Dysthyroïdies : des nouvelles recommandations HAS pour lutter contre les explorations et les traitements inutiles

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

20 mars 2023

Saint-Denis, France—La Haute Autorité de Santé (HAS) a publié des recommandations complètes sur la prise en charge des hyperthyroïdies et des hypothyroïdies en population générale, accompagnées de deux recommandations ciblées, l’une sur l’hypothyroïdie des femmes enceintes ou ayant un projet de grossesse et l’autre sur l‘hypothyroïdie des personnes âgées de plus de 65 ans[1].

L’objectif de ces recommandations est d’améliorer la prise en charge des patients atteints de dysthyroïdies. « Encore aujourd'hui, la prise en charge et le suivi ne sont pas toujours optimaux », souligne la HAS.

Encore aujourd'hui, la prise en charge et le suivi ne sont pas toujours optimaux.

 

« En 2018, la HAS a été saisie par la DGS en raison de la surprescription de spécialités à base de lévothyroxine, de la fréquence élevée de recours à des thyroïdectomies à la suite d’une hyperthyroïdie, de l’hétérogénéité des pratiques dans la prise en charge initiale des hyperthyroïdies et de la non-conformité des explorations thyroïdiennes », a rappelé le Pr Jean-Michel Petit (endocrinologue diabétologue, CHU François Mitterrand, Dijon), président de ces recommandations, lors d’une présentation du nouveau texte à la presse.

La HAS souhaite donc que ces nouvelles recommandations aident à l’homogénisation des pratiques médicales et biologiques sur le territoire national, à préciser l’usage des bilans biologiques thyroïdiens en réduisant les bilans systématiques mais aussi à préciser le recours aux chirurgies thyroïdiennes en cas d’hyperthyroïdie.

Dans ce contexte, en mars 2019, la HAS avait déjà publié une fiche sur la pertinence des soins dans l’hypothyroïdie, puis, en septembre 2021, des travaux en partenariat avec les radiologues sur la pertinence de explorations de la glande thyroïde.

Pas d’examens de la fonction thyroïdienne chez les patients asymptomatiques

Les nouvelles recommandations rappellent que l’évaluation de la fonction thyroïdienne n’est pas préconisée chez les individus asymptomatiques ou en cas d’hospitalisation, de maladie en phase aiguë sans lien avec une pathologie thyroïdienne (le résultat peut être faussé).

En revanche, des examens pourront être réalisés en cas de symptômes évocateurs d’hypothyroïdie comme la prise de poids, la fatigue, les symptômes dépressifs, la frilosité, la constipation, les troubles du cycle menstruel… mais aussi en cas de symptômes ou signes non spécifiques et d’une prise de médicaments comme l’amiodarone ou le lithium, d’une dépression inexpliquée, d’une hypercholestérolémie inexpliquée, d’antécédents personnels ou familiaux de maladie auto-immune (diabète type 1) ou de maladie thyroïdienne... et d’une grossesse ou désir de grossesse pour les femmes présentant des facteurs de risques d’hypothyroïdie.

De même, le praticien pourra rechercher une hyperthyroïdie s’il existe des symptômes évocateurs (fatigue, palpitations, nervosité, irritabilité, augmentation de l’appétit, perte de poids, intolérance à la chaleur, sudation excessive).

Et là encore, en cas de symptômes non spécifiques et d’antécédents personnels ou familiaux de maladie auto-immune (diabète de type 1), de maladie thyroïdienne (maladie de Basedow), d’anxiété/dépression non expliquée, de diagnostic de fibrillation auriculaire, d’une prise de médicaments comme l’amiodarone, le lithium ou d’un désir de grossesse ou grossesse en cas de facteurs de risques.

Explorations biologiques : privilégier les ordonnances en cascade

Si une hypothyroïdie ou une hyperthyroïdie est suspectée, un simple dosage de la TSH est suffisant pour éliminer ou conforter le diagnostic, insistent les recommandations.

Un rappel nécessaire alors qu’encore 3 en plus tôt, l’Assurance maladie alertait une nouvelle fois sur le nombre trop important de dosages de T4 libre et T3 libre réalisés d’emblée alors que le dosage de la T4L doit être limité à certaines situations et que le dosage de la T3L doit être exceptionnel.

