Paris, France – Alors qu’en France le nombre d'enfants et d’adolescents qui souffrent d'un trouble psychique est estimé à 1,6 million et que l'épidémie de Covid 19 a fortement affecté leur santé mentale, Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes a présenté un rapport consacré à l’offre de soins en pédopsychiatrie dans l’hexagone, le 21 mars, devant la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale.
La conclusion du rapport est sans détour : l’offre de soins psychiques est « inadaptée aux besoins de la jeunesse ». Et l’accès et l’ offre de soins « sont à réorganiser ».
Une inégalité d’accès aux soins
Selon les sages de la rue Cambon, « entre 750 000 et 850 000 enfants et adolescents bénéficient annuellement de soins prodigués en pédopsychiatrie par des professionnels spécialisés (soins ambulatoires, hospitalisations partielles et complètes) » mais « une partie des patients suivis ne souffrent que de troubles légers, au détriment de la prise en charge d'enfants souffrant de troubles plus sévères ».
Autre point noir, l'offre d'équipements, ambulatoires comme hospitaliers est marquée par de fortes inégalités territoriales.
Enfin, la diminution du nombre de pédopsychiatres de 34% entre 2010 et 2022 rend encore plus difficile l'accès aux soins psychiques infanto-juvéniles.
Une mauvaise organisation
Si la Cour des Comptes salue la mise en place du projet national dit des « 1 000 premiers jours », une approche de prévention des troubles psychiques des mères et des nourrissons, elle déplore que les efforts ne soient pas poursuivis tout au long de la scolarité « les psychologues de l'Éducation nationale étant souvent renvoyés vers des missions d'orientation scolaire ».
Le rapport pointe aussi du doigt les professionnels libéraux, médecins généralistes et pédiatres, qui « méconnaissent encore trop les caractéristiques des troubles psychiques des enfants et des adolescents et ne jouent donc pas suffisamment leur rôle de porte d'entrée dans le parcours de soins ». La Cour recommande une amélioration de leur formation en psychologie et psychiatrie infanto-juvénile, en particulier sur le plan du dépistage et de l’orientation.
Le rapport note enfin que la prise en charge des urgences pédopsychiatriques repose encore trop sur les services d’urgence des hôpitaux publics.
Quelles solutions ?
Pour pallier le manque de pédopsychiatres, la Cour des Comptes propose de rendre plus visible et plus attractive la formation en pédopsychiatrie mais aussi, dans l’intervalle, et c’est dans l’air du temps, d’appeler à la rescousse les psychologues et les infirmières de pratique avancée qui « ont vocation à prendre progressivement une place dans le parcours de soins ».
Pour éviter la saturation des CMP-IJ par des jeunes atteints de troubles légers, les rapporteurs proposent d’ajouter aux structures existantes, « une expérimentation de maisons de l'enfance et de l'adolescence qui pourrait contribuer à assurer un accueil de première ligne plus efficace ».
Ainsi, les « CMP-IJ pourraient se consacrer au suivi des troubles modérés à sévères, à la coordination des parcours et assurer pleinement leur rôle de centre d'expertise ».
En attendant, la Cour des Comptes appelle à « continuer à renforcer, dans les territoires sous-dotés, les moyens des CMP-IJ pour leur mission d’accueil et d’évaluation, dans le prolongement des mesures adoptées fin 2022 ».
Enfin, « pour anticiper et limiter le recours aux services d'urgences lorsqu'un patient est en crise, les dispositifs d'équipes mobiles et de liaison devraient devenir un équipement de base de chaque territoire de référence ».
Aussi, pour aider les Urgences, le rapport en appelle au privé :
-les psychiatres libéraux devraient contribuer à la régulation des urgences en prenant une part des appels la nuit et les week-ends, via le 15, ou par une orientation des appels et des patients vers un cabinet de permanence en ville. Ils pourraient également participer à des astreintes de services, se déplaçant au domicile ou vers les services d’urgence ;
- les établissements privés disposant d’autorisations d’activité psychiatrique devront, dans le cadre du nouveau régime des autorisations, mieux participer à la prise en charge des soins non programmés, sous le contrôle des ARS qui devraient prévoir notamment une participation aux astreintes des services d’urgences.
