France – Aux Antilles, le chlordécone toujours présent dans l’environnement continue de contaminer les populations. Des chercheurs viennent de montrer que l’exposition à cet insecticide – qui a été utilisé pendant plusieurs dizaines d’années dans les bananeraies – pendant les périodes de développement in utero ou au cours de l’enfance est associée à de moins bons scores sur les tests d’évaluation des capacités cognitives et des troubles comportementaux des enfants, avec un impact différent selon le sexe.
Ces résultats, parus dans Environmental Health , invitent à prendre en compte l’impact potentiel de ces effets à l’échelle de la population, afin d’optimiser les politiques de prévention.
Un perturbateur endocrinien, neurotoxique, et toxique pour le développement
Alors que le Sénat rend public ce jour un rapport sur « l’impact de la chlordécone aux Antilles françaises », les chercheurs continuent d’étudier l’exposition de la population à cet insecticide organochloré employé aux Antilles de 1973 à 1993 pour lutter contre le charançon du bananier et les effets sanitaires qui résultent de sa présence persistante dans l’environnement.
Ici, une équipe de recherche internationale impliquant des chercheuses et des chercheurs de l’Inserm au sein de l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (Inserm/Université de Rennes/École des hautes études en santé publique) s’est intéressée à l’impact de l’exposition pré- et postnatale au chlordécone sur les capacités cognitives et comportementales à l’âge de 7 ans de 576 enfants de la cohorte mère-enfant Timoun en Guadeloupe.
Des études expérimentales chez l’animal ont, en effet, montré que l’exposition des femelles lors de la gestation à ce perturbateur endocrinien, neurotoxique, toxique pour la reproduction et le développement, mais aussi cancérogène, entraîne des troubles neurocomportementaux et d’apprentissage chez la portée, de nature ou d’intensité différente en fonction du sexe.
576 enfants de la cohorte mère-enfant Timoun en Guadeloupe
Face à ces différents constats, et pour mieux estimer l’impact éventuel de l’exposition prénatale et postnatale au chlordécone sur le neurodéveloppement infantile, des chercheuses et des chercheurs Inserm de l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (Inserm/Université de Rennes/École des hautes études en santé publique), au sein d’une équipe de recherche internationale, ont examiné les capacités intellectuelles et le comportement de 576 enfants de la cohorte mère-enfant Timoun en Guadeloupe.
En termes de méthodologie, la concentration du pesticide a été mesurée dans le sang du cordon ombilical à la naissance et dans le sang des enfants à l’âge de 7 ans afin d’évaluer les niveaux d’exposition pré- et postnataux des enfants au chlordécone. Tandis que les capacités intellectuelles de ces derniers ont été évaluées à l’aide de 4 indices : compréhension verbale, vitesse de traitement de l’information, mémoire de travail et raisonnement perceptif.
Les mères ont également rempli un questionnaire permettant de mesurer chez l’enfant la présence de difficultés comportementales classées en deux catégories : celles dites « internalisées », qui regroupent symptômes émotionnels et problèmes relationnels avec les pairs, et celles dites « externalisées », qui se traduisent par des problèmes de comportement social (colère, réticence à l’autorité…), d’hyperactivité et/ou d’inattention.
Les résultats des mesures indiquent que l’exposition prénatale au chlordécone a été retrouvée associée, pour chaque doublement d’exposition, à une augmentation de 3 % du score estimant les difficultés comportementales de type « internalisées » à l’âge de 7 ans, avec une association plus forte chez les filles (+ 7 %) que chez les garçons (0 %).
Moins bons scores estimant les capacités intellectuelles générales
L’exposition postnatale au chlordécone a, quant à elle, été retrouvée associée à de moins bons scores estimant les capacités intellectuelles générales (diminution de 0,64 point de QI pour un doublement du niveau d’exposition).
« Cela se traduit, en particulier chez les garçons, par une diminution des indices évaluant le raisonnement perceptif, la mémoire de travail et la compréhension verbale. En outre, l’exposition postnatale était associée à un plus grand nombre de difficultés de comportements « externalisées », autant chez les garçons que chez les filles » indiquent les chercheurs[1].
Conclusion : l’exposition au chlordécone pendant les périodes de développement in utero ou au cours de l’enfance est associée à une diminution des capacités intellectuelles et à une augmentation des difficultés comportementales, avec des effets parfois différents en nature et en intensité selon le sexe.
« Cela est cohérent avec les propriétés estrogéniques de ce pesticide et ses effets différentiels en fonction du sexe et de la période de développement du cerveau », précise Luc Multigner, directeur de recherche Inserm qui a participé à ces travaux.
L’équipe de recherche considère donc justifié « de poursuivre les politiques publiques destinées à réduire l’exposition au chlordécone, notamment parmi les populations les plus sensibles, telles que les femmes enceintes et les enfants ».
Elle invite également à « surveiller la prévalence et la prise en charge des enfants présentant un retard psychomoteur, des troubles sensoriels, neuromoteurs ou intellectuels et/ou des difficultés relationnelles ».
« Si les effets neurologiques et neurocomportementaux constatés dans cette étude sont relativement modérés et subtils au niveau individuel, ils peuvent, compte tenu de l'exposition généralisée de la population antillaise au chlordécone, avoir un impact non négligeable au niveau de la population », conclut Luc Multigner.
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Crédit image de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Chlordécone : un impact possible sur le développement cognitif et le comportement des enfants - Medscape - 3 mars 2023.
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