
Pr Antoine Pelissolo
Créteil, France – Dans une tribune publiée cette semaine dans Le Monde , le Pr Antoine Pelissolo, chef de service de psychiatrie au CHU Henri-Mondor (AP-HP, Créteil) alerte sur le nombre insuffisant de médecins formés en France, eu égard à l’explosion de la demande en santé. Une carence due à un manque de moyens et d’ambitions pour le secteur sanitaire. Il détaille son point de vue dans un entretien.
Medscape édition française : La réforme du numerus clausus va permettre de former 15% de médecins en plus alors que les besoins sont estimés selon vous à +30%. Comment expliquer cet aveuglement de la tutelle ?
Pr Antoine Pelissolo : Nous avons supprimé le numerus clausus mais la limitation du nombre d'étudiants reste la même et cela est dû aux capacités d'accueil limitées de nos facultés de médecine. Beaucoup de mes collègues doyens me disent qu'ils ne peuvent pas absorber plus d'étudiants avec les moyens qui nous sont accordés.
C'est un problème de ressources humaines ?
Pr Pelissolo : Oui, tout à fait il n'y a pas assez de formateurs, de professeurs de médecine. Sans compter la formation pratique sur les terrains de stage, dans les hôpitaux, où il n'y a pas assez d'encadrants. Mais c'est aussi une question budgétaire, nous pourrions accueillir plus d’étudiants si nous en avions les moyens. Je reviens sur les chiffres : il faut considérer l'augmentation de 15% par rapport au nombre de places avant la réforme. Ce petit surplus de 10 à 15%, ce n'est pas grand-chose eu égard aux problèmes de santé que nous connaitrons dans dix ans. Les politiques ne se projettent pas dans le long terme, c'est le problème.
Un effort a-t-il été fourni pour augmenter le nombre de professeurs et de formateurs en général ?
Pr Pelissolo : Très peu. Les facultés de médecine ont vu le nombre d’étudiants croitre mais pratiquement sans moyens supplémentaires. C'est pour cela qu'il y a un goulet d'étranglement : si la tutelle décidait d'augmenter de 10% supplémentaires le nombre d'étudiants reçus, les doyens seraient obligés de dire qu'ils ne pourraient pas les accueillir.
Y aurait-il suffisamment de candidats pour pourvoir de nouveaux postes de formateurs ?
Pr Pelissolo : Cela dépend de quels postes l'on parle. Dans une faculté il y a du personnel administratif et, à ce niveau-là, il n'y a pas assez de ressources humaines. Et je ne pense pas qu'il y ait un problème de candidats. Pour ce qui est des enseignants, donc les médecins, nous sommes dans un cercle vicieux : comme l'on ne forme pas assez de médecins, il y a moins de candidats pour devenir enseignants. Néanmoins, j'ajoute qu'il n'y aurait pas de problèmes de candidatures pour les fonctions de professeurs de médecine. Il s'agit là encore d'un problème de budget.
Parallèlement à l'augmentation du nombre d'étudiants en médecine, la tutelle cherche des solutions pour pallier la carence en médecins. L'une des solutions serait de faire appel à des infirmiers de pratique avancée (IPA), qu'en pensez-vous ?
Pr Pelissolo : Je suis plutôt favorable au développement de compétences supplémentaires pour les infirmiers, dans le secteur public. Dans le secteur privé, je suis plus perplexe. Dans le secteur public, nous avons l'habitude de travailler en mode pluriprofessionnel, les coopérations, les complémentarités sont tout à fait pertinentes, au-delà du problème de pénurie médicale. Mais le nombre d'IPA actuellement est très limité, leur statut est flou, leur rémunération n'est pas attractive, donc je ne sais pas s'il y aura un afflux important d'IPA dans les années qui viennent. C'est une solution qu'il faut consolider mais dans le secteur public, pas dans le secteur privé.
Autre solution prônée par le gouvernement pour pallier la pénurie médicale : le recrutement de médecins étrangers via la loi immigration. Paradoxe : on va encourager l'embauche de ces médecins alors que des padhue présents en France depuis des dizaines d'années n'ont toujours pas d'autorisation d'exercice...
