Crise sanitaire au Liban : un système au bord du « gouffre »

Jacques Cofard

Auteurs et déclarations

9 mars 2023

Alexandre Laridan

Paris, France — À l'occasion des 40 ans de l'ONG TULIPE (transfert d'urgence de l'industrie pharmaceutique), créée en 1982 par des entreprises de santé, des représentants d'ONG, partenaires de TULIPE, ont fait le point sur la situation sanitaire du Liban, qui « s'enfonce dans un gouffre abyssal », pour reprendre l'expression d’Alexandre Laridan, directeur des opérations de TULIPE. « En trois ans, Tulipe a envoyé 25 tonnes de médicaments au Liban », résume-t-il.

Août 2020 : le tournant

Si de nombreuses ONG, comme l'Ordre de Malte ou encore Première urgence internationale, sont présentes depuis plusieurs dizaines d'années dans le pays du cèdre pour assister les réfugiés, la situation a radicalement changé depuis l'explosion du port de Beyrouth en août 2020.

« Ces deux dernières années, les profils des personnes que nous assistons ont changé, désormais nous accueillons dans nos centres des personnes de la classe moyenne car ils n'ont plus le choix du fait du déclassement généralisé de la population depuis l'explosion du port de Beyrouth. Depuis, l'inflation a flambé. Pour vous donner un exemple une consultation vaut 3 millions de livres, alors que le smic est de 450 000 livres », explique Oumayma Farah, vice-présidente de l'Ordre de Malte au Liban.

Une consultation médicale vaut 3 millions de livres, alors que le smic est de 450 000 livres.

 

L'organisation qu'elle représente est installée au Liban depuis les années 50. L'Ordre de Malte a développé, pendant et après la guerre du Liban (1975-1990) entre 1000 et 1500 dispensaires dont l'État a assuré la gérance dès 2008 dans le cadre d'un programme de santé primaire.

Depuis, l’ONG gère 25 structures de soins primaires, dont 11 centres médico-sociaux mais aussi sept antennes mobiles.

« Les Libanais fréquentent nos centres car ils sont appauvris, mais ils ont honte de cela. Cela génère beaucoup d'agressivité et nous formons nos professionnels pour l'accueil de ces nouvelles populations. Les Libanais consultent dans nos dispensaires car nous sommes aussi en mesure de proposer des médicaments de qualité, qui proviennent des dons de l'association TULIPE. »

L’accès aux médicaments freiné par la corruption

Du fait de la crise financière que vit actuellement le Liban, l'approvisionnement en médicaments de qualité s'est raréfié, tandis qu'une offre de contrebande est apparue : « Malheureusement de nombreux Libanais sont hospitalisés pour avoir consommé ces médicaments de contrebande, ou pour s'être privés de médicaments de qualité. Nous-mêmes connaissons la pénurie médicamenteuse et nous sommes obligés de diminuer les doses pour certaines pathologies, comme l'ostéoporose ou l'hypertrophie de la prostate. »

De nombreux Libanais sont hospitalisés pour avoir consommé ces médicaments de contrebande.

 

La corruption n'est pas non plus étrangère à la pénurie de médicaments que connait le pays : « Les médicaments sont présents dans le pays mais les grossistes font de la rétention pour revendre ces médicaments plus tard aux plus offrants. Le confessionnalisme et la corruption sont les deux plaies du Liban », analyse le Dr Élie Haddad, président d'Euro Lebanese médical society, une association qui fédère les professionnels de santé de la diaspora libanaise afin de venir en aide aux Libanais restés sur place.

Les grossistes font de la rétention pour revendre ces médicaments plus tard aux plus offrants.

Fuite des médecins

Il n'y a pas que les médicaments qui se font rare ; les médecins et professionnels de santé aussi. « Ces deux dernières années, 3000 médecins environ ont quitté le pays. Mais ce qui est dramatique, c'est que 60% de nos médecins sont des jeunes médecins. Quand ils partent c'est pour toujours. Ainsi, il y a certaines spécialités qui sont menacées de disparition comme la chirurgie pédiatrique par exemple », ajoute le Dr Haddad.

« Nous arrivons malgré tout à retenir un certain nombre de bons médecins, mais le problème reste la dollarisation de l'économie. Ne peuvent y accéder que ceux qui sont en mesure de payer en dollars ces médecins », regrette pour sa part Oumayma Farah.

Ces deux dernières années, 3000 médecins environ ont quitté le pays.

Les réfugiés palestiniens et syriens toujours pris en charge

Si les soins primaires peuvent être pris en charge par les nombreux dispensaires encore ouverts au Liban, les soins secondaires restent un problème épineux. « La prise en charge du cancer, mais aussi de la santé mentale restent de grandes préoccupations pour nous. Dans nos centres de soins primaires, nous n'avons pas le droit de distribuer de psychotropes ou de médicaments en oncologie, donc nous avons ouvert une clinique spécialisée en oncologie, santé mentale, maladie neurodégénérative », ajoute Oumayma Farah.

Si, depuis deux ans, les populations libanaises ont sombré dans l’urgence sanitaire, les populations réfugiés au Liban, de l’ordre de 1 millions d’habitants sont toujours prises en charge par les ONG, comme le rappelle Olivier Routeau, directeur des opérations de Première urgence internationale : « Pour les populations palestiniennes réfugiées au Liban, la crise n’est pas finie et qui plus est, depuis 2010, le Liban accueille aussi des réfugiés syriens. Nous avons, par exemple, ciblé les réfugiés syriens concentrés dans les centres urbains du Nord Liban. Mais nous avons aussi élargi notre offre à la population précarisée libanaise qui constitue 60% des personnes que nous assistons. »

Tiers payant

Afin de prendre en charge les frais de santé, Première urgence internationale a mis en place une sorte de tiers payant, pour accéder au système de soins, du diagnostic au spécialiste. « Nous mettons aussi en place une approche communautaire pour convaincre les membres de ces communautés de fréquenter les structures de santé », ajoute Olivier Routeau.

« En trois ans, nous avons pris en charge entre 300 000 et 700 000 patients au Liban. Nous avons envoyé au centre d’urgence deux tonnes de médicaments et nous avons pu trouver des partenaires, ici présents, pour prendre en charge ces patients. Notre action au Liban est pertinente car nous permettons à ce pays d’atterrir en douceur face à la grave crise humanitaire, et économique qu’il traverse actuellement », résume Alexandre Laridan.

 

Suivez Medscape en français sur Twitter.

Suivez theheart.org | Medscape Cardiologie sur Twitter.

Inscrivez-vous aux newsletters de Medscape : sélectionnez vos choix

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....