Allergies en hausse, allergologues en baisse

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

21 mars 2023

France – Pour de nombreuses raisons, liées notamment aux changements rapides de nos modes de vie ces dernières années, les allergies sont en constante augmentation tant en termes d’allergènes – pollution, aliments, médicaments – qu’en nombre de personnes concernées.

Sans compter que les modifications encore plus récentes en réponse aux changements climatiques (revégétalisation des villes, nouveaux aliments, nouveaux contenants alimentaires…) sont elles-mêmes susceptibles de faire émerger de nouveaux risques allergiques.

Alors que l’allergologie devient de plus en plus compliquée, le nombre de spécialistes décline. Quelles pistes d’action ? La question a fait l’objet d’un colloque au ministère de la santé sur le thème « Demain, tous allergiques ? Agir pour prévenir » [1].

50% de la population allergique en 2050 ?

En augmentation constante depuis le début du millénaire, les allergies touchent aujourd’hui 18 millions de Français, soit près d’une personne sur trois. Cette tendance devrait se poursuivre puisque l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) classe les allergies respiratoires au 4ème rang des maladies chroniques, et prévoit que 50% de la population en sera affectée à horizon 2050.

Le nombre d’allergologues, quant à lui, diminue. On ne compte qu’un allergologue pour 66 000 personnes (voir encadré ci-dessous). Cette pénurie met en danger la bonne prise en charge des patients, a rappelé le Pr Frédéric de Blay, pneumologue et chef du pôle de pathologies thoraciques au CHU de Strasbourg et président de la Fédération Française d’Allergologie.

Données clés sur les praticiens en allergologie en France :
• Baisse de 54% du nombre de médecins allergologues libéraux et hospitaliers entre 2008 (2 250 médecins allergologues) et 2018 (1 033 médecins allergologues)
• Vieillissement des praticiens déclarant effectuer une activité d’allergologie : 1/3 des allergologues français déclaraient, en 2019, partir à la retraite d’ici 2024
• Un nombre insuffisant de praticiens formés pour assurer le renouvellement de la profession (moins de 30 par an finissant à partir de 2021 ; plus de 80 par an cessant leur activité).

 

Augmentation sans précédent des allergies alimentaires

Les causes de l’envolée des chiffres sont multiples et prennent source pour la plupart dans nos modes de vie modernes. Le dérèglement du système immunitaire que constitue l’allergie peut en effet se trouver favorisé par la perte de la biodiversité, nos habitudes de consommation alimentaires et médicamenteuses mais également par la pollution atmosphérique et la dégradation de notre environnement, facteurs majeurs de l’augmentation de la prévalence des allergies et de leur aggravation.

Parmi les manifestations allergiques, la rhinite et la conjonctivite allergique (15–20% des patients) font la course en tête, à égalité avec la dermatite atopique (15–20% des patients), suivies de près par l’asthme (7-10 %).

Pendant ce temps, les allergies alimentaires connaissent une progression sans précédent, avec une prévalence qui a doublé depuis 10 ans et qui touche 3,5% des adultes et 8% des enfants. Cet accroissement est d’autant plus préoccupant qu’il s’accompagne d’une augmentation de l’apparition de manifestations anaphylaxiques et de crises d’asthme pouvant mettre en jeu le pronostic vital.

Pollution extérieure et intérieure

Les changements environnementaux et l’évolution des habitudes alimentaires sont les premiers responsables de l’augmentation de la prévalence et de la gravité des allergies. L’augmentation de la prévalence des allergies ces trente dernières années intervient dans le contexte d’importants changements dans les modes de vie des pays industrialisés, sous l’effet de l’urbanisation, de la pollution et des nouveaux comportements de consommation.

« On sait désormais que la pollution contribue, d’une part, à l’aggravation de la maladie asthmatique avec des personnes qui vont connaitre des exacerbations au moment des pics de pollution, et d’autre part, au développement de la maladie asthmatique, même s’il s’agit d’une pathologie multifactorielle, avec un aspect génétique et environnemental. Dans ce dernier cas, c’est la pollution chronique qui est en cause, c’est-à-dire le fait de baigner dans un cocktail de polluants, lequel atteint les organes et donc les voies aériennes », a expliqué la Pre Isabella Annessi-Maesano, directrice de recherche à l'INSERM et professeur d'épidémiologie environnementale.

