POINT DE VUE

Feuille de route santé mentale et psychiatrie : « Depuis un an et demi, il ne s'est rien passé »

Jacques Cofard

Auteurs et déclarations

15 mars 2023

France — Début mars, le ministère de la Santé publiait un bilan d’étape de sa politique de santé mentale et de psychiatrie, initiée en 2018 et enrichie en septembre 2021 lors des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie.

En fait de bilan, il s’agit d’un satisfecit sur toute la ligne : plus de 3 milliards d’euros engagés, la création de 800 équivalents temps plein, « la poursuite d’un maillage territorial de l’offre de soins psychiatriques », « des leviers renforcés en faveur de l’insertion sociale et de la citoyenneté ».

Dr Jean-Pierre Salvarelli

Le Dr Jean-Pierre Salvarelli, vice-président du syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH) et vice-président de la conférence des psychiatres de CME, ne partage pas l’engouement du gouvernement, loin de là. Interview.

Medscape édition française : Quel est votre sentiment général sur le bilan d'étape du ministère de la santé ?

Dr Jean-Pierre Salvarelli : C'est un processus d'autosatisfaction par la négation de l'autre, des professionnels et des soignants. Depuis un an et demi, il ne s'est rien passé : les assises de la psychiatrie n'ont donné délivrance à rien du tout. Aucun moyen ne nous a été délivré. Tout ce qui est dit dans ce bilan d'étape n'est que de l'enfumage, il ne s'est strictement rien passé.

Le gouvernement se glorifie d'avoir créé 800 postes dans les centres médico-psychologiques, mais il faut ramener cela au nombre de secteurs en France : plus de 800 secteurs de psychiatrie adulte et plus de 300 secteurs en pédopsychiatrie. Cela veut dire que le gouvernement a en fait alloué une création de 0,6 poste par secteur.

C'est d'autant plus ridicule que l'on ne peut pas les recruter puisque plus personne ne veut venir à l'hôpital public. En 1999, nous prenions en charge 1 million de personnes dans le service public hospitalier, en 2019, 2 millions de personnes, et aujourd'hui entre 2 300 000 et 2 400 000 personnes.

Dans cet intervalle de temps, on a fermé 428 000 lits en psychiatrie publique. Il faut ajouter à cela que plus de 30% des postes de psychiatres dans les hôpitaux publics sont inoccupés, entre 25 et 35% des postes d'infirmiers sont également inoccupés.

Nous n'arrivons pas non plus à recruter des psychomotriciens ou même des psychologues. Nous sommes dans une situation catastrophique. Nous trions les patients pour les prendre en charge, la demande continue d'être exponentielle, et nous n'avons aucune aide du gouvernement.

Alors l'opération du gouvernement, qui consiste à dire qu'il s'occupe de la santé mentale des Français sans parler de psychiatrie publique, c'est n'importe quoi. C'est comme de dire qu'il suffit de manger 5 fruits et légumes par jour pour gérer le problème de la cardiologie.

Plus de 30% des postes de psychiatres dans les hôpitaux publics sont inoccupés, entre 25 et 35% des postes d'infirmiers sont également inoccupés.

On connait les problèmes de l'hôpital public, en particulier sa perte d'attractivité pour les praticiens, qu'en est-il de la psychiatrie ?

Dr Jean-Pierre Salvarelli : Dans ce domaine on peut dire que la psychiatrie est même en avance sur le reste de l'hôpital public. Il y a plus de 30% des postes de psychiatres qui sont inoccupés. Et quand bien même tous ces postes seraient pourvus, nous n'arriverions pas à remplir toutes les missions qui sont les nôtres.

Du fait de l'explosion de la demande ?

Dr Jean-Pierre Salvarelli : Oui !! La pathologie mentale est un signe de développement dans nos pays. La dépression est devenue la première cause mondiale de handicap et d'arrêt maladie. L'État ne prend absolument pas en compte de la gravité du problème.

Pour vous quelle serait la mesure urgente à prendre pour la psychiatrie publique ?

Dr Salvarelli : Il faudrait nous fournir des moyens et rendre la pratique attractive.

Une réforme du financement de la psychiatrie est en cours, cela permettra-t-il de mieux financer ce secteur ?

Dr Salvarelli : Je fais partie du groupe de réforme du financement de la psychiatrie depuis le début. Cela ne changera strictement rien si les enveloppes de financement ne sont pas revues à la hausse. La psychiatrie a été sous-financée ces dix dernières années d'à peu près 15%. Si la dotation de la psychiatrie n'augmente pas de façon très importante, nous n'y arriverons pas. Il faudrait que l'Ondam progresse de 5%, mais nous devrions avoir une progression bien en deçà. Le Ségur de la santé était une bonne chose, mais c'est comme si l'on donnait de l'aspirine à un patient en réanimation. C'est mieux que rien mais ce n'est pas cela qui va sortir votre patient de la réanimation. Ou alors que l'on nous dise clairement : arrêtez de soigner les gens.

Si la dotation de la psychiatrie n'augmente pas de façon très importante, nous n'y arriverons pas.

Du côté des internes, l'on s'aperçoit que le quota des places attribuées à la psychiatrie n'est pas rempli. Quel est le problème avec les étudiants en médecine ?

Dr Salvarelli : Nous avons de plus en plus de mal à recevoir les internes dans nos services universitaires. Je pense aussi qu'on leur propose une psychiatrie qui n'est pas forcément très intéressante. Qui plus est, la pression sociale est monumentale autour de notre spécialité : l’on nous demande de cadenasser les patients dangereux, mais aussi de laisser les patients en liberté, nous sommes soumis à des injonctions contradictoires insoutenables. Par ailleurs, actuellement se propage un discours des tenants de la psychiatrie qui est un discours anti-psychiatrique.

Que dit ce discours ?

Dr Salvarelli : Il disqualifie la psychiatrie, en affirmant que c'est un système d'enfermement des patients, qu'elle ne respecte pas leurs droits, etc. En les écoutant, on n'aurait plus besoin de psychiatrie mais seulement de santé mentale. C'est un discours paradoxal qui affirme que l'on a besoin de santé mentale mais absolument pas de psychiatrie.

D'où la teneur de ce bilan d'étape du gouvernement, plus axé sur la santé mentale que sur la psychiatrie ?

Dr Jean-Pierre Salvarelli : Bien sûr, puisque la santé mentale ne coûte rien. Le problème, c'est que ce discours est soutenu par des tenants de la psychiatrie qui sont aussi contre l'existence des secteurs.

 

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