
Pr Martine Gilard
France – Depuis le 1er mars, les guides de mesures de la fraction du flux de réserve coronaire ont été retirés de la liste en sus associée à Liste des Produits et Prestations Remboursables (LPPR). La Société Française de Cardiologie s'en insurge et espère que les autorités reviendront sur cette décision qui revient à dérembourser ce dispositif médical de diagnostic jugé essentiel par les cardiologues.
Le Pr Christophe Leclercq, président de la SFC, dénonce une mise en danger des patients et, dans une lettre ouverte adressée au Ministre de la Santé et de la Prévention, rappelle la responsabilité des médecins de défendre les intérêts des patients et de leur assurer une prise en charge optimale.
Il demande à ses consœurs et confrères de signer une pétition en ligne pour maintenir l'inscription de ces dispositifs sur la liste en sus associée à la LPPR.
Medscape édition française a demandé à la Pr Martine Gilard (cardiologue, CHU de Brest), membre du bureau de la SFC et du Groupe de Cardiologie Interventionnelle de la Société Européenne de Cardiologie, de nous aider à comprendre les tenants et aboutissants de cette situation.
En quoi la mesure de la fraction de flux de réserve (FFR) coronaire est-elle si utile ?
Pr Martine Gilard : La mesure de la réserve coronaire par FFR permet d'évaluer le risque ischémique associé à un rétrécissement d'une artère. C'est une aide à la décision de revasculariser qui est souvent difficile lorsque le syndrome coronaire est stable. En aidant à déterminer si une angioplastie est nécessaire, la FFR réduit les poses de stent inutiles. En pratique, en cas d'accident aigu ou s'il y a eu des examens an amont tels qu'une épreuve d'effort ou une IRM de stress, on ne mesure pas la FFR, la coronarographie suffit. En revanche, si vous avez un patient sans examen en amont, la FFR est bien utile : en explorant les différents rétrécissements, elle permet d'identifier celui à l'origine de la douleur ou bien de pouvoir affirmer que le symptôme n'est pas lié au rétrécissement. Ceci conduit à une diminution des poses de stent, des angioplasties et de la prescription de médicaments anti-aggrégants, ce qui d'après les études de registre améliore l'avenir de nos patients.
Que s'est-il passé pour aboutir aujourd'hui à un déremboursement ?
Pr Gilard : Jusqu'à présent, les guides de mesures de la FFR étaient inscrits dans la liste en sus associée à la Liste des Produits et Prestations Remboursables (LPPR), un dispositif qui permet de financer le coût des appareils et traitements innovants. Sans aucune concertation avec les professionnels de santé, l'Etat a décidé de les enlever de cette liste et de les intégrer dans le forfait hospitalier classique, sauf que pour la première fois il n'y a pas d'argent supplémentaire lors de l'ajout d'un nouveau dispositif médical dans ce forfait. Pour nous, il s'agit par essence d'un déremboursement.
Comment l’expliquez-vous ?
Pr Gilard :Nous pensons que l'Etat cherche de l'argent. Nous n'avons pas d'autre explication. Les guides de mesure de la FFR avaient été mis sur la liste en sus de la LPPR en 2019. Et ces dispositifs étaient en phase d'adoption croissante sur le territoire. Si aujourd'hui la FFR est utilisée dans 12% des angioplasties, on estime qu'elle aurait une utilité dans 25 à 30 % des dilatations. Pour mémoire, 225 000 angioplasties sont réalisées chaque année en France. Nous ne sommes pas les seuls dans cette situation aussi choquante qu'incompréhensible : les cathéters de thrombo-aspiration utilisés par les neuroradiologues pour réaliser un geste d'urgence lors d'un AVC sont eux aussi déremboursés selon le même mécanisme depuis le début du mois (ndlr : la SFNR et la SFNV ont également adressé une lettre ouverte au ministre François Braun).
Quelles sont les conséquences attendues de ce déremboursement ?
Pr Gilard :Nos institutions vont nous inciter à ne pas faire les actes. Les hôpitaux n'ont pas d'argent pour de nouvelles dépenses. Je ne vous apprends pas la situation difficile que traverse l'hôpital. Ce qui m'inquiète, c'est qu'en agissant ainsi, l'Etat pousse finalement les médecins à se mettre dans des situations de conflit d'intérêt. Pour pouvoir continuer à réaliser des mesures de la FFR, les cardiologues vont être amenés à négocier individuellement avec les fabricants pour trouver des solutions pour leurs patients. Ce n'est pas bon. Du côté des patients, ceux-ci n'auront plus accès à la FFR, ce qui va augmenter le nombre d'angioplasties dont certaines seront inutiles. Imaginons un patient pour lequel une coronarographie révèle deux artères bouchées. Avec la FFR, on saurait laquelle des deux entraîne le symptôme alors que sans, on dilatera les deux artères. On va exposer nos patients à la pose de plus de stents que réellement nécessaire avec un risque augmenté de resténose. C'est clairement un retour en arrière.
Qu'en est-il dans les autres pays européens ?
Pr Gilard :Il faut savoir que dès 2010 la Société Européenne de Cardiologie (ESC) classe la FFR en 1A dans ses recommandations, ce qui le plus haut niveau de preuve. Autrement dit, cela veut dire que pour l'ESC il ne peut y avoir de dilatation sans mesure de la FFR au préalable. En Allemagne et en Angleterre, la mesure de la FFR est remboursée. En France, alors que nous sommes supposés avoir une médecine qui tient le haut du palmarès, l'Etat interrompt la diffusion du progrès médical pour des raisons financières. C'est dramatique.
Financements et liens d’intérêts
La Pre Gilard a rapporté des liens avec Abbott, AMG, AstraZeneca, Biotronik, Boston, Daiichi-Sankyo, Edwards, Guerbet, Lilly, Medtronic, Philips et Terumo.
Suivez Medscape en français sur Twitter.
Suivez theheart.org | Medscape Cardiologie sur Twitter.
Inscrivez-vous aux newsletters de Medscape : sélectionnez vos choix
Crédit de Une : DR
Medscape © 2023
Citer cet article: Déremboursement de la mesure de la FRR : « une situation aussi choquante qu'incompréhensible » - Medscape - 14 mars 2023.
Commenter