TRANSCRIPTION
Est-ce que manger gras et sucré est en soi une cause de prise de poids et de dérèglement du comportement alimentaire? Je précise tout de suite que la question abordée ici n'est pas de savoir si le fait d'avoir une alimentation hypercalorique fait prendre du poids ; ce que je demande, c'est si le gras et le sucre perturbent nos goûts et si cela nous pousse à manger plus que ce dont nous avons vraiment besoin. Derrière cette question, il y a celle du rôle de la génétique versus l'environnement dans l'épidémie d'obésité.
Un effet connu des lipides sur les neurones à dopamine
Ces dernières années, plusieurs études scientifiques ont montré que manger gras et/ou sucré a un véritable effet sur le cerveau et en particulier sur le système de la récompense. En 2020 notamment, des chercheurs français avaient montré que des lipides, en particulier les triglycérides qui s'élèvent dans le sang après un repas, agissent directement sur les neurones à dopamine. [1]
Or la libération de dopamine est un des mécanismes clé dans la survenue du plaisir provoqué, par exemple, par la prise alimentaire. Ces chercheurs ont montré que les triglycérides peuvent apporter un signal sur les neurones qui libèrent de la dopamine et sur ceux qui réagissent à l'action de la dopamine. [1] Alors j'ai bien dit qu'ils « amènent un signal », parce que les triglycérides, contrairement au glucose, ne sont pas utilisés comme source d'énergie par ces neurones. En clair, tout se passe comme s'il fallait que le gras que l'on mange apporte des informations au cerveau pour moduler le plaisir qui est associé à la prise alimentaire.
Un nouvel essai randomisé
Il y a une étude plus récente qui apporte des informations majeures chez l'humain et qui montre que lorsqu'on mange gras et sucré, cela réduit notre appétence pour des aliments peu gras et peu sucrés.[2] Il s’agit d’un essai randomisé, qui incluait des volontaires en bonne santé répartis en deux groupes : une moitié devait consommer deux yaourt gras et sucrés chaque jour pendant huit semaines, l'autre moitié devait consommer aussi deux yaourts par jour, mais là, il s'agissait de yaourts peu gras et peu sucrés. Fait important : l'apport calorique de ces deux types de yaourts était le même et il n'y avait pas de consigne à donner aux volontaires concernant le reste de leur alimentation. Dans cette étude, les goûts, les envies et les réactions cérébrales ont été mesurés avant et après l'expérience, avec des questionnaires et avec des IRM fonctionnels. Dans les deux groupes, on a noté une petite prise de poids, mais qui était comparable entre les 2 groupes. Manifestement, le surplus calorique qui a été apporté par le yaourt n'a pas été compensé par une réduction par ailleurs des apports alimentaires. C'est un peu surprenant, c'est difficile d'en tirer les conclusions, mais ce n'était pas le but de l'étude.
L'autre résultat est qu'il n'y avait pas de différence entre les groupes en ce qui concerne les mesures telles que le pourcentage de masse grasse corporelle, les concentrations de lipides plasmatiques (en particulier de cholestérol, de triglycérides), et l'index d'insuline aux résistances (HOMA). Ces résultats sont importants pour l'analyse des données.
Il y a trois faits marquants qui distinguent les groupes :
Premièrement, en fin d'expérience, les consommateurs de laitages gras et sucrés avaient une appétence plus faible et un goût plus faible que les autres pour des laitages maigres. En revanche, dans les deux groupes, l'expérience s'est accompagnée d'une réduction similaire de l'appétence pour les laitages pauvres en sucres.
Deuxième résultat important : la consommation des laitages gras et sucrés a modifié la réponse du cerveau face à ces aliments, de telle sorte que le circuit de la récompense est perturbé par rapport à ce qui se passe chez les mangeurs des laitages maigres et non sucrés.
Troisième fait, ces résultats sont obtenus indépendamment d'une prise de poids, ce qui veut dire qu'à priori c'est bien le gras et/ou le sucre qui sont à l'origine des perturbations observées, et non pas la prise de poids.
En pratique
Quels enseignements peut-on tirer de tout cela ?
Il est possible que manger gras favorise, par le biais des effets sur le système de la récompense, des perturbations du comportement alimentaire.
L'appétence, l'envie de manger plus gras et la perte de contrôle face à l’alimentation ne sont pas uniquement d'origine génétique et sont, au moins en partie, influencés par le choix de nos aliments. Cela va à l'encontre de certaines théories selon lesquelles l'obésité est d'origine génétique et qu'il ne serait pas justifié de recommander à l'ensemble de la population, en particulier à la jeune population, d'adopter une alimentation saine en prévention de la prise de poids.
Ces résultats sont très intéressants et doivent nous faire réfléchir sur ce qu'on doit dire sur le gras et le sucre. Il y a encore beaucoup de choses à élucider... Notamment dans cette étude, on ne peut pas dire si c'est le gras du yaourt ou le sucre ou les deux qui vont entraîner les perturbations au niveau cérébral. Donc il y a encore des points à évaluer, mais dès maintenant ces résultats sont importants et éclairants.
Je vous remercie de votre attention et je vous dis à très bientôt sur Medscape.
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Citer cet article: Manger gras et sucré perturbe le comportement alimentaire - Medscape - 10 mai 2023.
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