États-Unis – Chaque jour, des patients crient, intimident, menacent ou mettent à exécution des menaces à l’encontre de médecins et d’autres professionnels de santé. Selon l’Organisation mondiale de la santé [1], jusqu’à 38 % des professionnels de la santé sont victimes de violences physiques de la part de patients à un moment ou à un autre de leur carrière. Davantage d’entre eux sont victimes de menaces et d’agressions verbales.
En témoigne cette consultation, au pic de la vague de Covid-19 du variant Delta, dans un cabinet de médecine générale aux Etats-Unis.
Nous sommes en août 2021, un homme d’une cinquantaine d’années se rend au cabinet de la Dre Jacqui O’Kane, médecin généraliste au South Georgia Medical Center.
« Il s’est plaint de symptômes des voies respiratoires supérieures », a se remémore la Dre O’Kane. « Plus précisément, il avait une toux sèche, de la fièvre, des maux de tête et des malaises. » Elle craignait qu’il ne soit atteint du COVID ou de la grippe.
« Lorsque je lui ai recommandé de faire un test de dépistage du Covid ou de la grippe, son ton est passé de l’inquiétude à l’indignation », se souvient-elle. Il m’a dit : « Vous n’avez pas intérêt à me faire tester, donnez-moi simplement de l’“ivermectine” ».
Elle a expliqué qu’elle ne pouvait pas prescrire de médicaments sans un diagnostic approprié. En outre, le patient a indiqué qu’il était enseignant et elle a précisé qu’elle voulait l’aider à protéger ses élèves. Malgré cela, le patient est sorti en trombe de la salle d’examen en criant : « les enfants ont une excursion cette semaine. Vous ne pouvez pas m’empêcher de les emmener ! » Stupéfaite, elle lui a répondu calmement : « Je veux juste vous aider. » Mais il l’a ignorée et est parti.
Malheureusement, l’histoire de la Dre O’Kane n’est pas inhabituelle.
Quels sont les comportements de harcèlement les plus courants chez les patients ?
Si la pandémie a exacerbé les comportements de harcèlement, la réalité est que le harcèlement des médecins par les patients n’est pas nouveau et peut prendre différentes formes [2].
Le harcèlement sexuel, par exemple, est beaucoup répandu qu’escompter. Dans le rapport 2022 de Medscape édition américaine sur le harcèlement sexuel des médecins [3], réalisé auprès de plus de 3 000 médecins, 29 % ont déclaré que des patients faisaient des commentaires sur leur physique ; 23 % ont délibérément empiété sur leur espace personnel ; 22 % ont reçu des invitations répétées à des rendez-vous ; et 14 % ont eu des contacts physiques non désirés, tels que des attouchements ou des caresses.
L’accès de colère décrit ci-dessus par la Dre O’Kane n’est qu’un type de comportement auquel les médecins doivent faire face. Les médecins sont fréquemment confrontés à toute une série d’autres comportements problématiques de la part de leurs patients, dont certains peuvent refléter des problèmes de santé mentale sous-jacents. Voici le profil de cinq d’entre eux et les conseils de spécialistes américains pour y faire face.
1.Les personnes souffrant de trouble anxieux ou d’hypocondrie
Les patients souffrant de troubles anxieux ou d’hypocondrie peuvent consulter ou appeler leur médecin plus que de raison. Lorsqu’ils n’obtiennent pas l’attention ou les médicaments qu’ils souhaitent, ils peuvent craindre pour leur santé et se mettre en colère, pensant qu’ils sont ignorés.
La Dre Debra Pinals, ancienne présidente du Conseil de l’Association américaine de psychiatrie (APA) sur la psychiatrie et le droit, encourage les médecins à ne pas rejeter les patients qui appellent ou viennent fréquemment.
« Il s’agit de personnes qui peuvent souffrir de maladies psychiatriques avec des symptômes physiques qui peuvent paraître réels pour elles », a déclaré la Dre Pinals. « Même si leurs symptômes ne sont pas médicalement évidents, un médecin peut être amené à les adresser à un psychologue ou à un psychiatre pour les aider à gérer les symptômes qui se manifestent sous forme de plaintes physiques. »
Mais l’orientation vers un psychiatre ou un psychologue n’est pas le seul moyen de traiter un patient souffrant d’un trouble anxieux ou d’une hypocondrie. Une étude publiée dans The Primary Care Companion to the Journal of Clinical Psychiatry [4] recommande de :
Former un partenariat d’investigation avec le patient.
