Comment améliorer la prise en charge des SCA ?

Dr Jacques Monségu. Dr Gégoire Rangé

Auteurs et déclarations

12 juin 2023

TRANSCRIPTION

Jacques Monségu – Bonjour à toutes et à tous ! Je suis ravi d’être sur cette nouvelle chaîne de communication en partenariat avec le CNCH. Je suis le Dr Jacques Monségu, cardiologue interventionnel dans un ESPIC à Grenoble, au Groupe hospitalier mutualiste, et nous allons discuter de la prise en charge des syndromes coronariens aigus (SCA) avec mon ami Grégoire Rangé, qui est cardiologue à Chartres.

Données démographiques

Jacques Monségu – Nous nous sommes inspirés du Livre blanc du CNCH pour discuter de cette thématique particulièrement importante en termes de santé publique. Les infarctus, ce sont en effet 120 000 cas en France par an. Et la prise en charge passe par un maillage territorial, ce qui veut dire de la proximité pour acheminer un patient le plus rapidement possible sur une table de coronarographie pour qu’il soit pris en charge de façon optimale. Et ce qui veut dire aussi d’avoir des centres avec une technicité qui soit haute.

Le CNCH prend en charge plus de 60 % des infarctus en France, et ce qui est particulièrement intéressant c’est que ces patients ont un niveau de gravité qui est plus important que celui des patients pris en charge soit dans des centres privés, soit dans des centres publics. Il y a environ 80 centres du CNCH qui possèdent une autorisation de cardiologie interventionnelle, et cela ne représente que 30 % des centres qui possèdent une habilitation à faire de la cardiologie interventionnelle.

Prise en charge actuelle des SCA en pré-hospitalier

Jacques Monségu – Grégoire, comment peut-on améliorer la prise en charge de ces patients admis pour un syndrome coronarien aigu ? Et quel est ton avis en particulier sur la phase pré-hospitalière ?

Grégoire Rangé – Merci de me donner l’opportunité de parler de chiffres qu’on a maintenant grâce au registre France-PCI et notamment sur l'infarctus dans le préhospitalier. Et si on regarde ce que cela donne sur l’année 2022, on a des prises en charge qui ne sont pas si mauvaises que ça :

  • L’appel au 15 a bien augmenté : on est maintenant à 69 % d’appels au 15, donc le réflexe au 15 est plutôt bon.

  • Le taux de patients adressés directement en coronarographie lors qu’ils appellent le 15 est aussi plutôt bon, à 88 % ; les 12 % restants, ce sont toujours des errances au diagnostic qui font que le patient va être adressé dans un centre souvent sans coro et qu’on perd du temps. Mais 88 % ce n’est pas si mal.

  • Le taux de reperfusion d’un infarctus est de 95 %, que cela soit une fibrinolyse, qui est devenue anecdotique, ou par angioplastie.

Donc tous ces chiffres sont plutôt rassurants. Par contre, si on regarde les délais de prise en charge, là on est souvent en dessous des recommandations et de loin, puisqu’on arrive à acheminer un infarctus avec sus-décalage dans les délais recommandés, c’est-à-dire à moins de 90 minutes quand il est pris en charge par le SAMU, en salle de coro, dans seulement 64 % des cas. À titre de comparaison, les Suédois arrivent à 80 % de ce chiffre-là alors qu’ils ont un territoire assez grand et pas beaucoup plus de maillage territorial pour la coronarographie. Donc il y a vraiment une amélioration sur les délais de prise en charge systémique du système pour acheminer le patient en salle de coro.

Jacques Monségu – Tu fais référence au modèle suédois qui est notre modèle de référence et dont tu as su t’inspirer il y a très longtemps en menant ton registre du CRAC ― qui maintenant a fait des petits pour devenir France-PCI, qui permet d’avoir au-delà d’une exhaustivité des données, des données immédiates.

Tu viens de parler de données de 2022. Qui, en France, est capable de donner des chiffres de l’année précédente avec autant de précision ? Donc c’est vraiment le mérite que tu portes, et je tiens à le souligner, ce magnifique registre France-PCI qui nous permet maintenant de faire du benchmarking et de se comparer aux Suédois. Alors, on fait moins bien qu’eux… je ne suis pas tout à fait d’accord sur le maillage…

Grégoire Rangé – Pas sur tout ?

Jacques Monségu – Pas sur tout, mais sur le maillage je pense que, quand on regarde la carte de France, il y a encore des zones qui sont encore un peu désertiques. Et je sais que tu as beaucoup travaillé sur les moyens d’acheminer le patient à l’hôpital. Est-ce que la ressource héliportée est quelque chose qui doit être davantage mis en place en France ou pas ? Ou est-ce que c’est du gadget ?

