Pourquoi les soignants quittent-ils l’hôpital public ? Quelles sont leurs revendications ? Pourquoi l’intérim leur offre-t-il une voie royale de sortie ? Quelles sont les conséquences sur le fonctionnement de l’hôpital et sur les titulaires ? Le point avec Pauline Seriot, urgentiste.
TRANSCRIPTION
Bonjour à tous, nous allons aborder aujourd’hui la question de la désertification du personnel paramédical dans les structures de soin public et ses conséquences, en nous focalisant sur une pratique de plus en plus répandue : le recours à l’intérim.
Nous avons tendance à mettre l’accent et à blâmer les médecins ayant recours à cette pratique, mais l’intérim chez les paramédicaux, infirmiers et aide-soignants est en plein essor.
Pourquoi les soignants quittent-ils l’hôpital public ? Quelles sont leurs revendications ? Pourquoi l’intérim leur offre-t-il une voie royale de sortie ?
Pourquoi avoir recours à l’interim ?
Le recours à l’intérim chez les soignants, et plus particulièrement chez les infirmier.es, est une pratique devenue courante, voire massive, faisant face à une vague de départ historique depuis 2019.
En 2021, 1300 démissions d'infirmier.es ont été enregistrées par le ministère de la Santé. L’intérim était initialement un moyen de suppléance transitoire, destiné à pallier l’absence inattendue de soignants sur une courte durée. Désormais, il tend à triompher sur un projet de carrière avec un emploi fixe. De plus en plus de soignants préfèrent recourir à ce mode de recrutement plutôt que d’accepter une proposition de CDI. Les raisons à cela sont diverses :
La gestion aléatoire des plannings,
Les alternances jours / nuit,
La difficulté d’obtention d’un temps de travail réduit ou partiel,
La défaillance d’un système managérial,
La déliquescence des conditions de travail,
L’afflux exponentiel de patients,
Le manque d’effectif, la charge de travail
Le défaut d’éthique… et j’en passe.
Les carrières longues au sein d’un même service sont désormais balayées par la liberté offerte d’un emploi du temps à la carte et d’une rémunération attractive.
En effet, les témoignages que j’ai recueillis mettent en lumière les trois principaux éléments qui favorisent cet exode vers « le monde de la vacation » :
Premièrement, le fait de pouvoir être maître de son planning, de le réaliser soi-même, et de ne plus être tributaire de changements perpétuels de roulements, de refus de congés, etc.
Deuxièmement, le fait de s’exempter de toute charge mentale en lien avec la gestion de service. Plus besoin de répondre à une demande de remplacement « imposée » à 22 h la veille…
Et enfin, l’attractivité du salaire, tout en étant à l’hôpital, sans la charge administrative de l’exercice libéral, permettant de doubler voire de tripler son salaire.
Les agences de recrutements
Les infirmier.es, en quittant l’hôpital n’ont aucune peine à retrouver du travail. Chaque jour, près de 1200 infirmier.es remplaçants arrivent en agence. En effet, après avoir tapé « infirmier intérim » sur Google, ce ne sont pas moins de 12 sites d’annonce de missions qui se sont offerts à moi. En cliquant sur l’un deux (Adecco Medical), je découvre le prosélytisme opéré en 5 points, avec des messages clés et incitatifs, répondant tout à fait à la demande des soignants :
- Tout d’abord, l’assurance d’une grande liberté : travailler en intérim en tant qu’infirmier, c’est être maître de son planning. En effet, l’intérimaire fait part de ses disponibilités à l’agence et son emploi du temps est ensuite organisé en fonction. De plus, l’intérimaire n’a pas à supporter les conflits de service, le poids de la hiérarchie et de l’organisation, qui peuvent être pesants sur du long terme.
Si ce paramètre apparaît au premier plan, c’est qu’il est rapporté comme élément majeur d’abandon de poste de titulaire.
- Ensuite, vient la promesse d’être stimulé en permanence afin d’éviter l’ennui par la diversité des postes proposés. Le futur intérimaire est apostrophé directement comme suit : « Vous avez peur de l’ennui et des tâches répétitives ? Cette forme d’emploi est faite pour vous. » En plus d’avoir un planning « à la carte », travailler en intérim permet d’exercer le métier d’infirmier dans des services divers et variés : chirurgie, médecine générale, urgences-réanimation, maternité, pédiatrie, gériatrie… Et cela presque où vous le souhaitez, tant les besoins sont importants dans ce secteur, que ce soit en France métropolitaine, dans les DOM-TOM ou à l’étranger. En bref, vous ne vous ennuierez jamais ! Et c’est bien ce planning « à la carte » qui séduit les soignants. La liberté de travailler quand ils le veulent, où ils le veulent. Plus de routine. Plus besoin de s’engager quand un service ne leur plait pas.
