Focus sur l’actualité des cancers prostatiques à l’ASCO 2023: utilisation de l’intelligence artificielle pour prédire l’efficacité de la radio-hormonothérapie, impact pronostique de la présence d’altérations génétiques dans la recombinaison homologue, et nouveaux résultats des essais TALAPRO-2 et PEACE-1.
TRANSCRIPTION
Karim Fizazi – Bonjour à tous, bienvenue à l’ASCO 2023 avec Medscape. Je m’appelle Karim Fizazi, je suis oncologue médical à Gustave Roussy, à Villejuif, et j’ai le plaisir d’être avec Constance Thibault, également oncologue médicale à la l’HEGP, à Paris et nous allons vous parler essentiellement de la session orale consacrée au cancer de la prostate qui a eu lieu le 4 juin 2023.
L’IA pour prédire l’efficacité de la radio-hormonothérapie
Karim Fizazi – Constance, je te propose de commencer par les phases localisées de la maladie. C’est difficile, bien sûr, d’avoir des nouvelles données, des phases 3, mais on sait déjà à peu près comment traiter les patients et on a de plus en plus du fine tuning si je veux le dire en mauvais français, concernant l’individualisation du traitement grâce à l’intelligence artificielle. Tu peux nous en dire plus ?
Constance Thibault – Effectivement, on a eu une présentation orale [1] aujourd’hui qui montrait l’intérêt éventuel d’un biomarqueur qui s’appuie sur les données cliniques – donc, le PSA, le Gleason, le stade T – et qui a aussi intégré des données d’intelligence artificielle en se basant sur la digitalisation des lames d’anapath des biopsies prostatiques pour regarder si cela permettait de prédire l’efficacité d’une hormonothérapie longue en association à la radiothérapie, notamment dans les cancers de la prostate localisés où il y a une indication de radio-hormonothérapie.
On sait que chez les patients avec un haut risque, la durée de leur monothérapie préconisée est au moins deux ans, voire trois ans. Donc ce biomarqueur qui utilise l’intelligence artificielle a démontré que parmi les hauts risques, il y a presque 30 % des patients qui n’ont pas le biomarqueur et qui, donc, ne bénéficient pas forcément d’une longue durée d’hormonothérapie par rapport à une courte durée. C’est assez séduisant parce que cela permettrait d’épargner tous les effets secondaires liés à une hormonothérapie longue chez ces patients qui n’expriment pas ce biomarqueur. Les données étaient assez robustes – le score a été développé sur plus de 2000 patients inclus dans des essais randomisés et validés sur un autre essai avec plus de 1000 malades. Après, il faudra qu’on puisse avoir ce test-là en pratique pour pouvoir essayer de personnaliser le traitement au stade localisé.
Karim Fizazi – C’est super intéressant et ce d’autant plus que, théoriquement, c’est un test qui ne devrait pas coûter cher. Je dis cela parce qu’une fois qu’on a fait l’effort du travail qui est en cours sur des milliers et des milliers de patients, de scanner des lames, d’apprendre à la machine à voir ce que tu viens de décrire etc. il suffit ensuite pour le nouveau patient d’envoyer un scan d’une lame, ce qui ne coûte évidemment rien. La machine dit « c’est A » ou « c’est B » et on sait ce qu’il faut faire. Donc en théorie cela pourrait faire, en plus, un test très peu cher qui pourrait être utilisé partout dans le monde, alors que le NGS, par exemple, le séquençage, a un coût et il sera probablement difficile de le réduire beaucoup. Donc je suis d’accord avec toi, c’est une super nouvelle et cela pourrait être très intéressant pour la pratique clinique.
Constance Thibault – Oui. Et surtout que, dans ce test-là, ce qui semble être le plus intéressant et qui drive le plus la positivité du biomarqueur, c’est justement les lames digitalisées, mais qu’on fait finalement en pratique courante ; en plus, cela ne consomme pas de tissu. Donc c’est vrai que c’est assez intéressant.
