Le blog du Pr Boris Hansel - Diabétologue et nutritionniste
Une communication a fait grand bruit ces derniers temps au sujet du sémaglutide et plus généralement des agonistes du GLP-1. Ces médicaments pourraient-ils conduire à se suicider?
Alertes des autorités
C'est l'Agence européenne du médicament qui a elle-même diffusé un communiqué début juillet 2023, annonçant qu'une évaluation est en cours suite à des signalements de l'agence islandaise du médicament qui rapportait deux cas de patients qui avaient des pensées suicidaires sous Saxenda (liraglutide) et Ozempic (sémaglutide). Il y avait également un cas de pensée d'auto-mutilation sous Saxenda.
Évidemment, quelques cas ne suffisent pas pour remettre en question l'intérêt d'une classe thérapeutique, ni à contre-indiquer. Il faut des explorations supplémentaires et c'est ce que font les autorités européennes qui ont collecté des informations, qui sont en train d'analyser environ 150 rapports qui concernent des cas possibles d'automutilation et de pensées suicidaires sous ces médicaments. On devrait avoir des résultats et des conclusions courant novembre 2023.
Cette actualité intervient dans un contexte où les agonistes du GLP-1, et en particulier l’Ozempic, font l'objet d'un mésusage, notamment en France. D'ailleurs, l’ANSM, elle-même publie un communiqué et a rappelé qu'il fallait utiliser ces médicaments dans le cadre de leurs indications.
Mais il faut avouer que malgré ces avertissements, ces alertes, ces suspicions, pour le moment, le profil de risque des agonistes du GLP-1 ― pour les cliniciens en tout cas ― semble très bon en dehors de nausées et de vomissements qui peuvent conduire à l'arrêt du traitement ; on n'a pas d'effets majeurs clairs. On a évoqué un risque de pancréatite aiguë qui n'est absolument pas confirmé et on a aussi évoqué un risque de cancer de la thyroïde qui, là encore, n'est absolument pas démontré chez l'humain. Est-ce qu'on doit s'inquiéter maintenant d'un nouvel effet secondaire qui serait le risque suicidaire?
Comparable au rimonabant ?
Cela nous rappelle l'histoire du rimonabant. Vous vous rappelez ce médicament (Acomplia) qui avait été étudié et commercialisé au début des années 2000. Assez rapidement après sa mise sur le marché, il a été retiré, notamment en raison d'un risque de dépression et de suicide. Alors, est-ce que l'histoire se reproduit? Est-ce qu'on est dans la même situation? Franchement, à ce jour, je ne le pense pas.
C'est vrai qu'avec le rimonabant, on avait des données inquiétantes qui avaient déjà été observées dans les essais cliniques randomisés. On avait déjà des signaux de troubles de l'humeur sous médicaments versus placebo. Avec les agonistes du GLP-1, dans les essais cliniques, à ma connaissance, il n'y a aucun signal de la sorte. Alors bien sûr, cela n'exclut pas un risque rare, c'est pour cela qu'il faut poursuivre les investigations.
On sait aussi qu'il y a des récepteurs au GLP-1 dans le système nerveux central, on parle beaucoup de la localisation au niveau de l'hypothalamus, ce qui peut expliquer en grande partie l'effet sur l'appétit de ces médicaments. Mais les mécanismes d'action entre les agonistes du GLP-1 et les médicaments classiquement utilisés pour réduire l'appétit, anorexigènes ou encore le rimonabant dont on a parlé, sont très différents. C'est pour cela qu'on n'attend pas vraiment d'effets secondaires psychiques avec les agonistes du GLP-1.
Comment expliquer un potentiel risque suicidaire ?
Pourquoi a-t-on ces observations suspectes d'idées suicidaires ou d'automutilation? Quelles pourraient être les explications?
À mon avis, il faudra d'abord confirmer que l'incidence de ces troubles psychiatriques est plus élevée sous agonistes du GLP-1 que dans la population générale similaire appariée.
On peut aussi se demander si ces troubles de l'humeur ne sont pas liés tout simplement au terrain des personnes en situation d'obésité à qui on donne facilement les agonistes du GLP-1. On sait que l'obésité est associée à un surrisque d'idées suicidaires et d'automutilation.
Et il y a une autre observation qui est assez peu connue : la perte de poids est associée à un risque suicidaire. Vous en avez entendu parler au sujet de la chirurgie bariatrique. On sait qu'après une chirurgie bariatrique ― bypass ou sleeve gastrectomie ― le risque d'idées suicidaires est multiplié par 2 par rapport à la période préopératoire de la même population. Et ce risque est multiplié presque par 4 quand on compare la population à une population témoin. Alors attention, ces données proviennent d'études observationnelles et même l'analyse à laquelle je fais référence quand je parle par rapport à une population témoin, c'est un groupe contrôle, mais ce n'est pas issu d'un essai randomisé.
Il y a une autre donnée intéressante, c'est que la perte de poids, indépendamment de la méthode amaigrissante, est associée à un risque augmenté de suicide. C'est ce que j'ai pu retrouver dans deux études prospectives où on voit cette association et on n'a pas d'explication claire à ce stade. Bien sûr, il y a plein de biais méthodologiques qui sont possibles, mais cela pose la question de « pourquoi y-a-t’il plus de risque suicidaire et d'automutilation chez des personnes qui prennent un traitement et qui perdent du poids? »
En pratique
Doit-on modifier notre attitude vis-à-vis des prescriptions d'agonistes du GLP-1? Dans l'immédiat, il n'y a pas de recommandation en ce sens. Je ne pense pas que ce soit raisonnable de tout chambouler. Bien sûr, ce qu'il faut, c'est respecter rigoureusement les indications thérapeutiques et on verra d'ici quelques semaines, les résultats des analyses de l'Agence du médicament concernant la causalité entre le risque suicidaire et la prise d'un agoniste du GLP-1.
En l'état actuel des connaissances, je pense qu'on doit garder à l'esprit que perdre du poids, ce n'est jamais anodin. C'est un changement dont il faut mesurer, à l'échelle individuelle, les conséquences physiques et psychiques.
Je vous remercie de votre attention et je vous dis à très bientôt sur Medscape.
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Citer cet article: Agonistes du GLP-1 et risque suicidaire : que faire en pratique ? - Medscape - 6 sept 2023.
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