Infection virale dans la petite enfance et asthme : y-a-t-il un lien ?

Nathalie Raffier

Auteurs et déclarations

1er mars 2023

Marseille, France – Le rôle des infections virales, notamment du virus syncitial respiratoire (VRS) et du rhinovirus (RV), vis-à-vis des exacerbations d’asthme est bien établi. Mais qu’en est-il de leur responsabilité dans la survenue de l’asthme ? Il y a bien une association entre la survenue d’une infection par VRS ou RV dans la petite enfance et le développement de symptômes d’asthme, indique le Pr Camille Taillé (Service de pneumologie ; Centre de référence des maladies rares, Hôpital Bichat), mais pour développer un asthme, il ne suffit probablement pas d’avoir rencontré le virus très jeune ou d’avoir fait une forme sévère. En effet, des polymorphismes génétiques, une dysfonction immunitaire ou une atopie préexistante sont également associés au risque d’asthme. Le point, au 27e Congrès de pneumologie de langue française (CPLF, 27-29 janvier 2023)[1].

Certaines infections virales peuvent-elles favoriser le développement d’un asthme ?

Les personnes asthmatiques sont vulnérables par rapport à certaines infections respiratoires virales, notamment la grippe et le rhinovirus (RV), qui sont capables d’induire des exacerbations d’asthme. Les corticoïdes inhalés ont globalement un effet protecteur vis-à-vis des exacerbations viro-induites et en cas d’exacerbation d’asthme en période épidémique ou pandémique, il n’y a pas de contre-indication à la corticothérapie inhalée ou orale.

Les jeunes enfants entre la naissance et 4 ans sont particulièrement à risque d’infections respiratoires virales. Selon les données du réseau national Sentinelles pour l’hiver 2021-2022, le taux d’incidence pour 100 000 habitants était systématiquement supérieur pour la tranche d’âge 0-4 ans par comparaison aux tranches d’âge plus élevées.

Parmi les virus les plus courants chez les enfants en bas âge, le rhinovirus, le virus du rhume, est un virus à ARN non enveloppé, du genre des entérovirus et compte 160 types classés en 3 espèces A, B, C, dont le A et le C confèrent les infections les plus sévères. La variabilité du virus est importante, d’où les difficultés de mise au point d’un vaccin.  Sa circulation est per-annuelle, avec habituellement un pic à l’automne et un autre à la fin du printemps. Pour sa part, le virus respiratoire syncytial est un virus à ARN classé parmi les pneumo-virus et comprend deux sérotypes, le A et le B. La quasi-totalité des enfants ont été infectés par le VRS avant l’âge de 2 ans. Les épidémies apparaissent chaque année en hiver ou au début du printemps dans les climats tempérés. Des vaccins sont en cours de développement et seront prochainement mis sur le marché. Un anticorps monoclonal (palivizumab), qui cible des protéines de fusion du virus, est disponible en traitement prophylactique chez les enfants à risque.

Infection par le VRS : des populations à risque de formes graves

Lors d’une infection par le VRS, l’importante inflammation de la paroi bronchiolaire et alvéolaire est à l’origine des détresses respiratoires aiguës. « Mais tous les nourrissons ne développent pas des formes graves de bronchiolite, nuance le Pr Taillé. Les facteurs de risque de forme grave sont bien connus : l’âge de moins de 6 mois, la prématurité, des comorbidités (neurovasculaires cardiovasculaire, respiratoires…), des antécédents de séjour en unité néonatale de soins intensifs à la naissance, un niveau socio-économique bas et une exposition tabagique [2]».

Les infections à RV ou VRS sont associées à la survenue d’un asthme ultérieur

La question de savoir si les maladies virales causent réellement de l’asthme a fait l’objet d’intenses débats. Néanmoins, les études s’accumulent et convergent pour montrer que les infections à VRS ou RV sont associées au risque de survenue d’un asthme ultérieur. « Par exemple, dans une étude publiée en 2022 [3], commente le Pr Camille Taillé, chez les enfants hospitalisés pour une infection à VRS, 60 % de ceux qui avaient été admis en réanimation néonatale présentaient entre 3 et 6 ans des symptômes d’asthme contre 18 % de ceux qui ont eu une infection à VRS non grave (admis dans des secteurs d’hospitalisation classique). Une infection grave à VRS est un élément associé au développement d’un asthme ultérieur. »

