Dominique Savary fait le point de la littérature sur la prise en charge des patients par des armes non létales, telles que les flashballs, taser, matraque, boucliers, gaz lacrymogène.
TRANSCRIPTION
Bonjour. Je suis Dominique Savary je travaille au département de médecine d’urgence du centre hospitalier d’Angers et je vous retrouve aujourd’hui pour vous parler — actualité oblige — de la traumatologie en rapport avec les armes non létales. Ces armes non létales ou appelées, encore, incapacitantes, sont utilisées pour assurer le maintien de l’ordre et la dispersion d’émeutes et il me paraît essentiel d’avoir une connaissance des conséquences physiopathologiques de ces nouveaux dispositifs sur les victimes pour pouvoir assurer une prise en charge optimale.
1. Les lanceurs de balles de défense ou LBT
Parmi ces armes non létales j’évoquerais en premier lieu les lanceurs de balles de défense, les LBT, qui sont utilisés par la police française — que vous connaissez sous le nom de flashball — qui sont des armes qui envoient des balles de caoutchouc souple de 44 millimètres de diamètre, qui viennent s’écraser à l’impact.
Un article récent apparu dans le BMJ en 2017 s’est intéressé à l’ensemble des études qui avaient étudié ces lanceurs de balles de défense et, donc, Haar et collaborateurs ont poolé 26 études avec un total de 1984 blessures et, donc, dans ce travail ils ont montré que 15 % de ces blessures ont entraîné, malgré tout, une incapacité permanente et que 3 % ont entraîné la mort, et que lorsque ces blessures touchaient les yeux, elles entraînaient une cécité à peu près 85 % des cas [1].
D’autre part, ces armes peuvent entraîner et provoquer des hémorragies internes dans la région abdominale, mais aussi des commotions cérébrales et des blessures, on l’imagine de la tête, du cou, voire des lésions de la peau et des tissus mous. Ces balles en caoutchouc peuvent aussi entraîner des fractures, en particulier des fractures du crâne, qui sont décrites dans la littérature et, donc, les impacts de ces armes doivent systématiquement être considérés comme des traumatismes à haute vélocité et à risque de provoquer des lésions internes.
Ils doivent être pris en compte comme tel au moment du bilan médical initial — il ne faut pas hésiter à avoir recours aux examens complémentaires paracliniques pour ces patients, comme des échographies abdominales, des FAST échographies, de la radiographie, voire du scanner thoracoabdominal, pour ne pas passer à côté de lésions sous-jacentes. D’autant plus que la victime est souvent remise aux forces de l’ordre et qu’une réévaluation ultérieure n’est souvent pas possible.
Certes, cet article du BMJ est assez complet, mais il souffre quand même d’un certain nombre de biais de publication, puisque probablement que les blessures les plus dramatiques, les plus notables, sont surreprésentées — et c’est bien noté par les auteurs de ce papier [1]. Quoi qu’il en soit, il faut se rappeler que ces balles en caoutchouc peuvent avoir des conséquences fatales pour les victimes de ces projections.
2. Les tasers
Autre arme non létale ou incapacitante, ce sont les pistolets à impulsion électrique souvent appelés Taser. Vous savez, il s’agit d’armes avec lesquelles le dispositif envoie deux dards qui viennent s’accrocher sur la cible et qui délivrent une décharge électrique d’une dizaine de milliers de volts laquelle paralyse temporairement l’individu.
Ces pistolets sont utilisés par la gendarmerie et la police française. Dans une instruction de janvier 2006, les modalités d’utilisation de ces armes par les forces de l’ordre décrivaient qu’elles étaient fortement déconseillées chez les personnes cardiaques, les femmes enceintes, les gens sous influence de stupéfiants ou imprégnés de liquide inflammable, et qu’ils étaient proscrits sur les conducteurs de véhicules automobiles qui ne sont pas à l’arrêt.
On voit qu’au cours d’émeutes ou de manifestations, la connaissance de ces antécédents des cibles est absolument impossible, d’où un certain nombre d’événements qui peuvent apparaître. Vu qu’il y a une décharge électrique qui est provoquée par l’instrument, malgré tout, le risque de fibrillation ventriculaire ou trouble du rythme qui est souvent évoqué par ces armes électriques n’a jamais été prouvé et il y a dans la littérature deux décès de patients qui sont porteurs de pacemacker – décès qui sont survenus, d’ailleurs, un peu à distance de l’utilisation de l’outil, mais il n’y a jamais eu aucune fibrillation ventriculaire, en tout, des cas publiés sur l’utilisation du Taser.