PEACE-1 : résultats sur la radiothérapie chez les patients au niveau du primitif
Constance Thibault – Sur des stades un peu plus avancés dans la maladie, notamment chez les patients métastatiques de novo, on a eu les résultats de PEACE-1 ; cette fois-ci, non pas sur l’intérêt des traitements systémiques, mais sur celui de la radiothérapie chez les patients au niveau du primitif. Est-ce que tu peux nous donner les résultats ?
Karim Fizazi – Oui, les résultats, l’étude a été présentée par Alberto Bossi, ici à l’ASCO. [2] PEACE-1 est un très gros essai académique (presque 1200 patients randomisés) et comme tu l’as dit, deux questions :
- d’une part, est-ce qu’il faut encore intensifier le traitement systémique ? La réponse est « oui » – trois médicaments font mieux que deux, au moins chez les patients avec beaucoup de métastases ; et chez les patients avec peu de métastases, il faut encore un suivi un petit peu plus long.
- et la deuxième question qui était importante était de savoir s’il faut irradier la prostate chez les patients oligométastatiques (ou low-volume) dans un contexte où on utilise un traitement systémique intensifié. Et là, la réponse est plus compliquée et on s’aperçoit de plusieurs choses : d’une part la radiothérapie améliore la survie sans progression radiologique à condition que le patient reçoive l’abiratérone, parce qu’il y a une synergie entre l’abiratérone et la radiothérapie. Chez les patients qui ne l’ont pas reçue, la radiothérapie n’apporte pas grand-chose. En survie globale, on ne voit pas de bénéfice, contrairement à STAMPEDE par exemple, possiblement parce que les patients de PEACE-1 vivent beaucoup plus longtemps que les patients de STAMPEDE – ils reçoivent beaucoup plus de traitements, ils sont plus contemporains, finalement ils correspondent à notre pratique à peu près actuelle. Le bénéfice de la radiothérapie, si jamais il existe, on ne le voit plus en survie globale.
Ce qu’apporte PEACE-1 qui n’avait jamais été démontré jusqu’à maintenant, c’est que la radiothérapie permet d’éviter la survenue d’événements génito-urinaires graves, c’est-à-dire une rétention urinaire, un saignement majeur, une douleur prostatique, la mise en place d’une sonde « double J », une radiothérapie de rattrapage, une résection transurétrale, enfin, tout ce qui fait l’enfer pour nos patients et, au passage, pour les docteurs, dans les situations avancées de résistance à la castration.
Donc on a suivi les patients vraiment jusqu’au bout pour essayer de pouvoir le démontrer et c’est clairement le cas – le bénéfice de la radiothérapie est vraiment très important et je pense vraiment que cela doit renforcer nos standards pour les low volume et, au passage, on voit ce bénéfice aussi se dessiner chez les patients à de high volume, donc va se poser la question, au moins chez certains patients, d’utiliser la radiothérapie préventive chez ces patients.
On a vraiment appris des choses avec cette question de la radiothérapie. Donc en résumé, je pense qu’on renforce la position de la radiothérapie sur les low volume et il faut encore qu’on travaille un peu les high volume pour savoir qui est-ce que l’on va traiter de manière préventive avec la radiothérapie.
Constance Thibault – Et, en plus, il y avait un bénéfice, aussi, sur le délai de survenue de la résistance à la castration…
Karim Fizazi – Absolument.
Constance Thibault – … et on sait que ces patients-là, quand on leur met de l’abiratérone en première ligne, quand ils deviennent résistants à la castration, on doit leur mettre la chimio, donc c’est aussi un critère qui est très pertinent pour les malades.
Karim Fizazi – Et les patients détestent, évidemment, voir leur PSA monter. Psychologiquement, on sait tous que c’est dévastateur. Donc c’est aussi une très bonne raison pour utiliser la radiothérapie. Et à chaque fois qu’on a fait un test, le bras abiratérone + radiothérapie est toujours au-dessus des autres, quel que soit le critère que l’on regarde. Cela va sûrement nous aider pour notre pratique.