A noter qu’entre 2016 et 2021, le nombre de passages aux urgences pour troubles psychiques chez les moins de 18 ans a augmenté de 65%, contre 4% pour l’ensemble des passages tous motifs confondus. Or, les lits d’hospitalisation en pédopsychiatrie manquent. La Cour des Compte indique à ce titre qu’il faudrait créer environ 360 lits d’hospitalisation en pédopsychiatrie et que pour atteindre cet objectif, « une partie des lits de services adultes accueillant actuellement les jeunes de 16-25 ans pourrait être requalifiée, pour relever dorénavant de services de pédopsychiatrie : cela représenterait un coût global d’environ 23 M€ par an ».
Un manque de vision et d’objectifs clairs
Dans la ligne de mire de la Cour des Comptes également, l’Etat. Le ministère de la santé « n’a pas fixé d'objectifs clairs » et « prévu de calendrier de mise en œuvre de sa feuille de route » sur la santé mentale, indique le rapport qui dénonce également « un empilement de plans peu lisible ».
De même, les ARS sont pointées du doigt car « encore trop timides sur le pilotage concret de l’offre de soins ».
En termes de financement, la Cour des Comptes regrette que « les dotations reconduites chaque année ne prennent pas en compte l'évolution de l'activité et s'adaptent peu aux spécificités locales des établissements, à l'exception des mesures nouvelles et des appels à projets.
En conclusion, la Cour des Compte note que « des carences perdurent dans l'offre de soins de pédopsychiatrie, sur les plans quantitatif et qualitatif » et indique que « le secteur entier doit donc être revitalisé, notamment en renforçant l'attractivité des métiers du soin psychique infanto-juvénile ».
Quid d’une meilleure rémunération ?
Ce rapport de la Cour des Compte n’a pas manqué de faire réagir l ’Association Française des Psychiatres d’Exercice Privé et le Syndicat National des Psychiatres Privés qui appellent eux à une revalorisation financière de la pédopsychiatrie.
Ils expliquent que la rémunération des pédopsychiatres libéraux est « désincitative ». « La pédopsychiatrie est le « parent pauvre » de la psychiatrie, elle-même « parent pauvre » de la médecine. Et on s’étonne que les psychiatres « compétents » en pédopsychiatrie soient 42,5 % de moins qu’en 2012 », soulignent-ils, précisant : « les consultations de pédopsychiatrie sont encore moins rémunératrices que les consultations de psychiatrie adulte, en raison d’une durée plus longue, sans compter le temps de travail administratif et de coordination avec différents intervenants paramédicaux et scolaires.... Travail non rémunéré. Elles se font le plus souvent avec un temps pour l’enfant, et un temps avec les parents... pour des honoraires identiques à une consultation de psychiatrie adulte bien plus courte. Pour travailler en pédopsychiatrie en ville, il faut donc accepter de réduire ses revenus d’au moins 25% ».
Pour la Société française de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent et des disciplines associées (Sfpeada) cette demande est justifiée : « si nous sommes favorables à une implication plus forte du libéral dans les prises en charge, en particulier au niveau 1, il nous semble impossible de mettre cela en place sans une revalorisation importante des actes de PEA qui sont longs et complexes ».
Selon le rapport de la Cour, la psychiatrie a bénéficié de revalorisations directes des consultations et « l’augmentation théorique issue de ces mesures devrait atteindre en moyenne environ 8 300 € annuels par professionnel, selon les estimations de la Cnam. Cet effort général en faveur de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie devrait lever une partie des freins à la prise en charge des enfants et des adolescents en ville »...
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Citer cet article: Pédopsychiatrie : le rapport alarmant de la Cour des Comptes - Medscape - 27 mars 2023.
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