« Si la TSH est normale, on ne va pas plus loin. Si la TSH est anormale, on aura pris soin sur l’ordonnance de préciser que l’on souhaitait un dosage en cascade. C’est l’une des nouveautés de ces recommandations. Si la TSH est anormale, le biologiste pourra doser la T4 libre à partir du même prélèvement sanguin, sans avoir besoin de repiquer le malade. Cela va permettre d’avoir un résultat complémentaire très rapide qui confortera le côté fruste ou avéré de la dysthyroïdie. Cela évitera de faire des dosages totalement inutiles de T4 libre, voire de T3 libre qui sont trop souvent proposés dans les bilans initiaux », a expliqué le Pr Petit lors de son intervention.

Si la TSH est normale, on ne va pas plus loin. Si la TSH est anormale, on aura pris soin sur l’ordonnance de préciser que l’on souhaitait un dosage en cascade.

Hypothyroïdie : quelle place pour l’imagerie ?

Dans l’hypothyroïdie, la scintigraphie n’a pas d’utilité, précisent les recommandations. Aussi, l’échographie thyroïdienne n’est pas utile dans la prise en charge excepté dans ces indications précises :

-nodule ou adénopathie palpables ;

-présence de signes de compression (dysphonie, dysphagie, dyspnée).

Elle peut se discuter en cas de :

-TSH élevée persistante avec anticorps anti-thyroperoxydase négatifs ;

-palpation difficile ;

-présence de facteurs de risque de cancer de la thyroïde (exposition à une irradiation durant l’enfance, antécédents familiaux de cancer de la thyroïde, certaines maladies génétiques).

Maladie de Basedow : éviter les examens inutiles

En cas d’hyperthyroïdie, dans 70 % des cas, la maladie auto-immune de Basedow, est incriminée. Pour porter le diagnostic étiologique, l’examen de référence est le dosage des anticorps des récepteurs de la TSH.

« Il suffit de faire ce dosage. S’il revient positif, il s’agit bien de la maladie de Basedow. Il n’y a pas de nécessité de réaliser d’autres examens, encore trop souvent faits et qui n’apportent pas d’amélioration dans la prise en charge comme la scintigraphie et l’échographie qui n’ont pas leur place si les anticorps anti-récepteurs de la TSH sont positifs. A l’inverse, si le dosage revient négatif, alors le clinicien devra compléter son bilan par la réalisation d’une scintigraphie et d’une échographie pour rechercher d’autres causes à l’hyperthyroïdie et notamment des nodules hyperfixants qui peuvent être uniques ou multiples et dont la prise en charge thérapeutique sera différente de la maladie de Basedow », détaille le président du groupe de travail.

La scintigraphie et l’échographie n’ont pas leur place si les anticorps anti-récepteurs de la TSH sont positifs.

 

A noter que les anticorps anti-thyroperoxydase (anti-TPO) n’ont pas leur place dans le diagnostic étiologique d’une hyperthyroïdie. Ce n’est qu’en seconde intention après avis spécialisé, que le dosage de la thyroglobuline sérique peut être utile en cas de suspicion de thyrotoxicose factice.

Enfin, les anticorps anti-thyroglobuline n’ont pas d’utilité pour explorer une hyperthyroïdie. Ils sont utiles pour valider le dosage de la thyroglobuline sérique, indiquent les recommandations.

Eviter de surtraiter

L’indication de dysthyroïdie avérée ou fruste va dicter la conduite à tenir en termes de prise en charge.

 

Dysthyroïdies frustes ou avérées 
Les nouvelles recommandations précisent les seuils permettant de faire la distinction entre dysthyroïdies frustes ou avérées.
Hypothyroïdie avérée : TSH > 10 mUI/L et T4L < l’intervalle de référence du laboratoire.
Hypothyroïdie fruste (forme pauci ou asymptomatique) : TSH > l’intervalle de référence du laboratoire sur au moins 2 prélèvements à 6 semaines d’intervalle minimum et T4L dans l’intervalle de référence du laboratoire.
Hyperthyroïdie avérée : TSH basse souvent indétectable - T4L élevée.
Hyperthyroïdie fruste (forme pauci- ou asymptomatique) : TSH abaissée - T4L et T3L dans l’intervalle de référence du laboratoire.
Hyperthyroïdie à T3L : TSH basse souvent indétectable, T4L dans l’intervalle de référence du laboratoire, T3L élevée.