On sait désormais que la pollution contribue à l’aggravation de la maladie asthmatique.

 

En cause, les particules ultrafines présentes dans l’air, qui inhalées, franchissent la barrière alvéolaire des poumons, passent dans le sang pour atteindre tous les organes et, de par leur pouvoir inflammatoire, stimulent le système immunitaire. Outre les pathologies pneumologiques, peuvent en résulter une exacerbation d’un certain nombre de maladies, qu’elles soient cardiologiques, métaboliques ou encore rhumatologiques comme la polyarthrite rhumatoïde et la sclérose en plaques, a listé la chercheuse.

Sans oublier que la pollution ne se cantonne pas aux espaces extérieurs : « on trouve près de 5 000 polluants à l’intérieur dont les sources sont multiples, chimiques, biologiques ou bactériologiques (combustion, colle, peinture, radon, allergènes, virus, etc) », a indiqué la Pre Annessi-Maesano.

On trouve près de 5 000 polluants à l’intérieur dont les sources sont multiples, chimiques, biologiques ou bactériologiques.

Végétalisons les villes avec prudence

En outre, les allergies polliniques s’étendent à la fois dans l’espace et le temps. Le réseau de surveillance aérobiologique (RNSA) rend compte de l’allongement des saisons polliniques et de l’augmentation de la charge de pollens, sous l’effet de l’augmentation des températures.

Les conditions climatiques influencent en effet la répartition géographique des espèces de pollens, alors que celles-ci opèrent globalement une translation vers le nord. Cette exposition accrue participe à l’explosion des allergies polliniques de plus en plus fréquentes mais aussi de plus en sévères. Là où la situation devient compliquée, c’est lorsque les politiques de la ville pour lutter contre le réchauffement climatique participent au développement des allergies et constituent potentiellement un vrai danger pour les populations allergiques.

Une végétalisation urbaine mal réalisée peut entrainer, d’une part, l’introduction d’espèces d’arbres aux pollens fortement allergisants. D’autre part, la végétalisation des murs peut avoir des conséquences d’infiltration d’eau et de développement de moisissures, conduisant là encore à l’aggravation des phénomènes allergiques.

Il apparait donc primordial d’associer plus systématiquement des spécialistes aux décisions d’urbanisme. C’est le cas dans certaines villes, à l’instar de Strasbourg. « Il existe, par ailleurs, un guide pour aider au choix des espèces et favoriser la biodiversité, ce qui limite la concentration de pollen et les risques d’allergies » ; a expliqué Caroline Paul, responsable Environnement extérieur et produits chimiques à la DGS. De même, la vente des végétaux à risque allergique, toxique ou de lésions cutanées est réglementée, a-t-elle précisé.

Insectes et émergence de nouvelles allergies alimentaires

Dans le domaine alimentaire, les allergies sont aussi en forte augmentation. A titre d’exemple, le nombre de chocs anaphylactiques aux urgences a été multiplié par 4 en seulement 20 ans. Les modifications rapides et récentes de nos modes de vie, telles que la diversification des sources de produits laitiers, l’arrivée des fruits exotiques, la recherche des nouvelles sources de protéines ou encore la mise au point de contenants non plastiques, ont conduit à l’émergence de nouvelles allergies.

Le Dr Guillaume Pouessel, pédiatre-allergologue au CH de Roubaix, a décrit plusieurs allergènes émergents : les laits de chèvre, de brebis, le sarrasin et le sésame, les légumineuses que sont les lentilles et les pois, le kiwi, les pignons de pin, l’α-galactose (présent dans la viande de mammifère) et les produits de la ruche.

Dans ce domaine également, les modifications des habitudes alimentaires découlant de pratiques plus vertueuses pour la planète ne sont pas sans conséquence en termes d’allergies. L’exemple le plus parlant est sans doute la consommation d’insectes, source de protéines en vogue actuellement. « Leur consommation peut être à l’origine d’allergies croisées avec les crustacés, les acariens et les mollusques », a expliqué Pascale Couratier, directrice de l’Association Française pour la Prévention des Allergies (AFPRAL).

