Paris, France – « Recherche médecin généraliste »… Il suffit de lire les sites de petites annonces des revues professionnelles pour se rendre compte de l’incroyable pénurie de médecins de famille en France. Communes, départements, établissements… ils sont plusieurs centaines en quête de la perle rare pour préserver l’offre de soins sur leur territoire.
Quand les petites annonces, la publicité et le bouche à oreille ne fonctionnent plus, certaines municipalités font appel aux cabinets de recrutement, le plus souvent chez nos voisins européens. Zoom sur quelques initiatives, heureuses et malheureuses.
La filière espagnole
Las de rechercher sans succès des praticiens, parfois depuis plusieurs années, et ne parvenant pas à en attirer, des édiles ont décidé de s’en remettre à des cabinets de recrutement spécialisés. C’est le cas de Stéphane Lelièvre, maire de Barenton, commune de 1 200 âmes dans la Manche (50).
« Nous venons de recruter un médecin via une plateforme en ligne (lire encadré) mais l’idée serait d’en trouver un deuxième car le Mortanais, bassin qui recouvre 15 000 habitants, ne compte plus que 7 médecins dont deux devraient partir à la retraite en 2023 », confie l’élu.
Barenton s’est engagée avec Meditalent, cabinet de recrutement spécialisé dans les professions de santé, majoritairement en provenance d’Espagne. Après une première touche qui n’a pas abouti avec deux praticiens « exigeants et qui cherchaient une plus grande ville, près de la Suisse », la municipalité espère que le prochain candidat espagnol sera le bon. « Nous avons une maison médicale à Mortain prête à accueillir sept à huit professionnels. »
Après des études de commerce et avoir travaillé dans les nouvelles technologies, Géraldine Kohn a fondé Meditalent en 2019. Elle est persuadée que les professionnels de santé ibériques (médecins généralistes et spécialistes mais aussi kinés, pharmaciens, infirmiers…), désireux de s’expatrier pour travailler dans de meilleures conditions, peuvent être un secours au système de santé français.
« Notre principale mission est le recrutement des professionnels jusqu’à leur intégration », explique Géraldine Kohn. Les généralistes sont une cible prioritaire de l’agence. Meditalent propose aussi une prestation pour aider le candidat au départ : « Nous les accompagnons pendant toutes les phases de recrutement, nous leur proposons des cours de français et les aidons à préparer leur CV, à obtenir si nécessaire l’autorisation d’exercice, et à s’inscrire à l’Ordre. Nous pouvons aussi les aider à établir leur projet professionnel, à trouver un job pour leur conjoint, un logement ou une école pour leurs enfants. »
Pas d’encadrement des tarifs
L’agence démarche les candidats au départ qu’elle a identifiés (en Espagne essentiellement, mais aussi au Portugal et en Italie) après avoir démarché les universités, le conseil de l’Ordre, les annonces ou le bouche-à-oreille. Puis elle met en relation les candidats et les recruteurs français.
« Nous organisons d’abord une visioconférence et si ça « matche », nous proposons au candidat de venir sur place pour voir l’environnement de travail et les équipes, explique Nathalie Verlière, collaboratrice de Meditalent en France. Nous sommes rémunérés au succès, il n’y a rien à régler tant que le professionnel de santé n’est pas installé. »
Les tarifs de l’agence sont confidentiels, aucun cabinet ne souhaitant les divulguer. Mais le maire de Barenton ne cache pas le montant que pourrait lui coûter l’opération.
« Nous nous sommes engagés à payer l’agence 9 000 euros si elle parvient à nous trouver un médecin, confie-t-il. D’autres agences nous demandaient 15 000 ou 17 000 euros. »
Le recrutement de professionnels de santé étrangers n’est pas toujours une partie de plaisir. « Nous rencontrons des difficultés pour le recrutement des médecins diplômés hors de l’Union européenne qui, même s’ils ont exercé dix ans en Espagne, doivent passer devant une commission du Centre national de gestion (CNG) qui se réunit très peu », regrette Géraldine Kohn, qui estime à un an, le délai moyen pour obtenir l’autorisation d’exercice.
Un an et demi de recherche à Moissac
Moissac, commune de 14 000 habitants du Tarn-et-Garonne (82), a également contractualisé avec un cabinet de recrutement pour trouver des médecins généralistes.
« Ce chasseur de têtes sera rémunéré uniquement en cas d’installation d’un médecin, à hauteur de 12 000 euros », explique le maire de Moissac, Romain Lopez.
Depuis un an et demi, l’expérience n’a pas été concluante. Le recruteur, qui dispose d’un réseau en Belgique et aux Pays-Bas, a pourtant présenté quelques candidats. « Nous avons eu une touche avec un couple de médecins hollandais mais ils ont préféré aller près de la frontière suisse », explique Romain Lopez.
Une médecin belge a aussi visité la ville et indiqué son souhait de s’installer mais n’a depuis pas donné de nouvelles.
