Réintégration des soignants, coûts de l’intérim : quels sont les aspects réglementaires et juridiques ?

Dr Benjamin Davido, Me David-Emmanuel Picard

Auteurs et déclarations

26 mai 2023

Le Dr Benjamin Davido interroge Maître David-Emmanuel Picard, avocat, sur deux sujets d’actualité : l’aspect légal de la réintégration des soignants non vaccinés contre le COVID-19 et le coût du recours croissant à l’intérim.

TRANSCRIPTION

Benjamin Davido – Bonjour à tous, bienvenue sur Medscape. Je suis Benjamin Davido, médecin infectiologue à l’hôpital Raymond Poincaré de Garches. J’ai le plaisir de recevoir Me David-Emmanuel Picard.  

David-Emmanuel Picard – Merci de m’accueillir, je m’appelle David-Emmanuel Picard et je suis avocat au barreau de Paris, associé fondateur du cabinet EOS Associés dans lequel nous traitons de diverses questions et, notamment, de droit médical.

Réintégration des patients non vaccinés contre le COVID-19

Benjamin Davido – J’aimerais aujourd’hui parler d'un sujet d’actualité qui est celui de la réintégration des soignants non vaccinés, une question qui fait couler beaucoup d’encre, et qui associe l’aspect médical et l’aspect réglementaire. Peux-tu nous faire un état des lieux sur ce sujet ?

David-Emmanuel Picard – Le Décret de mai 2023 qui vient de paraître au Journal officiel suspend l’obligation vaccinale et permet donc la réintégration des personnels non vaccinés qui avaient été, au préalable, écartés. Dans quel cadre cette mise à l'écart avait-elle été faite ? Dans celui de la Loi du 5 août 2021 qui exigeait un schéma vaccinal complet pour que les personnels soignants puissent remplir leur mission. Cette loi de 2021 avait une cible qui était extrêmement large. Il s’agissait de l’ensemble des personnels qui, de près ou de loin, avaient affaire aux patients.

Benjamin Davido – Cela représente combien de personnes à peu près ?

David-Emmanuel Picard – Le chiffrage qui a été établi par le ministère de la Santé tournait autour de 2,7 millions, donc c’est extrêmement large parce qu’il y avait, évidemment, le secteur hospitalier et les établissements médico-sociaux, mais aussi les personnels des EHPAD, les sapeurs-pompiers – tous les personnels qui pouvaient avoir affaire à des malades, pour éviter la transmission entre professionnels, mais aussi, évidemment, à l’endroit des patients.

Avec la maîtrise de la pandémie (et on espère que cela durera !), la Haute Autorité de Santé (HAS) a émis un avis favorable à la réintégration. Cet avis a donc été repris par ce décret de mai 2023 qui organise la réintégration des personnels qui avaient été, au préalable, écartés. Ce que fait juridiquement ce décret, c’est qu’il suspend l’obligation qui avait été, au préalable, mise à la charge de ces personnels.

Benjamin Davido – Ce n’est pas une abrogation.

David-Emmanuel Picard – Ce n’est donc pas une abrogation. C’est-à-dire qu’une abrogation aurait eu pour effet modulo les questions de hiérarchie, des normes et c’est un peu complexe, mais cela aurait eu l’effet de supprimer l’obligation vaccinale – or non, là, elle existe encore. Mais c’est l’obligation de vaccin qui, elle, est suspendue.

Benjamin Davido – C’est technique. Et justement, par rapport à ces personnes qui sont suspendues, est-ce qu’on a une idée de qui on parle et de combien de personnes cela concerne ? Quid du coût ? Certains disent qu’il y a des économies en santé… Qu’est-ce que cela représente en réalité ?