Autre source d’inquiétude : les nouveaux contenants alimentaires fabriqués à base de produits végétaux pour remplacer le plastique. « Que se passe-t-il lorsqu'on les réchauffe au micro-ondes ? Va-t-on voir les protéines du contenant migrer vers les aliments » s’interroge Pascale Couratier ? Idem pour les pailles à base de blé, les brosse à dents en bambou et les vêtements en protéines de lait ?

La consommation d’insectes peut être à l’origine d’allergies croisées avec les crustacés, les acariens et les mollusques.

 

Parmi les nouvelles menaces allergiques, on retrouve aussi les médicaments. « Difficile de savoir combien de personnes sont concernées, indique le Dr Sébastien Lefevre, allergologue à l'hôpital de Mercy à Metz (57) et président du Conseil National Professionnel d'Allergologie (CNPA). On estime que 20 % à 25% des patients seraient allergiques à deux grandes classes de médicaments, les antibiotiques (AB), parmi lesquels les bêta-lactamines, et les anti-inflammatoires non stéroïdien (AINS) mais, souvent, ces allergies sont alléguées par le patient. »

En cas de suspicion d’allergie, le conseil du Dr Lefevre est de toujours consulter un allergologue – même si le délai est très long, précise-t-il – car se penser allergique aux antibiotiques a deux conséquences néfastes, à titre individuel, le risque de se voir prescrire un autre AB avec des effets indésirables importants, et, sur le plan collectif, celui de voir s’accroitre l’antibiorésistance.

Des pistes pour faire face aux défis

Il va donc être nécessaire dans les années à venir de faire face aux nombreux défis de l’accroissement en flèche des allergies. De nombreuses pistes existent déjà, qui doivent être poursuivies et amplifiées.

« Si la qualité de l’air extérieur fait l’objet de beaucoup de surveillance avec de nombreux acteurs impliqués, la qualité de l’air intérieur mérite toute notre attention et justifie pleinement l’intervention des conseillers médicaux en environnement intérieur (CMEI) », a considéré le Dr Jean-François Fontaine, vice-président de la Fédération Française d’Allergologie en conclusion du colloque.

Ces conseillers qui se rendent au domicile des patients allergiques et/ou asthmatiques sur prescription d’un médecin pour y effectuer un audit de la qualité de l’air intérieur et évaluer la présence des polluants (allergènes et polluants chimiques) afin de proposer les mesures d’éviction globales et adaptées, doivent voir leur profession être pérennisée financièrement – ce qui n’est pas le cas actuellement, a-t-il insisté.

Autre défi à relever, celui des allergies alimentaires, en particulier dans le contexte scolaire, qui nécessite des mesures de prévention face aux allergènes émergents. Par exemple, si le PAI (plan d’accompagnement individualisé), qui permet d’accueillir les enfants asthmatiques et allergiques en classe, a fait preuve de son efficacité, il est néanmoins perfectible, estime le Dr Plouessel.

La qualité de l’air intérieur mérite toute notre attention et justifie pleinement l’intervention des conseillers médicaux en environnement intérieur (CMEI). 

 

Concernant la profession en elle-même, le Dr Fontaine a prôné l’amélioration de la formation initiale et continue en deuxième cycle des études médicales, en DES, y compris pour les médecins biologistes. La création – en cours – d’unités transversales d’allergologie (UTA), qui centraliseront les compétences médicales, paramédicales, de formation et de recherche, constitue également une solution concrète pour améliorer l’organisation des soins en allergologie et la coordination des professionnels de santé dans les territoires.

L’allergologue considère, par ailleurs, que le développement de la télémédecine et de la téléexpertise, encore limité en allergologie, est un important vecteur d’accès aux soins. Il préconise enfin de garder un œil attentif sur les biothérapies et autres immunothérapies allergéniques, seuls traitements étiologiques de la maladie allergique, avec aussi un effet préventif.

 

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