France – Alors que tous les regards sont tournés sur le projet gouvernemental de réforme des retraites, la commission des lois du Sénat vient d'adopter, dans le cadre du projet de loi sur l'immigration, un amendement qui met fin à l’aide médicale d’État (AME).
Celle-ci serait remplacée par une aide médicale d’urgence (AMU) restreignant l'accès aux soins des personnes en situation irrégulière et accessible seulement après paiement d'un droit de timbre.
La sénatrice LR du Var Françoise Dumont à l'origine de cet amendement s'est félicitée de cette adoption car pour elle « nous devons stopper la distribution d’aides incontrôlées, qui créent un ‘appel d’air’ migratoire, que la France ne contrôle plus du tout ».
Ses mots n'ont pas manqué de faire réagir. Déontologie, santé publique, ... médecins et associations multiplient les arguments pour défendre l'AME.
Porté par le ministre de l'intérieur Gérald Darmanin, le projet de loi sur l'immigration sera examiné en première lecture à partir du 28 mars au Sénat avec un vote sur l’ensemble du texte prévu le 4 avril. Puis le texte sera soumis au vote de l'Assemblée nationale, probablement au cours de l'été. S'il semble assez probable que les sénateurs, dont la majorité est à droite sur l'échiquier politique, retiendra l'amendement de Mme Dumont, il est tout à fait possible que les députés apportent des modifications au projet de loi. Sauveront-ils l'AME ?
L'AMU remplacerait l'AME
Depuis 2000, l'AME permet d'assurer l’accès aux soins des personnes en situation irrégulière, vivant en France depuis plus de 3 mois et disposant de faibles ressources, moins 9 041 euros par an. Elle permet la prise en charge à 100 % des soins médicaux essentiels et hospitaliers dans la limite des tarifs de remboursement de la Sécurité sociale. En 2021, environ 380 000 personnes en bénéficiaient.
Si la loi Immigration était votée sans modification, l'AME serait remplacée par l'aide médicale d’urgence (AMU) « centrée sur la prise en charge des situations les plus graves et sous réserve du paiement d’un droit de timbre. Le ministre chargé de l’action sociale conserverait néanmoins sa faculté d’accorder l’AMU par décision individuelle afin de pouvoir répondre aux situations exceptionnelles », décrit l'amendement.
L'idée d'une AME recentrée sur les soins urgents n'est pas une revendication des élus de droite. « Laisser sciemment la santé des personnes se dégrader avant de les prendre en charge à des stades aggravés aux urgences. Voilà le sens de votre amendement », s'est insurgée l'association Médecins du Monde sur Twitter, réseau sur lequel la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF) a également réagi. Pour les infectiologues, attendre l'aggravation d'une maladie infectieuse, comme la tuberculose, et différer les soins, c'est prendre le risque que le malade contamine beaucoup d'autres personnes avant d'être pris en charge.
« Limiter l'accès aux soins aux situations d'urgence va contre toute logique de prévention », confirme Clémence Chabrier, vice-présidente en charge des réflexions éthiques de l’Association Nationale des Etudiants en Médecine de France (ANEMF), interrogée par Medscape édition française.
D'après elle, les étudiants, « confrontés très tôt au cours de leurs études à la précarité médicosociale à l'hôpital », se sentent particulièrement concernés par l'accès aux soins des populations les plus précaires.
Quant à l'argument économique, puisqu'en réduisant le panier de soins des personnes sans titre de séjour aux ressources limitées l'idée est aussi de faire des économies, Clémence Chabrier rappelle que prendre en charge des pathologies trop tardivement coûte beaucoup plus cher.
AME = appel d'air migratoire ?
« Afin de prévenir l’immigration irrégulière, la commission des lois a également acté la transformation de l’aide médicale d’État en une aide médicale d’urgence exclusivement », indique un communiqué de presse du Sénat.
Restreindre l'AME permettrait de décourager le flux migratoire ? La gratuité des soins en France pour les personnes sans titre de séjour et éligibles à l'AME constitue-t-elle vraiment un appel d'air migratoire ? Cet argument qui à force d'être répété pourrait être devenu une réalité dans nos esprits est en fait problématique au regard des études.
En 2019, l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes) a mené l'enquête Premier Pas pour mieux connaître la population éligible à l'AME. Il en ressort que la santé est loin d'être une motivation majeure à l'immigration.
De fait, les chercheurs de l'Irdes montrent que « les personnes en situation irrégulière viennent en France à 47 % pour un motif économique ou social et à 22 % pour un motif politique. Les problèmes de conflictualité privée (« protéger ma fille de l’excision », « fuir un mariage forcé », « orientation sexuelle ») sont cités par 14 % d’entre elles, le plus souvent par des femmes, et seulement 10 % citent un motif lié à la santé, qui bien souvent est combiné à d’autres motifs (économiques ou politiques)».
Il ressort par ailleurs de ce travail que la majorité des personnes éligibles à l'AME n'y recourt pas : seules 51 % de ces personnes sont effectivement couvertes par l’AME (60 % des femmes et 47 % des hommes).
Serment d'Hippocrate
Au-delà des aspects économiques, politiques et de santé publique, les médecins opposés à cet amendement mettent aussi en avant la déontologie. Invité sur France Inter vendredi 17 mars, deux jours après l'adoption de l'amendement, le porte-parole du gouvernement et médecin de formation Olivier Véran en a clairement lui aussi appelé à l'éthique.
Interrogé sur l'amendement, il a donné son avis « je vais vous donner le mien, je suis contre. Je suis contre parce que la non-assistance à personne en danger ne fait pas partie de l’ADN de notre nation et encore moins des blouses blanches ».
Quant aux 80 000 étudiants représentés par l'ANEMF, ils rappellent par la voix de Clémence Chabrier qu'ils sont de futurs médecins et qu'à aucun moment de leur cursus on enseigne de choisir leurs patients. « Par le serment d'Hippocrate, nous nous engageons à ne pas choisir les patients qu'on soigne ».
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Citer cet article: Aide médicale d'Etat : menacée par la loi Immigration - Medscape - 24 mars 2023.
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