David-Emmanuel Picard – C’est une vraie question parce qu’on a vu dans la presse une forme de bataille de chiffres. En réalité, en la regardant de plus près, cette bataille de chiffres doit être dégonflée, elle n’existe pas vraiment. Pourquoi ? Parce qu’en premier lieu, les personnels qui ont eu un schéma vaccinal complet représentent l’écrasante majorité, à peu près 99 % des soignants. Les sources sont, d’ailleurs, concordantes là-dessus. Ce qui est intéressant, en revanche, c’est combien, en volume, de personnels ne sont pas soumis à la vaccination complète.

Cette bataille de chiffres [des coûts liés à la mise à l’écart des soignants non vaccinés]  doit être dégonflée, car elle n’existe pas vraiment.
 

Benjamin Davido – Donc on a deux types de chiffres, si je ne m’abuse ?

David-Emmanuel Picard – Oui. 0,3 %, c’est le chiffre qui est estimé par les directions du ministère de la Santé, ce qui représenterait autour de 4 000 agents.

Benjamin Davido – Donc c’est très peu, en réalité.

David-Emmanuel Picard – C’est extrêmement peu. D’où la sagesse, la nuance qu’il faut avoir sur ce type de dossier. Mais on a aussi des estimations qui ne sont pas contradictoires, mais plutôt complémentaires. Les organisations syndicales ont pu parler de 20 000 à 40 000 personnes, mais les retraitements de périmètre font que ces chiffres sont relativement cohérents.

Benjamin Davido – Oui. Et ce qui est important aussi de préciser, c’est que globalement un tiers dans ce qu’on appelle le personnel soignant est en fait du personnel administratif, des gens qui ne sont pas au contact des patients ; donc cela veut dire que cela réduit encore cet écart.

David-Emmanuel Picard – Exactement. Et ils étaient précisément visés par la loi – il y a des personnes qui sont en charge de la logistique, du transport, du support administratif, etc., et sans oublier aussi les personnels du libéral, notamment les infirmières. L’Ordre des infirmières avait parlé de 1 900 personnes concernées par cette suspension – dans les faits, il faudrait aller voir… mais le volume financier est relativement négligeable.

Benjamin Davido – Très bien. Moi, j’avais ces chiffres récents de François Braun qui étaient 85 médecins et pharmaciens, dont certains qui seraient proches de la cessation d’activité, donc encore une fois, on voit que ce n’est pas cette réintégration qui va régler la problématique du fonctionnement de l’hôpital.

Ce n’est pas cette réintégration qui va régler la problématique du fonctionnement de l’hôpital.

 

Quelles ont été les conséquences concrètes pour ces personnels ? Parce qu’à partir du moment où on suspend ces gens, et qu’il n’y a plus d’activité, comment cela se passe-t-il ? Qu’est-ce qu’ils gagnent ou qu’est-ce qu’ils ne gagnent pas ?

David-Emmanuel Picard – Quand on met à l’écart, il y a une forme de suspension du contrat de travail – on dit aussi suspension pour le secteur privé – et une suspension du statut de la fonction publique hospitalière. Comme tout contrat, le statut comporte des obligations et des bénéfices. Les obligations pour le personnel, c’est évidemment de fournir la prestation nécessaire de soins, et en contrepartie ils vont recevoir une rémunération. Donc la suspension a entrainé un certain nombre de conséquences qui sont fondamentales : l’absence de rémunération bien évidemment, mais aussi des formes de rémunération accessoires. C’est-à-dire le droit à l’avancement, par exemple, et également l’ensemble des cotisations sociales qui n’ont pas été versées.
Benjamin Davido – Donc ce que les gens n’ont pas cotisé pour la retraite.

David-Emmanuel Picard – Exactement.

Benjamin Davido – D’accord. Et en pratique, il y en un certain nombre de ces personnes qui a été, je suppose, réorienté professionnellement ou qui a abandonné ?

David-Emmanuel Picard – On a beaucoup d’exemples, effectivement, de personnels qui ont décidé de se réorienter dans une carrière tout à fait différente. Ce qui vient pointer un problème qui est largement structurel et global...

