Italie – Les médecins des organisations humanitaires sont en première ligne pour éviter des tragédies comme celle qui s’est produite au large des côtes de la Calabre, où le naufrage d’un bateau transportant près de 200 migrants a provoqué la mort de 67 personnes fin février. Témoignages de deux médecins italiens qui font du secours en méditerranée rapportés par notre confrère d’Univadis Medscape Italie.
Une succession de naufrages
Les naufrages en mer se sont succédés ces dernières semaines, celui survenu au large de Steccato di Cutro le 26 février dernier, en Calabre (Italie du Sud), auquel est venu s'ajouter celui d'une femme et d'une fillette de trois ans, dans la nuit du 6 au 7 mars. Puis le navire Life Support de l'organisation non gouvernementale italienne Emergency a à nouveau secouru, dans les eaux internationales au large de la Libye, 105 autres migrants à la dérive dans un canot pneumatique de 12 mètres dont le moteur en panne prenait l'eau alors que les conditions météorologiques se dégradaient rapidement.
Dans ce dernier cas, les bateaux pneumatiques à coque rigide (aussi connus sous le nom de rhibs pour rigid hull inflatable boat) ont été mis à l'eau vers 4 heures du matin, et le transfert des naufragés – 59 hommes, 17 femmes, dont une enceinte de sept mois, quatre enfants accompagnés et 25 mineurs non accompagnés – s'est achevé trois heures plus tard. Ils avaient quitté Zwara, en Libye, à 14 heures le 6 mars, en provenance du Nigeria, de Côte d'Ivoire, de Guinée Conakry, de Gambie, du Soudan, du Cameroun, du Mali, de Mauritanie, de Sierra Leone, du Tchad, d'Érythrée et du Burkina Faso.
Triage et transfert en ordre de priorité par canots de sauvetage
Comment se déroule un sauvetage en mer ? « En arrivant à proximité du navire, le premier rhib part avec une infirmière expérimentée et un médiateur culturel à bord, pour une première évaluation de la situation », a expliqué la Dr Paola Tagliabue à Univadis Medscape Italie. Cette spécialiste en anesthésie et soins intensifs à l'hôpital Policlinico de Milan a déjà participé à trois missions avec l’organisation non gouvernementale, Emergency, en 2019 et 2020, à bord du navire Open Arms de l'association espagnole et, plus récemment, à la première mission du navire Life Support, en décembre de l'année dernière, lequel a effectué deux sauvetages.
« Il s'agit d'une phase très critique, où le travail du médiateur culturel consiste avant tout à expliquer qu'il ne fait pas partie des garde-côtes libyens (qui ont conclu un accord avec le gouvernement italien pour ramener les immigrants dans les camps de détention libyens, où nous avons des preuves de tortures et de mauvais traitements), et à prévenir le risque d'agitation qui mettrait en péril la stabilité de ces embarcations de fortune. L'infirmière effectue un premier triage pour voir s'il y a des personnes dans un état critique, et dans ce cas elles sont prioritaires ». Ensuite, les passagers sont transférés environ 20 par 20 sur le bateau de sauvetage, où ils reçoivent immédiatement une couverture thermique et un bracelet numéroté, et subissent un deuxième triage rapide pour identifier les victimes de brûlures fréquentes causées par le contact prolongé avec le mélange de carburant et d'eau de mer, qui prennent immédiatement une douche et reçoivent des vêtements de rechange.
« Heureusement, la plupart des personnes secourues n'ont pas besoin de soins d'urgence, et les affections les plus fréquentes, outre les brûlures, sont l'hypothermie et les symptômes de noyade », explique la Dr Tagliabue. Lors d'une mission avec le navire Open Arms, après huit jours d'attente d'autorisation d'entrer dans un port, en vue de la côte, certains migrants ont sauté par-dessus bord, ne sachant même pas nager, prenant ainsi le risque de se noyer, raconte-elle. Il faut savoir en effet que la loi votée par le gouvernement italien de droite interdit aux sauveteurs des ONG d'accoster au port le plus proche, comme le prévoit le droit de la mer en cas d'urgence, mais les oblige à demander une autorisation spéciale. Cette nouvelle procédure prolonge souvent la permanence des immigrants sur les bateaux, parfois pendant des jours et des semaines, jusqu'à ce qu'ils atteignent le port assigné.