Et j’irai même plus loin pour l’avoir observé, plus besoin de s’engager du tout. Un jour en psychiatrie, le lendemain en chirurgie, ensuite en réanimation ? On vient, on travaille, on prend l’argent et on s’en va. C’est parfois l’idée que cela donne. Certains (évidemment il s’agit d’une minorité, mais n’oublions pas que chaque soignant a la vie des patients entre les mains) font œuvre de présentéisme et cela suffit. Puisque finalement, le but est de combler un trou sur un planning.
A contrario, si le service convient à leurs attentes, ils peuvent y rester, comme un titulaire finalement, mais en fonction de leurs disponibilités et surtout, en étant bien mieux payés.
Le discours prôné par ces agences se justifiant de leur essor selon lequel l’intérim serait une excellente voie d’entrée dans les établissements où les soignants peuvent ensuite travailler à temps plein » est un leurre.
- Enfin, l’agence rapporte le caractère avantageux du salaire. Celui-ci ne peut être inférieur à la rémunération d’un salarié de même qualification qui occupe la même fonction. L’intérimaire perçoit en plus de cela, deux indemnités supplémentaires. Il s’agit de l’indemnité de fin de mission et de l’indemnité complémentaire de congés payés, toutes deux équivalentes à 10% de la rémunération brute totale perçue pendant la mission. Ajoutons à cela les frais kilométriques qui leur sont remboursés.
L’impact sur l’hôpital et les titulaires
Après ce préalable, parlons des faits. Le service dans lequel je travaille emploie quasiment 50% de personnel extérieurs (incluant intérimaires et vacataires) chez les infirmier.es et aides soignant.es. Le recours à l’intérim, bien qu’il s’agisse d’une solution visant à permettre la compensation d’un sous-effectif, revêt néanmoins quelques problématiques. Sur le plan du personnel soignant titulaire, sur le nouveau plan de carrière des soignants et sur la gestion des budgets.
- Tout d’abord, vis-à-vis du personnel titulaire : le déficit en personnel soignant est tel que le recrutement des intérimaires (et vacataires) se fait en amont. Une fois les plages horaires proposées, réservées au personnel extérieur, les plages restantes sont attribuées aux titulaires. Les titulaires comblent donc les trous des intérimaires ! Il ne faudrait surtout pas que l’on perde cette manne providentielle de personnel. Les heures supplémentaires et week end, plus rentables, sont donc prises en priorité et sont de fait, moins accordés aux titulaires.
Cette forme d’injustice est un élément qui m’a été beaucoup rapportée. Et lorsque les titulaires en parlent à leurs cadres, la réponse est constamment la même : « on aura toujours besoin d’intérimaires, on ne peut pas se permettre de leur refuser des dates et de les perdre ».
Par ailleurs, la rémunération d’un.e infirmier.e intérimaire se situe entre 15 et 30e l’heure (voire 35e dans certaines services). A contrario, un titulaire est rétribué 8e net de l’heure. L’infirmier titulaire, poly-compétent à chacun des postes dans son service doit donc former l’intérimaire à son arrivée, au logiciel, au parcours de soin inhérent à la structure, etc. Il s’agit donc d’une charge de travail supplémentaire pour le soignant, qui se retrouve, si je résume grossièrement, à être le tuteur d’un soignant à qui il faut tout apprendre, mais « mieux payé que lui ».
- La deuxième problématique que l’on pourrait soulever est la tendance à la promotion de ce moyen d’exercice. Avant, il s’agissait plutôt de soignants en milieu de carrière, qui voulaient opérer un changement d’exercice, de façon transitoire. Désormais, de plus de plus d’infirmier.es et aide soignant.es fraichement diplômées adoptent d’emblée cette pratique. On ne favorise plus l’engagement, on plébiscite même le désengagement. Les soignants intérimaires ne manquent pas de partager les avantages de leurs modes de travail autour d’eux. Prosélytisme, départ des services et coût exponentiel pour l’hôpital. Les dépenses ont triplé en cinq ans (500 millions d'euros en 2013, plus de 1,4 milliard en 2018).
- Enfin, si l’on se retrouve dans cette situation, c’est que pendant des années, les revendications des soignants quant à leurs conditions de travail et leurs rémunérations n’ont pas été pris en compte. Le déficit actuel en soignants en est la résultante et ce déficit même, créé par les soignants, est utilisé en leur faveur.
L’hôpital ne produit plus de soignants, ce sont les soignants qui se mettent à la disposition de l’hôpital.
Nous aborderons, dans une autre vidéo le témoignage, de Lucie, un exemple parfait de l’infirmière impliquée dans son travail, dynamique, qui a décidé de quitter l’hôpital public pour ne plus faire que de l’intérim après deux ans et demi au sein des urgences. Je vous retrouve très bientôt avec le témoignage de Lucie.
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Citer cet article: Recours à l’intérim chez les paramédicaux : quel impact sur l’hôpital et les titulaires ? - Medscape - 3 mai 2023.
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