Pr Pelissolo : Il y a des dysfonctionnements terribles en effet. Cela fait en effet des années que nous fonctionnons dans les hôpitaux grâce à ces médecins dévoués. Augmenter le recours aux médecins étrangers, c'est compliqué car il faudrait leur accorder un statut plus solide. Qui plus est, ils viennent aussi de pays qui ont besoin de médecins. On peut s'appuyer sur eux tant qu'il y a des candidatures, mais c'est un palliatif. Il faut ajouter qu'en première année de médecine, il y a plein d'étudiants français qui veulent faire médecine et qui sont recalés alors qu'ils auraient le niveau, c'est cela qui est triste dans le constat que nous faisons actuellement.
On privilégie actuellement des solutions de moindre coût ?
Pr Pelissolo : C'est vrai. Très souvent ce sont des solutions à l'économie, mais si on voulait investir, on pourrait sortir de ce gouffre dans lequel nous sommes plongés depuis trente ans. Je reviens sur la question du concours dans l'entrée en étude de médecine : je pense qu'il faut continuer à diversifier le profil des étudiants, pour qu'ils puissent venir de toutes les régions de France, même des territoires ruraux, ce qui n'est pas trop le cas actuellement. Il faut aussi qu'ils soient bien répartis sur le territoire français parce que l'on nous rétorque souvent que cela ne sert à rien de former plus de médecins car ils arrêtent leurs études en cours de route, ou ils se concentrent tous au même endroit dans les centres urbains, donc il faut aussi prendre en compte la problématique de la répartition des médecins. En diversifiant les origines sociales et géographiques des étudiants on pourrait prétendre résoudre ce problème de répartition. Cela n'empêche pas non plus de faire un effort quantitatif.
Depuis quelques années, l'on s'aperçoit que la psychiatrie peine à remplir son quota d'internes. Pour quelles raisons ?
Pr Pelissolo : La première raison est évidente, la "priorisation" des choix par les internes est corrélée aux revenus moyens des spécialités. Pour cette raison, les spécialités les moins choisies sont la psychiatrie, la gériatrie et la médecine générale, sans parler des spécialités moins cliniques comme la médecine du travail. Celles qui sont en haut du panier sont les spécialités les plus rémunératrices, c'est comme ça. Par ailleurs, la psychiatrie est une spécialité difficile, et nous travaillons actuellement à montrer les côtés positifs de cette spécialité. Aussi depuis l'an dernier le choix de la psychiatrie par les internes s'est améliorée, sur des territoires comme Paris par exemple tous les postes sont pourvus.
La psychiatrie n'est pas une priorité gouvernementale, alors que c'est le premier poste de dépense de l'assurance maladie...
Pr Pelissolo : Il y a en effet 10 à 15% de la population qui présente des problèmes de santé mentale donc ça représente un coût certain que l'on pourrait réduire si l'on investissait plus dans la recherche, etc.
Avez-vous l'impression que le ministère de la santé sous-estime l'importance de la psychiatrie ?
Pr Pelissolo : Oui, c'est évident, la psychiatrie a toujours été le parent pauvre, mais depuis la Covid l'on se rend compte qu'il y a une prise de conscience de l'importance de la santé mentale. Mais pas au point de prendre la décision de mettre les moyens nécessaires : nous sommes tous actuellement débordés avec des patients en surnombre que nous n'arrivons pas à hospitaliser par manque de places, mais personne n'a décidé de mettre en place un plan Urgences pour la psychiatrie.
Suivez Medscape en français sur Twitter.
Suivez theheart.org | Medscape Cardiologie sur Twitter.
Inscrivez-vous aux newsletters de Medscape : sélectionnez vos choix
Crédit de Une : Dr Pelissolo
Medscape © 2023
Citer cet article: Trop peu d’étudiants formés à la médecine au regard des besoins : l’inquiétude du Pr Pelissolo - Medscape - 17 mars 2023.
Commenter