Benjamin Davido – ... celui de la difficulté de travailler à l’hôpital.

David-Emmanuel Picard – Absolument.

Benjamin Davido – Ce n’est pas parce qu’on est vacciné, malheureusement, qu’on n’est pas à risque de faire un burn-out et de quitter l’établissement.

Ce n’est pas parce qu’on est vacciné qu’on n’est pas à risque de faire un burn-out et de quitter l’établissement.

 

David-Emmanuel Picard – Exactement.

Benjamin Davido – Cela amène à une autre question qui est : ces gens, sans dire qu’ils ont été mis à pied, mais qui n’ont pas travaillé, vont être réintégrés. Comment cette réintégration va-t-elle s’effectuer concrètement ?

David-Emmanuel Picard – Les modalités de réintégration ont été définies au titre de ce qu’on appelle une instruction ministérielle – c’est une forme de circulaire. Il y a en gros un principe et deux exceptions. Le premier principe est que la réintégration se fait à poste équivalent.

Benjamin Davido – Cela veut dire qu’une infirmière du bloc opératoire ne doit pas se retrouver à donner des prospectus à l’accueil de l’hôpital.

David-Emmanuel Picard – Exactement. Donc on essaie de réintégrer dans sa carrière, l’agent qui a été mis à l’écart.

Benjamin Davido – C’est un élément important.

David-Emmanuel Picard – Exactement, puisqu’on ne peut pas faire fi, parallèlement, des difficultés qui peuvent se poser en termes d’organisation du service ― par exemple un poste qui a été occupé, etc. Et dans ce cas-là, l’instruction prévoit qu’on tente de donner un poste équivalent. Donc non pas identique, mais équivalent.

Benjamin Davido – Oui. Cela veut dire que pour certains, qui n’ont pas travaillé depuis 2021 soit deux ans, cela va parfois être difficile.

David-Emmanuel Picard – Exactement. Et par ailleurs, il y aura sans doute des crispations – et la matière de ressources humaines est toujours complexe. C’est pourquoi l’instruction favorise au maximum la médiation, en essayant de trouver des solutions. Après, les cas les plus complexes ne sont pas évacués d’un revers de manche évidemment, puisque la fonction publique organise ce qu’on appelle la radiation des cadres – c’est-à-dire qu’on écarte définitivement de la fonction publique. Et pour ce qui est du privé, il peut y avoir une fin du contrat, voire une rupture conventionnelle, comme le préconisent les instructions ministérielles.

Le recours à l’intérim

Benjamin Davido – Comme tu parles de ces deux secteurs – privé et public – l’interface est tenue. On sait d’ailleurs, et dans le public on n’y échappe pas, qu’on a de plus en plus recours à l’intérim. Finalement, sans dire que pour les soignants mis à pied, une partie s’est réglée par l’intérim, cet intérim a un coût. Il y a une réforme, je crois, qui est en discussion. Est-ce que tu peux nous en parler ?

David-Emmanuel Picard – Il y a eu beaucoup de presse sur ce sujet, parce que c’est un sujet qui est d’une part, fondamental en volume financier, mais qui, aussi, vient mettre en exergue les difficultés structurelles du secteur public. À tel point que le gouvernement parlait de mercenariat intérimaire. Donc au-delà de l’aspect polémique de la question, cela vient pointer les besoins du service qui sont partiellement comblés par les intérimaires. Les chiffres parlent de 3 000, 5 000, 10 000, en tout cas plusieurs milliers qui régulièrement interviennent dans les structures.

Le gouvernement parle de "mercenariat intérimaire".

 

Benjamin Davido – Mais pour une journée…

David-Emmanuel Picard – Pour une journée.

Benjamin Davido – Donc c’est le salaire d’un médecin d'un mois, en une journée de travail.