Impact pronostique de la présence d’altérations des gènes impliqués dans la recombinaison homologue
Karim Fizazi – On a aussi beaucoup discuté ce matin pas la session des anomalies des gènes de réparation de l’ADN, avec des données assez intéressantes à large échelle sur ces altérations, en particulier BRCA. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus ?
Constance Thibault – Effectivement, ce sont les équipes espagnoles qui ont beaucoup travaillé là-dessus sur évaluer l’impact pronostique de la présence d’altérations des gènes impliqués dans la recombinaison homologue. [3] On savait – ils l’avaient déjà démontré – que la présence d’une mutation germinale BRCA est associée à un moins bon pronostic. On avait quand même l’impression que les altérations au niveau somatique étaient aussi associées à un moins bon pronostic, mais cela n’avait jamais été démontré à large échelle. Les chercheurs ont donc analysé plus de 750 patients inclus dans différents essais et ils ont retrouvé qu’il y avait à peu près 13 % des patients qui avaient cette mutation au niveau somatique, 17 % de patients avec des altérations des autres gènes. Donc on retrouve les données publiées dans la littérature, parce que parfois … les cliniciens sont un peu sceptiques et se disent « mais on n’en retrouve pas autant qu’eux. » Eh bien là, c’est vrai que sur plus de 700 patients on retrouve ces mêmes taux et, effectivement, on voit que les patients avec des mutations BRCA1 ou BRCA2 ont un moins bon pronostic par rapport aux patients avec d’autres gènes altérés dans la recombinaison homologue et par rapport aux autres patients. Donc, que la mutation soit somatique ou germinale, on sait que ce sont des patients qui, finalement, ont une moins bonne évolution ultérieure. C’était important de le démontrer. Ce d’autant plus que, désormais, on sait qu’on a quand même accès à des nouvelles thérapeutiques, notamment les inhibiteurs de PARP avec l’olaparib en France, chez les patients prétraités par hormonothérapie de nouvelle génération, mais qui est conditionnée par la présence d’une mutation BRCA1 et BRCA2 ; et puis, depuis maintenant quelques mois, on a des données de l’association avec des hormonothérapies nouvelle génération avec plusieurs études qui ont été publiées.
Les études de phase III TALAPRO-2 (enzalutamide + talazoparib)
Constance Thibault – Tu as présenté les résultats de l’étude TALAPRO-2 dans la cohorte de patients avec des altérations des gènes de la recombinaison homologue. [4] Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus ?
Karim Fizazi – TALAPRO-2 est un des trois essais qui posent la question de l’association d’un inhibiteur de PARP avec un inhibiteur de la voie des récepteurs des androgènes. Quand on a designé cet essai au départ, on voulait poser vraiment cette question pour des patients qui ont ces anomalies des gènes de réparation de l’ADN. Et au moment où l’on rédigeait le protocole, on s’est dit : « mais il faut aussi qu’on pose la question chez des patients qui n’ont pas ces altérations », étant donné les données précliniques qui émergeaient à l’époque. Donc on a répondu à cette première question de savoir si l’association enzalutamide + talazoparib faisait mieux que l’enzalutamide chez des patients tout-venant – incluant des patients avec anomalies, mais aussi avec d’autres. Les données ont été présentées à l’ASCO GU, l’essai est positif, il est juste publié dans le Lancet . [5]
Une fois qu’on a eu terminé les inclusions de ces patients dits all comers – 800 patients –on a continué l’essai et on a inclus 230 patients supplémentaires avec des anomalies des gènes de réparation de l’ADN pour un total de 400 patients à peu près. Et c’est cette cohorte 2 que j’ai présentée ce matin. [4]
Donc TALAPRO-2, ce sont deux études de phase 3, quasiment indépendantes l’une de l’autre, et le risque alpha était splitté pour ces deux questions, et pour cette population de patients qui ont des anomalies des gènes de réparation de l’ADN, le critère de jugement principal était la survie sans progression radiologique. Elle est clairement améliorée avec 55 % de réduction du risque de progression ou de décès en faveur de l’association enza/talazo.