 

En cas d’hypothyroïdie avérée, les patients sont le plus souvent symptomatiques et le traitement par lévothyroxine est nécessaire, rappelle-la HAS. En revanche, dans l’hypothyroïdie fruste, les patients sont souvent peu ou pas symptomatiques et le traitement n’est pas systématique.

« On propose alors de discuter avec le patient sur la nécessité ou pas d’instaurer un traitement. On peut faire un test de traitement pendant trois mois pour voir si les symptômes sont vraiment améliorés par le traitement. Si ce n’est pas le cas, peut se poser la question d’arrêter le traitement », souligne le Pr Petit.

Dans l'hyperthyroïdie , l'initiation d'un traitement ne va pas non plus de soi. Elle dépend de l'intensité de la maladie, du contexte clinique ainsi que de la préférence du patient.
En cas d'hyperthyroïdie fruste, pour contrôler l'évolution de l'hyperthyroïdie, la HAS recommande d'instaurer une surveillance avec un dosage de la TSH tous les 6 à 12 mois. Le traitement pourra être discuté avec le patient dans certaines situations spécifiques (comme en cas de pathologie cardiaque, de facteurs de risques cardiovasculaires ou d'ostéoporose).

En revanche, l'hyperthyroïdie avérée requiert la mise en route d'un traitement, par antithyroïdiens de synthèse car la priorité est de restaurer un fonctionnement normal de la thyroïde. Une fois cet objectif atteint, plusieurs options thérapeutiques sont ensuite possibles pour le long terme selon le contexte clinique et les préférences du patient : poursuite de ce traitement, traitement radical par irathérapie ou chirurgie.

« Sur les traitements de l’hyperthyroïdie avérée, le groupe de travail a bien précisé que la chirurgie ne devrait être réalisée que dans des situations particulières. On sait qu’elle est utilisée beaucoup trop fréquemment », a commenté l’endocrinologue.

La chirurgie ne devrait être réalisée que dans des situations particulières. On sait qu’elle est utilisée beaucoup trop fréquemment.

 

En effet, une analyse du parcours de soins de 35 367 patients thyroïdectomisés en 2010, réalisée à partir des données de remboursement de l’Assurance maladie du PMSI, a montré que pour 23% des nodules bénins, une thyroïdectomie totale avait été pratiquée avec pour conséquences un traitement hormonal substitutif à vie et des risques de dysphonie.

Concernant la maladie de Basedow , sont recommandés dans un premier temps, les traitements par antithyroïdiens de synthèse. Les recommandations proposent un certain nombre de critères de surveillance notamment pour dépister les effets secondaires.

« Les traitement radicaux, l’iode 131 ou la chirurgie ne sont à envisager qu’en deuxième intention après échec des traitements par antithyroïdiens de synthèse. On va privilégier d’abord le traitement par l’iode 131 qui permet d’éviter la chirurgie. La chirurgie est réservée aux situations où le patient a un goitre très volumineux, un goitre compressif ou des signes de malignité ou si un traitement radical par irathérapie n'est pas adapté », précise le Pr Petit.

En cas de nodules sécrétant des hormones thyroïdiennes (goitre multinodulaire toxique ou adénome toxique), le traitement de première intention est l'irathérapie.

 

Prise en charge des dysthyroïdies : quelle place pour le médecin généraliste ?
Les nouvelles recommandations ont tenu à préciser la place du médecin généraliste dans la prise en charge des dysthyroïdies.
Il peut le plus souvent assurer le suivi des patients avec une hypothyroïdie fruste ou avérée. Il devra néanmoins orienter vers un endocrinologue dans certaines conditions : quand le patient a des antécédents cardiovasculaires, qu’il existe un nodule palpable, un goitre, quand la TSH est instable ou en cas de grossesse ou désir de grossesse.
En revanche, les hyperthyroïdies restent le plus souvent le domaine d’une prise en charge spécialisée.
« Dans tous les cas, ce qu’il est important de rappeler, c’est que le choix de la mise en place d’un traitement et du type de traitement choisi doit se faire dans le cadre d’une décision médicale partagée », a commenté la Pre Dominique Le Guludec, présidente de la HAS.

 

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