Paris, France – L’activité physique était le fil rouge des Journées francophones d’hépato-gastroentérologie et d’oncologie digestive 2023 (JFHOD, 16-19 mars, Paris)[1]. L’occasion était trop belle pour ne pas se pencher sur l’hépatotoxicité des produits dopants et des compléments alimentaires. Si celle-ci reste rare, elle est imprévisible, potentiellement sévère et sous-diagnostiquée, d’autant que le biais de sous-déclaration de leur consommation est bien réel.
Dopants : le risque d’ hépatite médicamenteuse secondaire n’est pas loin
« Ces dernières années, nous constatons une augmentation de l’utilisation des produits dopants et des cas d’hépatotoxicité liés à ces produits ainsi qu’aux compléments alimentaires, pointe la Dr Lucy Meunier, hépatologue au CHU de Montpellier [2].
Entre 1994 et 2016, une étude de registre espagnole [3] a observé la croissance progressive de la consommation de produits anabolisants, de plantes et des compléments alimentaires. Dans le même temps, les chercheurs ont dénombré 856 cas d’hépatotoxicité, 32 cas de toxicité liée à des plantes et aux compléments alimentaires et 20 cas de toxicité due aux anabolisants. »
Concernant les anabolisants, les données sont parcellaires, constituées exclusivement de case reports. Une revue [4] renseigne cependant sur l’hépatotoxicité de ces agents avec 35 cas publiés, survenus principalement chez des hommes jeunes.
La quasi-majorité d’entre eux présentaient un ictère très marqué, une dysfonction rénale associée, ceci après une durée de traitement d’un mois. Le délai d’apparition entre la prise du traitement et la survenue de l’hépatite était de 4 à 6 semaines et la résolution était lente. Par comparaison aux autres agents toxiques, le profil des patients développant une hépatotoxicité sous anabolisants sont des hommes jeunes, sans comorbidités, avec des hépatites plus ictériques, plus sévères. Aucun décès ou transplantation hépatique n’a été mentionné, mais ces risques sont néanmoins réels [3].
« Plusieurs hypothèses sont évoquées qui pourraient expliquer l’hépatotoxicité des anabolisants, détaille la Dr Lucy Meunier, à commencer par une altération de la chaîne mitochondriale d’où une augmentation du stress oxydant et donc de la nécrose hépatocytaire. Le second mécanisme expliquant la cholestase et l’ictère serait une interaction entre les récepteurs androgènes et les transporteurs biliaires. Une autre hypothèse, du fait de carcinomes hépatocellulaires (CHC) et d’adénomes observés chez des hommes jeunes ayant pris des anabolisants serait que ces produits favoriseraient la prolifération hépatocytaire et, par conséquent, exposeraient de manière accrue à un risque de CHC et d’adénome. Ce sont probablement des mécanismes en partie communs qui expliqueraient des cas de péliose hépatique et de maladie vasculaire porto-sinusoïdale qui ont été décrits dans la littérature en rapport avec ces traitements, du fait de l’obstruction vasculaire qui peut alors entraîner une maladie vasculaire du foie [5,6]. »
Les compléments alimentaires avancent masqués
Si les consommateurs d’anabolisants sont finalement peu nombreux parmi la population, la prise de compléments alimentaires est en revanche généralisée et ne cesse de progresser.
En France, en 2020, il représentait 2,13 milliards d’euros et certains imaginent qu’il dépassera les 2,50 milliards d’euros à l’horizon 2024. « Il est intéressant de regarder la répartition des motifs de prise des compléments alimentaires, souligne la Dr Meunier. Une étude portant sur 262 produits consommés par 136 patients [9] a relevé que dans 30 % des cas il s’agissait d’augmenter les performances musculaires, dans 19 % de maigrir puis, entre 2 et 4 % d’agit sur la dépression, la sexualité, les troubles digestifs, l’immunité ou les articulations. »
Aux Etats-Unis, leur marché pesait 9,6 milliards de dollars en 1994 et 36,7 milliards de dollars en 2014 aux Etats-Unis, selon un registre américain [8]. entre 2004 et 2014 a répertorié 845 cas d’hépatotoxicité, dont 129 secondaires aux compléments alimentaires (44 % étaient destinés à augmenter les performances sportives)[9].
Plusieurs scandales ont éclaté avec des produits leaders de leur marché, dont OxyELITE pro, qui contenait du 1,3-dimethylamylamine DMAA pour augmenter la masse et les performances musculaires. C’est un stimulant du système nerveux central, dont la structure moléculaire s’apparente aux amphétamines. Ce produit est à l’origine de plus de 50 cas d’hépatites dont deux transplantations au début des années 2010.
La composition d’OxyELITE pro a depuis été modifiée, le DMAA ayant été retiré du marché, ce qui n’a pas empêché de répertorier de nouveaux cas d’hépatite depuis.
Pour sa part, Hydrocycut, du fait de la présence de deux composants -extraits de thé vert et Garcinia cambogia, bien connus pour leur risque d’hépatotoxicité - a été à l’origine d’au moins 29 cas d’hépatites cytolytiques et de trois transplantations hépatiques.
Une nouvelle formulation a donc été commercialisée mais les hépatites continuent, laissant là aussi planer quelques doutes sérieux sur leur composition. Quant au complément alimentaire Herbalife, vendu dans 50 pays avec des compositions à chaque fois variables, on compte au moins déjà 57 cas d’hépatotoxicité à son actif [10].
« Les problèmes avec les compléments alimentaires sont que la réglementation sur leur commercialisation est régie par l’ANSES, l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, un système totalement différent des règles strictes qui encadrent la commercialisation des médicaments, remarque Lucy Meunier. A cela s’ajoute que les achats sont possibles sur internet, que leur côté « naturel » bien mis en avant est faussement rassurant - on n’imagine pas qu’ils puissent entraîner d’hépatite fulminante ou conduire à la transplantation -, que l’interrogatoire du patient en cas d’hépatite se heurte aux oublis et aux prises cachées et que les compositions sont généralement inexactes. »
Ce point est un problème majeur : la composition figurant sur la boîte du complément alimentaire est souvent obscure et inexacte. Une étude l’a illustré de manière assez stupéfiante. Par exemple, la composition réelle des compléments alimentaires destinés au bodybuilding ont une composition qui diffère de ce qui est annoncé à 80 %[11].
C’est 72 % pour les produits visant la perte de poids, 49 % pour ceux ciblant les troubles digestifs, 60 % pour les « booster » énergétiques, 40 % pour les produits « santé générale » et 100 % pour les stimulants sexuels !
Rien d’étonnant à ce que des hépatites sévères aient été provoquées par des produits contenant des anabolisants non indiqués dans la composition [10].
Médecins, déclarez au Refheps !
Le Refheps, soutenu par l’Association Française pour l’Étude du Foie (AFEF), est un réseau francophone d’échange sur l’hépatotoxicité des produits de santé. Sa vocation est de partager les cas d’hépatotoxicité, de solliciter un avis en cas de suspicion concernant la toxicité d’un produit de santé et d’améliorer les connaissances dans ce domaine. Un collège d’experts sur les hépatites médicamenteuses répond aux sollicitations (refheps@advicemedica.com).
La Dr Lucy Meunier déclare ne pas avoir de liens d’intérêts en rapport avec sa présentation.
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Crédit image de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Compléments alimentaires et dopants, doit-on avoir peur de l’hépatotoxicité ? - Medscape - 27 mars 2023.
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