Protocoles et bureaucratie
Pour chaque situation, Emergency a élaboré un protocole qui tient compte de la disponibilité de l'espace – qui, sur le navire Life support, comprend une station pour la gestion de l'urgence initiale et une autre pour les soins primaires, ainsi que deux brancards pour l'observation – et de la composition du personnel, soit un médecin spécialisé en réanimation ou en médecine d'urgence, deux infirmières et deux médiateurs culturels qui font également office de traducteurs. Dans les cas extrêmes, l'évacuation est demandée, comme ce fut le cas lors de la dernière mission pour une femme enceinte en stade avancé souffrant de vomissements et de déshydratation, qui a été rapidement transférée à terre par un patrouilleur. Il peut arriver qu’une femme accouche dans le bateau. Cela s’est produit au début du mois de décembre dernier sur le navire Geo Barents de Médecins sans frontières (MSF), lorsque celui-ci a secouru 90 personnes.
Il arrive aussi que l'on s'occupe de personnes en état de prostration parce qu'elles ont été livrées à elles-mêmes pendant de nombreux mois, qui, outre la gale attrapée dans les prisons libyennes, souffrent d'otite, de mycose, d'infections de toutes sortes, ou de douleurs aiguës à l’abdomen, souvent à cause de la constipation, témoigne le médecin secouriste Riccardo De Bernardi, qui fait partie de l'équipe médicale du navire de MSF (laquelle comprend également un chef d'équipe médicale, une infirmière, un psychologue et un obstétricien), auprès d'Univadis Medscape Italie.
« Outre la gestion des cas médicaux, nous nous occupons également du stress psychologique et de la certification de la torture et de la violence, y compris la violence sexuelle, qui est très fréquente dans les prisons libyennes et qui laisse de lourdes séquelles sur le plan de la santé mentale ».
Actuellement, le navire Geo Barents de Médecins sans frontières (MSF) est bloqué dans le port d'Ancône sur ordre de l'autorité portuaire d'Ancône, laquelle a en effet ordonné une détention administrative de 20 jours et une amende de 10 000 euros en vertu du "décret ONG" controversé approuvé en janvier par le gouvernement dirigé par la Première ministre de droite Giorgia Meloni. Médecins sans frontières est accusé de ne pas avoir fourni les données du VDR (Voyage Data Recorder, c'est-à-dire la boîte noire), qui, selon l'ONG, ne devrait être utilisé qu'en cas d'accident maritime. C'est pourquoi elle a fait appel de la décision, mais en attendant, le navire est à quai et ne peut être utilisé pour de nouvelles missions de sauvetage.
Pour autant, « nous prévoyons de reprendre la mer dans les prochains jours », a affirmé le médecin secouriste à notre confrère italien.
Quant à la Dr Paola Tagliabue qui, avant de monter à bord des navires, avait passé trois mois en Sierra Leone en 2015 pour mettre en place le centre de traitement Ebola d'Emergency, elle prévoit maintenant de partir pour une nouvelle mission avant l'été. « Soigner ces personnes, c'est aussi respecter leurs silences », explique le médecin de l'unité de soins intensifs basée à Milan. « Lors de la mission de décembre dernier, j'ai eu le privilège d'entendre beaucoup de leurs histoires, mais il m'est difficile de décrire l'émotion que j'ai ressentie en voyant les yeux des personnes que nous transportions à bord pour les mettre en sécurité. Sauver des vies est ce qu'il y a de plus juste à faire ».
L’article a été publié initialement sur Univadis.it sous l’intitulé Come si salvano i migranti in mare: l'esperienza dei medici a bordo delle navi. Traduit par Stéphanie Lavaud.
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Crédit photo de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Sauvetage de migrants en mer : témoignages de médecins secouristes italiens - Medscape - 14 mars 2023.
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