France – L'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) du Sénat vient de rendre un deuxième rapport sur l'impact de la chlordécone aux Antilles française entre 1972 et 1993, 13 ans après le premier rapport. L'Opecst se réjouit d'apprendre que la chlordécone pourrait disparaitre des sols antillais d'ici la fin du siècle, mais a déploré les carences en matière de recherche sur les effets sanitaires de l'exposition à ce pesticide considérant que les actions mises en œuvre « ont été tardives et inadaptées à l’ampleur de la pollution » a considéré la sénatrice Catherine Procaccia (LR), rapporteur de ce document de travail sur la chlordécone intitulé "l'impact de la chlordécone aux Antilles françaises"..
Ainsi, les instances de gouvernance et les dispositifs de financement ont été jugés trop complexes et peu efficaces, conduisant à un bilan qualifié par les rapporteurs de « globalement mitigé », avec une communication envers les populations « particulièrement défaillante ». De même pour les différentes instances de pilotage de la recherche, au regard de l’ampleur des enjeux. Et en particulier, les effets sanitaires de cette exposition ont été peu investigués et restent encore mal connus. « Ces défaillances, face à une situation vécue comme un scandale, [ont entrainé] un sentiment de colère et de défiance dans la population, avec un impact sur la perception de l’État et des institutions. Cela explique les difficultés d’adhésion aux dispositifs et aux recommandations émises par les services de l’État » considèrent les rapporteurs.
Une pollution durable des sols par la chlordécone
L'Opecst n'en est pas à son premier rapport au sujet de la contamination des Antilles par ce pesticide. Dès 2009, il avait étudié la question, pour en tirer des conclusions plutôt sombres. Ce rapport soulignait un « accident environnemental », tout en précisant « que ce n’était qu’en poursuivant les études scientifiques et médicales que nous pourrions mesurer l’impact sanitaire réel sur la population ». Il indiquait alors aussi que, pour les chercheurs, « la dégradation naturelle de la chlordécone était très limitée et son élimination reposait uniquement sur sa diffusion dans l’environnement, principalement par lixiviation [percolation lente de l'eau à travers le sol permettant la dissolution des matières solides ou lessivage, NDLR]. Les durées de contamination des sols étaient estimées à plusieurs siècles, avec une rémanence dépendant fortement du type de sols », rappelle en préambule les auteurs du présent rapport.
Qu’en est-il 13 ans après ? « Actuellement, les nouveaux travaux scientifiques nous amènent à penser que la concentration en chlordécone pourrait être inférieure aux limites de détection actuelle avant la fin du siècle. Il faudra attendre 30, 50 ou encore 70 ans pour que le chlordécone disparaisse, c'est encore long mais c'est une bonne nouvelle », s'est réjoui Catherine Procaccia. Un bémol néanmoins : « En raison des importants temps de recharge des aquifères antillais, il est probable que, même après la disparition de la chlordécone contenue dans les sols, la pollution des eaux se poursuive pendant plusieurs dizaines d’années », peut-on lire dans ce rapport.
3 méthodes de dépollution des sols
En matière de dépollution, les recherches actuelles sont prometteuses, a poursuivi Catherine Procaccia : « pour la dépollution des sols, il existe actuellement trois pistes : l'utilisation de souches de bactéries pour stimuler la dégradation sur le terrain ; l'utilisation de réducteurs chimiques sur la couche superficielle du sol mais cela ne limite pas la transmission vers l'hydrosphère ; la séquestration de la molécule de chlordécone par le compost », a détaillé la rapporteure. Ces méthodes rencontrent cependant leur limite : l'utilisation de réducteurs chimiques est onéreuse, tandis que la séquestration de la molécule « a cependant l’inconvénient de ne pas être pérenne, le compost devant être renouvelé régulièrement et la chlordécone étant seulement immobilisée et non détruite », analyse les auteurs de l'étude. « Nous demandons une expérimentation à grande échelle aux Antilles, mais il ne faut pas que les nouvelles molécules dégradées par les réducteurs chimiques soient plus dangereuses que la chlordécone », a plaidé Catherine Procaccia.
Alimentation
En matière d'alimentation, « seuls les légumes racine et les tuberculeux sont impactés, il faut donc produire autre chose. Pour l'élevage il existe des possibilités de décontaminer les animaux pollués. Les produits de la pêche posent problème car il n'y a pas de solution, il faut interdire la pêche dans les zones polluées », a poursuivi la sénatrice. Aussi, ajoute les auteurs, « l’utilisation de filtres à charbon actif permet une décontamination des eaux de consommation ». Catherine Procaccia a rappelé que les risques étaient limités pour les produits alimentaires, et a plaidé pour multiplier les conseils de prévention pour les consommateurs. Elle a par ailleurs regretté l'absence de contrôle dans le circuit informel.
Massifier le recours au dépistage, appelé "chlordéconémie"
L'Opecst s'est bien évidemment interrogé sur les effets sanitaires sur l'homme. « La première étude Kannari, conduite en 2013 et 2014, a indiqué que la chlordécone était détectée chez plus de 90 % des adultes antillais. Sur la base de ces prélèvements, il a été récemment estimé que 14 % des adultes guadeloupéens et 25 % des adultes martiniquais dépassaient la valeur toxicologique de référence interne définie par l’Anses (0,4 μg/L), qui correspond à la concentration de chlordécone dans le sang en dessous de laquelle, sur une longue période, le risque d’apparition d’effets néfastes dans la population est jugé négligeable », explique les auteurs. « Il est souhaitable que le recours au dépistage, appelé "chlordéconémie", soit plus massif.
Par ailleurs, constater une présence élevée de chlordécone dans le sang ne signifie pas qu'une maladie va se déclencher, a poursuivi la rapporteure. Et de détailler : « Il y a une présomption entre l'exposition à la chlordécone et le cancer de la prostate, mais on a oublié d'étudier les causes d'autres formes de cancer. » Les auteurs de l'étude pointent également l'effet néfaste de l'exposition au chlordécone sur la santé de l'enfant : « Concernant la grossesse et le développement de l’enfant, la cohorte mère-enfant Timoun a montré que l’exposition à la chlordécone était associée à un risque accru de prématurité mais également, pour l’enfant exposé pré-natalement et post-natalement, à des impacts hormonaux et à des conséquences sur le développement staturo-pondéral et le neurodéveloppement. » En revanche, aucun impact sur la fertilité de l'homme n'a été constaté, mais Catherine Procaccia regrette également que la fertilité féminine n'ait pas fait l'objet d'une étude.
Action faible de l’État
Comme indiqué en introduction, pour ce qui est de l’action de l’état, les sénateurs regrettent la faiblesse des plans chlordécone I et II au regard du préjudice subi par la population antillaise. Ils reconnaissent que le plan chlordécone IV tente de pallier les insuffisances des précédents plans : « Le plan chlordécone IV tente de tenir compte des limites des précédents plans. Il a été construit en associant services de l’État, collectivités locales, représentants de la société civile et organisations professionnelles, et les Antillais ont pu s'exprimer sur le projet de plan », note les sénateurs. Catherine Procaccia regrette néanmoins que « la biodiversité ait été oubliée ». Enfin l'Opecsct a émis 24 recommandations, tout aussi bien dans les domaines de la recherche, de la communication, de la chlordéconémie, du suivi et de l'évaluation du plan. Pas sûr que cela suffise à restaurer la confiance des Antillais dans l'action de l'État.
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Citer cet article: Chlordécone : l’État doit tirer tous les enseignements des lenteurs et des erreurs - Medscape - 8 mars 2023.
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