Déterminer les autres troubles psychiatriques dont le patient peut souffrir, tels que la dépression ou l’anxiété.
Distinguer les traits de personnalité du patient des croyances anormales liées à la maladie.
Se concentrer sur les problèmes psychosociaux plutôt que sur les préoccupations médicales
2. Les patients qui flirtent avec le médecin
Certains patients complimentent continuellement le physique de leur médecin ou lui proposent des rendez-vous en dehors du cadre professionnel. Ils se livrent à des plaisanteries et peuvent franchir les limites de manière subtile.
« Il est de la responsabilité du médecin de fixer des limites et un décorum approprié avec ses patients », a déclaré la Dre Pinals. Les médecins doivent prendre des précautions face à ce type de comportement harcelant, car le patient peut mal interpréter la situation.
La Dre Pinals cite l’exemple d’un médecin qui a commencé à rencontrer une patiente à la cafétéria de l’hôpital. Malheureusement, la patiente a cru qu’ils étaient devenus intimes parce que le médecin avait brouillé les limites du comportement professionnel.
Pour éviter ce genre de scénario, la Dre Pinals recommande ce qui suit :
Fixer des règles et des limites claires dès le début de la relation médecin-patient.
Limiter le contact physique aux seuls examens médicaux.
Réorienter le patient lorsqu’il remet en cause les limites fixées.
Demander à un collègue de chaperonner les rendez-vous avec le patient.
Ne voyez le patient qu’au cabinet.
Documentez le comportement s’il se répète.
Adressez le patient à un autre prestataire si le changement de comportement justifie des soins psychiatriques
3. Les menaces et la violence verbale des patients
Un patient peut être en colère parce qu’il ne se sent pas bien, qu’il souffre ou qu’il est mécontent de son état de santé. Il peut menacer le médecin ou devenir violent verbalement.
La Dre Roberta Gebhard, ancienne présidente de l’American Medical Women’s Association et fondatrice de la Gender Equity Task Force, se souvient d’un patient masculin qui insistait pour obtenir une ordonnance pour un nouveau médicament contre les troubles de l’érection.
« C’était un grand gaillard qui m’a rappelé qu’il avait fait de la prison pour avoir été un délinquant violent récidiviste. Beaucoup de médecins renvoient d’emblée un tel patient, mais je ne le fais généralement pas. Je leur dis : Je veux bien vous recevoir en tant que patient, mais je ne vous donnerai pas cette ordonnance. »
La médecin généraliste rappelle que ces patients peuvent devenir violents et qu’il faut quitter la salle d’examen si l’on se sent en danger, revenir avec un autre médecin ou renvoyer le patient du cabinet.
La Dre O’Kane recommande également de :
S’abstenir de crier ou d’utiliser un langage incendiaire, même si le patient le fait.
Adopter une attitude calme et bienveillante.
Prendre le temps de faire le point et de décompresser après une rencontre avec un patient qui vous harcèle.
Signalez le comportement et discutez de la manière dont les prochaines rencontres avec ce patient se dérouleront.
La Dre Pinals suggère ces recommandations supplémentaires :
Rappelez au patient qu’une communication respectueuse est attendue dans le cabinet.
Essayez de comprendre les raisons de son mécontentement.
La Dre Pinals suggère également d’orienter le patient vers un autre médecin. « Il faut faire attention à ne pas éliminer le patient du cabinet sans l’orienter vers un autre prestataire, car cela pourrait être interprété comme un abandon », a-t-elle déclaré.
4. Les patients qui harcèlent le médecin en personne ou en ligne
Certains patients peuvent se lier d’amitié avec leur médecin ou le suivre sur les réseaux sociaux. Ils appellent après les heures de bureau pour prendre des nouvelles. D’autres, s’ils ne sont pas satisfaits des soins qui leur sont prodigués, laissent des commentaires vengeurs sur les sites d’évaluation.
La Dre Gebhard se souvient d’une patiente en psychiatrie qui l’a suivie de New York jusqu’en Ohio en passant par le Montana, au début des années 1990. Même si la Dre Gebhard avait des numéros de téléphone non répertoriés, la patiente a réussi à la retrouver.
« J’ai été très professionnelle avec elle, mais j’ai senti de mauvaises intentions de sa part », a-t-elle déclaré. Je lui ai carrément dit que je ne voulais plus qu’elle me contacte. » La femme a fini par arrêter de la harceler.