Les causes les plus fréquentes de blessures en lien avec ce dispositif, ce sont des blessures qui sont liées soit directement à l’impact des sondes, soit indirectement aux chutes du patient et, donc, je vous renvoie vers un papier tout à fait récent, sorti le mois dernier, de Anthony Bleetman sur l’utilisation du Taser et qui explique un peu les lésions qu’on peut avoir et les principes de prise en charge de ces patients [2]. J’insisterai un tout petit peu, quand même, sur un phénomène pas forcément connu qui est un syndrome un peu mal défini d’agitation associée à une hyperthermie de tachycardie, voire une acidose métabolique et, donc, une surexcitation de certains individus, en particulier ceux qui seraient consommateurs de cocaïne et d’autres stimulants, comme l’alcool, chez qui on peut voir ces syndromes d’agitation majeure lors de l’utilisation de ces Tasers.
En tous les cas, lorsqu’on prend en charge ces patients, les personnels médicaux peuvent être amenés à retirer les dispositifs lorsque ce n’a pas été fait par les forces de l’ordre, bien qu’elles soient en capacité de le faire lorsque l’implantation est simple.
Une fois que l'on a retiré ces dards il n’y a pas spécialement d’examen complémentaire systématique, alors probablement qu’il faudra avoir l’électrocardiogramme facile lorsque les patients ont des antécédents cardiaques ou qu’il y a, forcément, des signes fonctionnels associés, comme des palpitations ou une douleur thoracique. Mais sinon, une surveillance simple de ces patients et un examen clinique est largement suffisante.
3. Les gaz lacrymogènes
Troisième agent antiémeute qui est utilisé, ce sont ces gaz lacrymogènes qui sont utilisés pour disperser les foules. Les principaux effets ces gaz, c’est, bien sûr, des atteintes des voies aériennes supérieures qui surviennent dans les quelques secondes qui suivent l’exposition et qui sont marquées par une irritation au niveau de la sphère ORL et des poumons, qui sont accompagnés d’éternuements, de toux et de rhinorrhée avec, au-delà de ces premiers symptômes, peuvent apparaître secondairement des céphalées, des brûlures de langue, voire une dyspnée modérée.
Il faut savoir qu’une fois que l’individu a été retiré de la zone contaminée l’ensemble de ces symptômes disparaissent au bout d’un quart d’heure, une demi-heure et, donc, concernant la prise en charge de ces victimes, il est toujours important de rappeler que les sauveteurs devraient porter des équipements de protection pour éviter d’être, eux-mêmes, contaminés, et que le plus souvent, c’est une désinfection simple avec de l’eau, une décontamination des individus qui est suffisante, en particulier au niveau de la sphère oculaire, pour ces patients.
4. Les matraques et Les boucliers antiémeutes
Quatrième traumatisme que l’on peut voir, ce sont les traumatismes qui sont liés à l’utilisation des matraques et des boucliers antiémeutes lors de ces manifestations, étant donné qu’il y a un grand nombre de personnes et il peut y avoir, donc, des dangers lorsque les forces de l’ordre sont amenées à utiliser ces boucliers antiémeutes pour essayer de se protéger et de disperser la foule.
Ces boucliers peuvent provoquer une grande variété de blessures, mais je dirais, à peu près similaires aux blessures qu’on peut voir lors d’agressions de ces patients qui se présentent en salle d’urgence.
L’évaluation, elle sera exactement la même que celle qu’on fait en traumatologie classique et, donc, ces victimes devront être amenées vers des centres qui sont capables de faire de la radiographie, voire du scanner, pour les prendre en charge, mais vous l’auriez, bien sûr, deviné.
Sur l’utilisation des matraques, eh bien, là, rien de particulier si ce n’est cette fracture particulière que je vous ai mise en iconographie (voir ci-dessous) — la fracture de la matraque, une fracture isolée de la diaphyse cubitale, qui est bien décrite dans la littérature et qui doit son nom au fait qu’une victime frappée par une matraque tiendrait son avant-bras au-dessus du visage dans une position de défense et que, bien sûr, ça entraînerait la fameuse fracture du cubitus et qu’il y a suffisamment de recul dans la littérature pour montrer que ces fractures n’ont pas besoin d’être traitées de manière chirurgicale et qu’une immobilisation simple suffit à traiter ces blessures-là.
Voilà. J’espère avoir fait, un peu, le tour de ces traumatismes et vous avoir intéressé. Je vous dis à bientôt sur Medscape France.
Fracture de la matraque : fracture isolée de la diaphyse cubitale (crédit D. Savary)

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Citer cet article: Manifestations : quelle prise en charge pour les blessures par armes anti-émeutes ? - Medscape - 7 avr 2023.
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