestive (SFED), qui souhaite une approche avec une première consultation de prévention entre 45 et 50 ans afin de déterminer le risque cumulé de cancer colorectal en fonction des facteurs de risque - en se basant sur le LiFeCRC Score - et d'adapter en conséquence la stratégie de dépistage.
Depuis les années 1990, le cancer colorectal à début précoce (EOCR) est en forte progression dans le monde entier, autant dans les pays industrialisés que dans ceux en voie de développement, tandis que l’incidence de ce cancer est plus stable, voire en baisse chez les plus de 50 ans, notamment grâce à l’évolution des modes de vie et aux programmes de dépistage.
Récemment, des études épidémiologiques ont alerté sur cette progression du cancer colorectal chez les moins de 50 ans (+51% de mortalité en plus en 30 ans aux Etats-Unis), au point de suggérer d’avancer l’âge du dépistage. Dans ses dernières recommandations, l’American Cancer Society (ACS) estime que le dépistage doit débuter dès 45 ans et non pas à 50 ans, chez les hommes comme chez les femmes.
Pas plus d’antécédents familiaux
Publiés dans Clinical Gastroenterology and Hepatlogy, les 31 recommandations sont réparties entre sept chapitres: diagnostic, facteurs de risque, génétique, patho-oncologie, traitement, endoscopie et soins de support. Elles viennent ainsi combler des lacunes dans les connaissances sur la chirurgie, le traitement adjuvant ou néoadjuvant, ainsi que sur les soins de support à apporter.
Concernant le diagnostic, il est précisé que toute personne présentant des symptômes inquiétants avant l’âge de 50 ans doit être examinée pour rechercher un cancer colorectal. Parmi ces symptômes, les experts citent l’hématochézie, l’anémie ferriprive inexpliquée ou la perte de poids inexpliquée.
En cas de symptômes, une coloscopie doit être programmée idéalement dans les 30 jours après la consultation médicale. La méthode à privilégier est l’endoscopie de haute qualité en lumière blanche haute définition.
Une stratification du risque doit être menée, en tenant compte des antécédents familiaux de cancer colorectal, des facteurs de risque et des comorbidités, pour identifier les plus à risque. Environ 28% des patients atteints d’une forme précoce ont des antécédents familiaux de cancer colorectal, soit un taux similaire à ce qui est observé chez ceux avec une forme plus tardive.
Selon les experts, l’âge ne doit pas être l’unique critère pour influencer les décisions relatives au traitement endoscopique, chirurgical et oncologique.
Test génétique systématique
Après le diagnostic, tous les patients doivent avoir un test génétique pour dépister les mutations germinales, idéalement avant l’intervention chirurgicale, les résultats pouvant avoir une influence sur la décision thérapeutique.
Toute tumeur doit être examinée pour rechercher une altération d’un gène de la réparation des mésappariements de l’ADN, si possible avant traitement, en utilisant soit une coloration par immunohistochimie pour étudier la perte d’expression des protéines MMR, soit un test d’identification d’une instabilité microsatellitaire (MSI).
Les tests génétiques doivent rechercher les mutations APC, BMPR1A, EPCAM, MLH1, MSH2, MSH6, MUTYH, POLD1, POLE, PMS2, PTEN, SMAD4, STK11 et TP53. Si les coûts ne sont pas trop prohibitifs, les tests peuvent également inclure des mutations plus communes comme BRCA1, BRCA2, ATM, CHEK2 et PALB2.
Il est également recommandé de recourir à d’autres tests portant sur des mutations moins fréquentes, mais pouvant avoir un impact: BRIP1, BARD1, CDKN2A, CDH1, RAD51C et RAD51D. Autres mutations à rechercher, hors considération économique: AXIN2, GREM1, MLH3, MSH3, MBD4, NTHL1, RNF43 et RPS20.
Pas de différence de traitement
S’agissant des traitements, il n’existe pas de preuves suggérant une différence d’efficacité avec les thérapies adjuvantes et néoadjuvantes ou systémiques entre les patients avec un cancer colorectal précoce et ceux pris en charge pour une forme plus tardive, indiquent les experts.
Les traitements endoscopiques, chirurgicaux et oncologiques à appliquer doivent être similaires à ceux recommandés dans les formes d’apparition plus tardive. Cependant, les options thérapeutiques doivent être adaptées aux patients, en tenant compte de certains facteurs, comme le risque de cancer métachrone (cancer secondaire diagnostiqué après le cancer primitif), les résultats des tests génétiques, les répercussions sur la fertilité ou le risque de nausée et de vomissement induites par la chimiothérapie.
Après le traitement, les patients doivent faire l’objet d’une surveillance standard avec un examen clinique à un et trois ans. Une coloscopie doit être réalisée au moins une fois tous les cinq ans. Les personnes atteintes d’un cancer colorectal héréditaire doivent faire l’objet d’une surveillance en fonction des variants génétiques identifiés et du profil phénotypique.
Par ailleurs, tous les patients atteints d’un cancer colorectal doivent être informés de l’impact des traitements sur la fertilité et être conseillés sur les moyens de la préserver. Un soutien psychologique et social est également à envisager.
Les patientes qui s’avèrent à risque élevé de cancer gynécologique après la découverte d’une mutation (BRCA1, BRCA2…) peuvent bénéficier d’une hystérectomie prophylactique avec ou sans ovariectomie bilatérale. Une préservation de la fertilité est à envisager en fonction du stade du cancer colorectal, de la sévérité, des risques liés au traitement envisagé et de la gonadotoxicité associée.
Activité physique et soutien nutritionnel
Les soins de support dans la prise en charge d’un cancer colorectal précoce doivent être similaires à ce qui est proposé aux autres populations, bien que le risque de nausées et de vomissements induits par la chimiothérapie soit plus élevé chez les patients traités pour un cancer d’apparition plus tardive, en particulier chez les femmes avec un faible indice de masse corporel (IMC).
D’autres interventions peuvent être envisagées pour améliorer l’état des patients, comme une activité physique personnalisées ou un programme de soutien nutritionnel pour maintenir et récupérer la masse musculaire, ainsi qu’un soutien psychosocial ou psychosexuel compte tenu de l’impact des traitements et de la maladie sur la santé sexuelle.
Enfin, les auteurs appellent à davantage de recherches concernant le cancer colorectal d’apparition précoce, en particulier dans les domaines suivants :
évaluation des risques et bénéfices liés au dépistage dans la population jeune présentant un risque moyen à élevé de cancer colorectal;
identification des facteurs de risque de cancer EOCR;
étude des résultats obtenus avec une thérapie néoadjuvante;
comparaison des résultats à long terme après résection par voie endoscopique et chirurgicale;
stratégie optimale de suivi et de surveillance après une résection à visée curative.
Cet article a été publié dans l’édition internationale de Medscape.com sous le titre New Treatment Recommendations for Early-Onset CRC. Traduit et adapté par Vincent Richeux.
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Crédit de Une : Dreamstime
Actualités Medscape © 2023
Citer cet article: Premières recommandations sur le dépistage et la prise en charge du cancer colorectal précoce - Medscape - 28 mars 2023.
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