L’édile ambitionne que tous les habitants puissent avoir un médecin traitant et a bon espoir que l’intercommunalité votera en faveur d’un projet de maison de santé pluriprofessionnelle. Celle devrait ouvrir au début 2026, ce qui nécessiterait de recruter un ou deux médecins supplémentaires.
« Ce n’est pas notre prérogative de maire de rechercher des médecins, mais nous sommes bien obligés de nous y coller, s’agace Romain Lopez. Nous subissons la colère et l’incompréhension de la population. »
Des candidats gourmands
Certaines agences de recrutement médical exercent sur ce créneau depuis plusieurs années. C’est le cas de l’Association pour la recherche et l'installation de médecins européens (Arime), qui a vu le jour en 2007.
« Nous avons démarré en recrutant des médecins en Bulgarie, en Roumanie, en Italie et en Grèce, mais aujourd’hui, nous recrutons tout autant à l’est qu’ailleurs », relate sa fondatrice Sophie Leroy.
En quinze ans, rien n’a changé, ce sont les mêmes demandes », affirme la spécialiste du recrutement. A l’époque, les anesthésistes et les radiologues étaient les spécialistes les plus demandés, devant les généralistes, affirme la responsable de l’Arime. Dorénavant, ce sont les psychiatres, les gériatres et les généralistes qui sont recherchés !
Le recrutement est devenu de plus en plus difficile, estime la chasseuse de têtes. « Les médecins étrangers, des pays de l’est notamment, viennent pour faire des piges, pour gagner de l’argent et plus forcément pour s’installer. Certains demandent des salaires exorbitants au-dessous duquel ils ne viendront pas. » D’où l’importance d’être rigoureux dans la sélection des candidats. « Je vais sur place pour voir si les médecins parlent français, je vérifie leur comportement, s’ils sont sociables ou non », explique Sophie Leroy, qui recrute aussi bien des médecins pour des municipalités, des maisons de santé ou des établissements publics ou privés. « En fonction des missions, le budget va varier entre 18 000 et 30 000 euros », avance la responsable de l’Arime.
Attention aux arnaques
Le recours à des agences de recrutement, dont l’activité n’est pas réglementée, n’est pas sans risque. Certaines municipalités ont vécu des mésaventures et ont été escroquées par des officines peu scrupuleuses. C’est le cas, notamment de la commune de Dampierre-en-Burly, village de 1 500 habitants du Loiret, qui avait versé il y a quelques années 4 000 euros à l'agence European Caducee Consulting contre l’assurance d’avoir un généraliste.
La société de recrutement avait bien trouvé un généraliste roumain mais le praticien n'avait pas les diplômes équivalents pour exercer en France et il n’a pas pu s’installer. La mairie n’a jamais revu son argent.
La responsable de la société, une ex-dentiste, a été condamnée en 2021 à 5 ans de prison dont 2 ans avec sursis probatoire durant deux années, à l’obligation d’indemniser les victimes, à l’interdiction de gérer une société industrielle ou commerciale, comme l’a rapporté L’Eveil de la Haute-Loire (43).
Comment Barenton a trouvé un médecin grâce à un site de mise en relation
Si la commune a fait appel à un cabinet de recrutement, Barenton a aussi trouvé un médecin après avoir contractualisé avec Comm’une Opportunité. Ce site de rencontres entre porteurs de projet et communes de France, sur le mode de « Meetic », a permis au maire de Barenton de dégoter une médecin généraliste qui s’est installée il y a quelques mois.
« Nous accompagnons les communes et mettons en place un marketing territorial pour valoriser leurs atouts, leurs singularités, une histoire, explique Julie Lévêque, fondatrice de Comm’une opportunités. Toutes ont quelque chose à mettre en avant. »
Textes attractifs, vidéos, réseaux sociaux… le porteur de projet est présenté sous son meilleur jour pour que l’annonce ait le plus de chance de trouver preneur. « L’idée est d’être différenciant tout en étant humain, poursuit Julie Lévêque.
Dans le cas de Barenton, la médecin qui a été recrutée a dit qu’elle avait 6 enfants et avait besoin d’une grande maison pas loin du collège et d’une école de musique. » Barenton a su répondre à ses attentes et a remporté la mise.
Comm’une Opportunité n’est pas spécialisée dans le domaine médical mais observe une forte demande des municipalités pour la recherche de médecins.
« Nous avons plus d’annonces que nous n’avons de médecins mais ça marche ! D’autres médecins et professionnels de santé ont des contacts via notre plateforme. » Des municipalités et un syndicat de jeunes médecins collaborent avec Comm’une Opportunité et une URPS a manifesté son intérêt pour échanger des annonces et faire connaître des villes.
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Crédit de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Pour trouver un médecin à tout prix, des mairies s’en remettent aux agences de recrutement - Medscape - 13 mars 2023.
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