Quand on regarde, ensuite, les sous-groupes, tous les sous-groupes que l’on a testés bénéficient. Au passage, on a un peu plus de 30 % de patients qui avaient reçu du docétaxel ou de l’abiratérone en situation hormonosensible – ils ont le même bénéfice de l’association talazo/enza que les autres, traités à l’ancienne avec une castration seule.
Quand on regarde les anomalies génétiques et le bénéfice pour les patients qui ont des anomalies BRCA, là, le bénéfice devient vraiment énorme, on est à 80 % de réduction du risque de progression ou de décès – le hazard ratio est à 0,2 – très hautement significatif.
Quand on regarde, en revanche, les autres altérations des gènes de la recombinaison homologue, là, le bénéfice est moindre – hazard ratio à 0,68 – il se passe toujours quelque chose, mais de manière moins importante.
On a ensuite essayé de regarder plus précisément, vraiment gène par gène, puis en faisant des clusters. Et c’est intéressant : pour les patients BRCA on montre, peut-être pour la première fois, qu’à la fois les patients BRCA2, mais aussi les patients BRCA1, ont un bénéfice de l’association. Pour les patients BRCA1, le hazard ratio est à 0,17, donc c’est quand même vraiment important, parce que je sais qu’on était un peu hésitant pour ces patients, étant donné les publications précédentes. Donc c’est vraiment une bonne nouvelle.
Autre bonne nouvelle, les patients CDK12, qui ont typiquement des cancers agressifs, semblent également bénéficier de ce traitement avec un hazard ratio de l’ordre de 0,45, selon la façon dont on les analyse. Et c’est potentiellement vraiment une bonne nouvelle pour ces patients, surtout si cela peut être confirmé.
Donc c’est vraiment l’analyse gène par gène et puis on a regardé, déjà en analyse intermédiaire, la survie globale. Les données ne sont pas matures… On a moins de 25 % de décès dans l’essai, mais, quand même il y a déjà une tendance qui se dessine – 31 % de réduction du risque de décès, on est à la limite de la significativité. On refera une analyse dans une petite année, cela a l’air d’être vraiment bien parti, clairement en faveur du bras association. Tous les critères de jugement secondaires sont améliorés : le temps jusqu’à la progression du PSA, la PFS2, le temps jusqu’à chimiothérapie.
En termes d’effets secondaires, attention quand même : le prix à payer pour le patient est à peu près 40 % d’anémie grade 3 ou 4, donc ce n’est pas rien, cela veut dire des patients qu’on va devoir transfuser, et accepter de réduire les doses de talazoparib chez certains. En regardant et en faisant la synthèse des données d’efficacité et de toxicité, j’aime bien regarder la qualité de vie parce que, finalement, cela nous dit, au bout du compte, ce qui est vraiment important pour les patients au-delà de « est-ce qu’on prolonge leur vie ou non ». Et là, on a déjà un bénéfice en termes de temps jusqu’à la détérioration de la qualité de vie en faveur de l’association. Donc je crois que c’est vraiment très rassurant.
Voilà, les données sont matures pour, en tout cas, le critère de jugement principal, qui est clairement amélioré. Les données vont être, évidemment, examinées par les agences, la FDA, l’EMA, on va voir ce qu’elles en pensent. À mon sens, c’est vraiment une association qui a du sens pour au moins les patients BRCA – 80 % de réduction du risque. Il restera à savoir exactement comment utiliser cette association dans un contexte où toi ou moi on utilise très souvent, bien sûr, des hormonothérapies de seconde génération plus tôt et, donc qu’est-ce qu’on fait lorsque le patient progresse ? Est-ce qu’on utilise un inhibiteur de PARP seul ? Est-ce qu’on réutilise une autre hormonothérapie nouvelle génération ? Je ne sais pas, il faudra qu’on y réponde.
Voilà, donc tu vois, on a eu beaucoup d’informations. Je crois que c’était une belle session, n’est-ce pas ?
Constance Thibault – Oui.
Karim Fizazi – Merci à toi et merci à tous de nous avoir écoutés aujourd’hui.
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Citer cet article: Focus sur les cancers de la prostate à l’ASCO 2023 : encore de bonnes nouvelles ! - Medscape - 5 juin 2023.
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