Grégoire Rangé – Pour moi c’est un vrai scandale sanitaire, pour peser mes mots. On a bien démontré qu’on perdait une heure en acheminant le patient par hélicoptère en France, en tout cas dans la région Centre. Il faut savoir que quasiment aucun patient en France n’est à plus de 100 km, donc une heure de voiture, d’un centre de coro. Et il a bien été démontré dans toute la littérature que l’hélicoptère n’avait aucun bénéfice quand tu prenais en charge un infarctus à moins de 75 km d’un centre de coro. Pour te donner un exemple précis, en Centre-Val de Loire, cela correspond à seulement 2,5 % des patients qui sont à plus de 75 km. Or notre région est celle qui utilise le plus l’hélicoptère en France – on a 14 % d’utilisation – et qui a le plus mauvais chiffre en termes de délai de prise en charge de l’infarctus. Donc, de là à ce qu’il y ait une corrélation, je ne suis pas loin de le penser. L’hélicoptère doit être réservé pour les régions montagneuses, insulaires, avec des difficultés d’accès, mais, clairement, pour transporter un infarctus, c’est une perte de chance pour le patient et c’est une perte d’argent, parce que cela coûte dix fois plus cher qu’un SAMU terrestre.

On a bien démontré qu’on perdait une heure en acheminant le patient par hélicoptère en France.

La prise en charge hospitalière

Jacques Monségu – On vient d’aborder le préhospitalier et maintenant parlons de l’hospitalier. Est-ce que, là aussi, on a des données par rapport à nos procédures ? Est-ce qu’on fait bien ? Est-ce qu’on est perfectible, aussi, dans notre prise en charge ?

Grégoire Rangé – On est assez bon, honnêtement. Le registre nous permet de voir aussi l’évolution des pratiques. Notamment, tu sais que la thromboaspiration était à un taux très élevé à une époque avant que, justement, les Suédois publient que la thromboaspiration systématique n’était pas recommandée ; mais elle reste quand même intéressante dans des fortes charges thrombotiques – elle est passée de 35 %-40 % à 12 %-15 % dans nos pratiques, pareil pour l’attitude MIMI, on est aux alentours de 10 %-12 %, cela ne bouge pas.

Pour l’utilisation des anti-GPIIb/IIIa, on est à peu près dans ces eaux-là aussi, à 15 %, donc on est à peu près stable.

Le taux de reperfusion est très élevé, il est a plus de 95 % avec un TIMI-3. On a montré que le TIMI-3 post-procédure grevait le pronostic de mortalité à J30, donc il faut tout faire pour essayer d’obtenir le meilleur flux possible en fin de coro, mais, somme toute, les données de procédure sont plutôt très bonnes dans le registre et donc en France, puisqu’on a actuellement 60 centres participants au registre.

Le post-hospitalier

Jacques Monségu – D’accord. Donc on est pas mal sur l’aspect purement procédural – qu’en est-il de la sortie du patient, de son traitement de sortie ? La réadaptation chez des patients qui sont parfois très jeunes, est-ce qu’elle a sa place ? Quelles sont les données qu’on peut tirer de notre expérience ?

Grégoire Rangé – Les traitements de sortie sont plutôt bons, on suit bien les recommandations, que ce soit l’aspirine, les P2Y12, les bêtabloquants et les IEC avec des fractions d’éjection altérées. Par contre, la réadaptation est mauvaise, clairement – on est à 50 % d’utilisation de la réadaptation sur un STEMI de moins de 24 h, là où les Suédois sont à 80 %. Donc là, il y a vraiment des pistes d’amélioration, notamment pour la téléréadaptation, parce qu’on sait que c’est contraignant d’aller en réadaptation trois semaines dans un centre. Maintenant, il y a des programmes de téléréadaptation qui sont très bien faits et donc je pense que c’est l’avenir pour améliorer cet indicateur.

Le cas des SCA ST-

Jacques Monségu – Il y a une chose qui est aussi très intéressante, c’est que lorsqu’on a construit ce Livre blanc, on s’est appuyé sur les données du PMSI. Et on s’aperçoit que sur ces données, autant on extrait très facilement les syndromes coronariens ST+ dont on parle beaucoup, mais il y a aussi, quand même, la moitié des syndromes coronariens aigus qui sont des ST- et ceux-là par le biais du PMSI, on n’arrive pas à les individualiser. Et c’est toute la beauté du registre France-PCI, qui nous permet de voir la prise en charge de ces syndromes coronariens aigus ST- dans lesquels il y a beaucoup de NSTEMI et qui sont des facteurs de gravité. Est-ce que tu peux nous en dire un mot ?

Grégoire Rangé – Sur la qualité des données du PMSI, clairement, on a fait des comparatifs, c’est juste effroyable parce que le PMSI est fait pour faire des analyses économiques et médico-économiques, il n’est pas fait pour faire de la science. Et tu n’as aucune granularité avec les données du PMSI, voire elles sont fausses parce que mal remplies, et parce que dans beaucoup de centres c’est le cadet des soucis de remplir correctement ces données. Donc, clairement, si tu veux faire des analyses pour te comparer et faire de la science, il faut des registres. Et c’est ce que, du reste, font tous les pays actuellement, ils se lancent dans des registres de bonne qualité, ce qui permet après, effectivement, d’identifier les facteurs de gravité.