David-Emmanuel Picard – À peu près. On a des chiffres qui s’étalent. Mais s’agissant en réalité – et, bon, le parallèle vaut ce qu’il vaut – d’une forme de marché. Il y a une offre et une demande. Ceux qui sont en position favorable vont pousser la demande. Là, on a pu voir des 4 000 € versés pour 24 h de travail, etc. C’est ce à quoi le gouvernement a voulu s’atteler. À telle enseigne que le coût global chiffré est de l’ordre de 1,5 milliard d’euros par an.

Le coût global chiffré est de l’ordre de 1,5 milliard d’euros par an.

Benjamin Davido – C’est énorme !

David-Emmanuel Picard – C'est corroboré par la Fédération hospitalière de France.

Benjamin Davido – D’accord. A-t-on une idée, justement, de ces postes vacants ?

David-Emmanuel Picard – Il y a les secteurs qui sont en tension – la pédiatrie, l’obstétrique, les urgences, etc. Donc, ce qu’a proposé le gouvernement, c’est de plafonner à 1 170 € brut, avec les cotisations sociales…

Benjamin Davido – Ce qui n’est pas, non plus, ridicule.

David-Emmanuel Picard – Ce n’est pas ridicule pour 24 h de travail. Mais c’est une mise en pratique qui sera, sans doute, délicate.

Benjamin Davido – Il me semblait que le gouvernement préalable, avec François Hollande, avait justement commencé à s’atteler à cette réforme de l’intérim…

David-Emmanuel Picard – Effectivement. Marisol Touraine avait proposé un plafonnement des rémunérations qui étaient offertes, à peu près de cet ordre-là, modulo l’inflation. Mais cette mise en pratique a été délicate. D’ailleurs, il y a eu un changement de majorité premièrement, puis la situation pandémique a fait ce que a été peu ou pas appliqué dans les faits.

Benjamin Davido – Oui, parce qu’on a eu besoin, évidemment, de beaucoup de soignants, beaucoup de paramédicaux pendant la période du COVID particulièrement sous tension. Et, justement, on est passé d’un excès à l’autre où tout le monde est venu travailler à l’hôpital, parfois même sans compter, en 2020 notamment.

Il y a un problème d’attractivité de ces carrières dans le public. Est-ce que tu as un exemple ? Je sais que nous, les praticiens hospitaliers (PH), on a été un peu touchés. Est-ce que ce n’est pas un peu l’enjeu ?

David-Emmanuel Picard – Oui. Et tu parlais de PH : il y a en France 30 % de postes budgétés de PH qui ne sont effectivement pas occupés.

Il y a, en France, 30 % de postes budgétés de PH qui ne sont pas occupés.

 

Benjamin Davido – Donc c’est un problème d’attractivité.

David-Emmanuel Picard – C’est un problème d’attractivité mais pas seulement. Il y a aussi un problème de qualité de vie au travail ; cette question de la réforme de l’intérim pose la question beaucoup plus globale de l’attractivité, du parcours de soins, de la rationalisation de la carte hospitalière en France, des collaborations entre hôpitaux, et plus généralement de la fluidification du parcours de soins, etc.

Benjamin Davido – Oui. Parce qu’il ne faudrait pas que cela vienne, non plus, pénaliser les anciens, puisque cette réforme en 2020 a changé complètement les échelons et c’est vrai qu’il y a certains PH qui ont trouvé que le compte n’y était pas, à la fin.

David, je te remercie pour tous ces éléments. Cela fait penser qu’il y a un vaste sujet en lien avec ces réformes et ces échelons, qui est celui de la réforme de la retraite pour les soignants, puisqu’on est un régime un peu à part, et peut-être que tu pourras nous en dire un mot la prochaine fois.

David-Emmanuel Picard – Avec grand plaisir.

Benjamin Davido – Merci à tous. J’espère que cela vous a un peu éclairé sur les tenants et aboutissants, et vous a également montré que la réforme de l’hôpital public ― et du secteur de la ville et du privé ― est un sacerdoce et qu’on a encore un long travail à faire au-delà de la réintégration des soignants.

 

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