Cependant, cette association entre VRS et survenue ultérieure d’un asthme est observée également en cas d’infection non grave. L’étude américaine COAST avait été conçue pour étudier l’effet d’infections respiratoires précoces sur le risque d’asthme [4]. 259 nouveau-nés ayant au moins un parent asthmatique ou allergique ont été suivis jusqu’à l’âge de 6 ans. Les prélèvements faits systématiquement lors des épisodes infectieux ont identifié un virus dans 90 % des cas. « On sait à présent que le VRS n’est pas le seul agent responsable des bronchiolites, le RV est souvent retrouvé maintenant qu’il peut être cherché en routine par les tests PCR », précise la pneumologue. Dans l’étude COAST, la survenue d’une respiration sifflante lors d’une infection par le VRS ou le RV entre 0 et 3 ans était associée à une augmentation du risque d’asthme à 6 ans. De manière globale, 28 % des enfants infectés par l’un et l’autre virus étaient considérés comme asthmatiques à 6 ans. « Il y a clairement une relation entre le fait d’avoir été infecté par un virus respiratoire, soit RV soit VRS, et le fait d’avoir des symptômes d’asthme à l’âge de 6 ans, reprend Camille Taillé. De plus, l’effet du RV n’est pas modifié dans cette étude par la sensibilisation allergique. » 

La littérature est abondante et les résultats des études de cohortes, du Japon à la Finlande en passant par les Etats-Unis, l’Italie ou l’Australie se rejoignent, confirmant la prévalence plus élevée de sifflements récurrents/asthme après avoir contracté le RV ou le VRS, surtout si l’infection survient chez le nourrisson ou si elle est sévère. « Certaines études suggèrent même que l’asthme viro-induit est plus sévère, ajoute la pneumologue. Par exemple, une étude écossaise publiée en 2020 a montré que les enfants avec un antécédent d’infection par VRS étaient davantage hospitalisés, avec une plus grande consommation médicamenteuse que des asthmatiques sans antécédent d’infection, ce qui suggère une maladie un peu plus sévère [6]. »

Et à l’âge adulte ?

Très peu de cohortes longitudinales explorent le phénomène à l’âge adulte. Une étude assez ancienne avait constaté une prévalence de l’asthme plus importante à l’âge adulte chez des individus ayant eu une bronchiolite hospitalisée dans la petite enfance, ainsi qu’une fonction respiratoire plus altérée [7]. Une publication de 2023 va dans le même sens[8]. Les auteurs ont évalué la distension thoracique par scanner à l’âge de 26 ans chez 39 sujets et ont constaté que les participants ayant eu une infection à VRS dans l’enfance présentaient une augmentation du piégeage d’air, ce qui est en faveur d’une modification des voies aériennes, peut-être liée à un effet direct des virus sur le développement pulmonaire.

Des mécanismes encore hypothétiques

« La vraie question est de comprendre si c’est le virus lui-même qui induit l’asthme, ou si le virus ne fait que révéler une maladie asthmatique sous-jacente chez un enfant prédisposé, souligne le Pr Taillé. Seulement 30 à 40 % des enfants ayant eu un VRS vont développer des sifflements/asthme dans l’enfance. Cela suggère qu’il existe des facteurs favorisant le développement de l’asthme après une infection à VRS. Une prédisposition génétique a été montrée pour le RV. Le rôle du tabagisme, de la pollution, de l’exposition aux allergènes, de l’habitat urbain, d’une carence en vitamine D, d’un régime pauvre en oméga 3, du stress maternel et de la dépression ont également été mis en évidence [9]. De plus, il semble que VRS et RV soient un peu différents : le RV serait associé au développement d’asthme et de sifflements surtout en cas d’atopie préexistante et/ou de réponse immunitaire interféron diminuée, alors que le VRS, qui survient à un âge plus précoce et parmi des populations plus fragiles, semble agir indépendamment du terrain allergique. »  Le RV se distingue des autres facteurs viraux par une tendance à créer un environnement inflammatoire orienté Th2 et une association avec des gènes à risque spécifiques chez les personnes prédisposées au développement de l’asthme (CDHR3)[9]

 

Le Pr Camille Taillé déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cette présentation.

 

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