Par exemple, on a une mortalité d’infarctus actuellement qui est très basse ; en intrahospitalièr on est proche de 3 % quand tu enlèves les infarctus sans état de choc, et on doit être à peu près à 3,6 % quand tu prends tout. Donc une fois que le patient est à l’hôpital, pris en charge, la mortalité, est très basse pour l’infarctus. Le problème est presque ce qui se passe avant. Et là, les arrêts cardiaques non récupérés, quatre/cinquièmes sont des infarctus et ceux-là, malheureusement, ils sont en dehors de notre champ de vision et n’on a pas, pour l’instant, de moyens, à part la prévention primaire, de les voir. Si tu regardes la mortalité avec l’état de choc, on est toujours à 50 % parce que là aussi on voit un genre de stabilité complète depuis 10 ans et qu’on n’arrive pas à faire baisser ce chiffre. Donc oui, on peut évaluer correctement le profil des patients et voir en fonction de leur profil, quels sont leurs pronostics.

Les innovations

Jacques Monségu – On arrive à la fin de cette interview, et j’aimerais que tu puisses nous dégager quelques pistes innovantes pour améliorer cette prise en charge de l’infarctus. On a vu qu’en préhospitalier on est pas mal – on a quelques petites lacunes par rapport à nos collègues suédois, mais c’est plutôt bien. On a vu que sur les procédures, franchement, on faisait aussi bien qu’eux avec un maillage qui est solide et qui nous permet de prendre en charge des patients quasiment sur tout le territoire national dans des délais courts. On a vu que le traitement de sortie était plutôt bien conduit, par contre, on a un énorme progrès à faire sur la réadaptation, je partage tout à fait cet avis avec toi. Vers quelles pistes innovantes peut-on aller dans cette prise en charge ?

Grégoire Rangé – Tu sais que je suis un peu « geek », donc j’aime bien les nouveaux outils connectés qui nous offrent des potentialités d’amélioration de pratiques qui sont assez importantes. J’en dégagerais trois ou quatre :

  • Les montres connectées : il y a des publications qui montrent que tu vas pouvoir diagnostiquer ton infarctus même avec une seule dérivation, celle au poignet, dans les prochains mois ou prochaines années. Tu peux le faire avec ton iWatch en le mettant à différents endroits, mais c’est fastidieux. Donc il est clair qu’à l’avenir, je pense qu’on aura tous une montre ou un système connecté, en tout cas les patients à risque, et qu’on pourra faire le diagnostic d’infarctus immédiatement pour appeler le secours, voire il sera appelé quasiment automatiquement avec l’Apple Watch en cas de diagnostic confirmé. Donc la montre connectée, c’est une piste.

  • Utiliser davantage la téléexpertise avec des applications, comme on le fait nous-mêmes avec des groupes WhatsApp quand on est dans le souci ; on va envoyer un message à notre copain ou notre groupe de copains en disant « qu’est-ce que tu en penses ? » Là, on devrait avoir des applications dédiées dans la prise en charge du syndrome coronarien aigu. Nous en avons développé une il y a quelques années, mais il y en a plein d’autres qui peuvent se développer où l’urgentiste, dès qu’il en souci, peut envoyer un ECG, il peut commencer un chat en direct sans passer par la lourdeur du transfert SAMU et tout de suite avoir des réponses, en disant « est-ce que ce patient-là, je l’envoie direct en coro ou pas ? »

  • On participe à un protocole qui s’appelle SOS-AMI, avec une injection de P2Y12 chez des patients à haut risque qui refont une douleur, pour qu’ils aient leur traitement immédiatement, dès qu’ils sentent que la douleur se prolonge – avant d’appeler le SAMU, ils s’auto-injectent un P2Y12. Je pense que ce sont aussi des pistes d’amélioration de traitement plus précoce.

  • Enfin, l'éducation : comme je le disais, quatre cinquièmes des infarctus meurent avant qu’on les voit ; toute la partie éducationnelle devant un arrêt cardiaque est essentielle, pour la prévention et le dépistage de cette maladie, pour éviter cet infarctus qui peut, dans les premières secondes, partir en vrille.

Jacques Monségu – On voit qu’on a encore du chemin à faire là où on croit que la cardiologie interventionnelle s’arrête et qu'on a tout vu. Il y a beaucoup de pistes d’avenir, qui sont simples et qui à l’heure de la technologie innovante, sont vraiment tournées vers tout ce qui est connexion. Elles permettront de mieux prendre en charge ces patients et de gagner du temps. Car, encore une fois, comme le disait le vieil adage « time is muscle » et plus tôt on débouche l’artère et mieux le patient va se porter.

Merci, Greg, pour cette interview, et merci au partenariat Medscape & CNCH de nous avoir donné l’opportunité de discuter d’un vrai problème de santé publique. Je vous dis à très bientôt.

 

Suivez les actualités du CNCH sur le site InternetTwitter et Facebook.

Suivez Medscape en français sur TwitterFacebook

Suivez theheart.org | Medscape Cardiologie en français sur Twitter.

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....