Malheureusement, aujourd’hui les patients ont davantage accès à leur médecin via Internet et les réseaux sociaux. Une étude publiée dans l’Open Journal of Medical Psychology [5] a révélé qu’un médecin américain sur dix a été confronté à un patient « harceleur ». Les chercheurs suggèrent que les principales raisons du harcèlement sont soit l’insatisfaction à l’égard des soins, soit une mauvaise gestion du traitement entraînant des blessures, selon le patient. Les psychiatres sont plus enclins à être harcelés par des patients érotomanes.
Pour lutter contre les patients harceleurs, le Conseil de psychiatrie et du droit de l’APA [6] a mis au point les interventions suivantes :
Appelez les forces de l’ordre locales si vous sentez un danger immédiat.
Gardez toujours un téléphone portable à portée de main.
Se garer près de la sécurité.
Prévoir un itinéraire de fuite.
Réduisez votre présence en ligne.
Assurez-vous que vos alarmes et vos serrures fonctionnent correctement.
Installez des caméras vidéo aux entrées.
Consultez des sociétés de sécurité ou les forces de l’ordre pour obtenir des stratégies de sécurité.
Documentez le comportement de harcèlement du patient.
Informez vos collègues, votre personnel et les membres de votre famille.
Prenez des mesures de protection à l’encontre de l’harceleur, si nécessaire
5. Harcèlement sexuel
Ces patients dépassent les limites de la relation patient-médecin. Leurs commentaires sont généralement inappropriés et créent un environnement de travail hostile. Ils peuvent se toucher, se tripoter ou tripoter le médecin, ou avoir un comportement de harcèlement sexuel caractérisé.
La Dre Lauren Hock, ophtalmologue à l’hôpital Wills Eye de Philadelphie, se souvient des commentaires de patients masculins qui les harcelaient, elle et ses collègues féminines, pendant leur internat. Ils faisaient des remarques telles que : « Puis-je vous emmener chez moi ? », « Je pense à vous la nuit depuis mon dernier rendez-vous » et « Et si je touchais vos seins ? ».
Dans de nombreux cas, les patients pensent que ce comportement est inoffensif, voire flatteur, mais pour le médecin, il s’agit d’une insulte et d’un harcèlement qui doivent être signalés.
Selon le dernier rapport de Medscape, les médecins confrontés à ce type de harcèlement sexuel peuvent rencontrer des difficultés à se concentrer, à moins s’impliquer auprès des patients et certains envisagent même de démissionner.
De son côté la Dre Hock a décidé d’agir. Elle a rencontré ses mentors et a élaboré un programme, la boîte à outils I-Respond, pour donner aux médecins les moyens de répondre aux commentaires inappropriés.
« C’est souvent lorsque les médecins ne savent pas quoi dire que les commentaires s’enveniment », a déclaré la Dre Hock.
La boîte à outils I-Respond fournit les conseils suivants :
Utilisez des phrases en « je » : « Je me sens mal à l’aise lorsque vous faites des commentaires sur mon apparence physique. »
Mettez l’accent sur les objectifs communs : « Des commentaires de ce genre m’empêchent de me concentrer sur vos soins. Gardons notre conversation professionnelle. »
Concentrez-vous sur les actions du patient : « J’ai ressenti un manque de respect lorsque vous avez dit cela » plutôt que « Vous êtes irrespectueux ».
Proposez une alternative : « Je préférerais que vous m’appeliez “docteur” plutôt que “bébé” ou “chéri” ».
Ne faites pas d’humour. Cela peut être interprété à tort comme un encouragement.
Les stratégies proposées dans la boîte à outils peuvent également être utilisées pour d’autres formes de harcèlement, telles que les commentaires fondés sur l’appartenance ethnique, la religion ou l’orientation sexuelle.
Le signalement d’un harceleur sexuel est souvent justifié, de même que le transfert du patient vers un autre médecin, après lui avoir raconté les incidents. En signalant tout type de harcèlement, les médecins peuvent contribuer à protéger leurs confrères des patients qui les harcèlent.
Cet article a initialement été publié sur Medscape.com Patients Who Harass Physicians: 5 Behaviors to Watch For. Traduit et adapté par Mona El-Guechati
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Crédit de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Quand les patients harcèlent les médecins : 5 comportements à surveiller - Medscape - 22 mars 2023.
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